Chapitre Trente-Neuf - Ceux Qui Se Promenaient Dans Les Bois
À leur arrivée à Anchorage, Ari et Percy décidèrent de ne pas traîner. Ils devaient retrouver James Miller — alias George Barrie — au plus vite, avant qu’il ne rejoigne ses anciens collègues sur la liste des trophées du tueur. Leurs bagages récupérés, ils se dirigèrent sans tarder vers l’ Enterprise Rent-A-Car, en quête d’un véhicule qui les mènerait jusqu’à Talkeetna. Cette fois-ci, Percy opta pour un 4X4 Jeep, plus adapté à la rudesse de la région.
Ari fut agréablement surprise par le climat. Comme elle s’y attendait, le temps était froid, mais d’un froid piquant et sec. Le soleil brillant de mille feux dans le ciel dégagé lui redonnait de l’énergie. L’air était pur et un parfum mêlé de sapin et d’humus les enveloppait. En cette fin d’après-midi, les environs de l’aéroport n'étaient pas très fréquentés. Parmi les quelques rares voyageurs encombrés de bagages figuraient de vieux hommes aux allures d’aventurier, en veste de mouton retournée et jeans usé, enfoncé dans des bottes décrépies. Il y avait aussi des personnes au visage couleur d’argile rouge et à l’air digne, dont les ancêtres parcouraient la région sur de fiers purs-sangs.
Ils prirent la George Parks highway pour deux heures trente de trajet. Ari avait l’impression de passer sa vie dans un avion ou sur la route depuis le début de cette enquête. Elle pensa avec nostalgie à sa vie, entre les enquêtes dans les rues de la Ville des Anges, qu’elle aimait tant, et ses moments privilégiés avec Jake. Elle commença à tapoter sur l’écran tactile de la Jeep, cherchant à allumer la radio.
— Hey, rouspeta Percival, ne déréglez pas tout, je voudrais récupérer ma caution !
— Détendez-vous, James Bond, répondit Ari, lasse. Et puis ce n’est pas vous qui payez, rappelez-vous.
Bientôt, elle trouva une radio locale. Ils passaient Love Like Ghosts, de Lord Huron. Elle sourit en se disant qu’avec ce groupe, originaire de L.A., elle avait un peu de chez elle qui chantait dans l’habitacle du véhicule. Son regard se perdit dans les montagnes de l’Alaska Range, tandis qu’un aigle chauve dessinait de grands cercles au dessus d’un océan de pins.
Ils firent la route d’une traite, mus par l’urgence. La vie de l’un des derniers Tarantulas était en jeu. Ari se demanda si la hâte de Percy était réellement due au fait qu’il voulait sauver le vieil homme, ou par la perspective de retrouver ce maudit microfilm.
Ils arrivèrent à Talkeetna alors que le soleil se couchait, jetant de grandes gerbes rouges et oranges dans l’étendue céleste. Talkeetna était une petite ville, mélange de boutiques pour touristes et de maisons de bois, entourée d’une forêt de conifères et arrosée par une rivière du même nom. Les habitants vivaient surtout de la pêche, du tourisme, et de l’aviation de brousse. En toile de fond s’élevait le mont Denali, au sommet enneigé, qui semblait veiller sur la région comme un vieux sage depuis des temps immémoriaux.
Ari et l’agent Pendleton décidèrent de passer en vitesse dans une petite auberge du coin. Ils ne voulaient pas se retrouver à la rue, la nuit tombée. A l'accueil, une dame rondelette enrobée d’un vieux gilet mauve était concentrée sur un ordinateur si vieux qu’il devait tourner sous Windows XP. Elle leva les yeux sur les nouveaux arrivants et gloussa de joie.
— Ooh ! Quel joli petit couple ! Je m’appelle Penny, comment puis-je vous aider ?
— Nous avons une chambre au nom de Connelly. Mike et Alicia.
Elle pianota sur son clavier et la machine se mit à ronronner, tandis qu’Ari regardait Percy, se retenant de le frapper. Comment avait-il osé les faire passer pour un couple !?
— Voilà, s’exclama Penny, victorieuse. La chambre Castor, la plus grande, à gauche, à l’étage. J’espère que vous vous y plairez.
— C’est gentil, répondit Ari. Ce cher Mike essaye de se faire pardonner ses incartades amoureuses. Il espérait me récupérer avec ce voyage, mais j’hésite encore.
Penny darda un regard glacial sur Percy, le jugeant tout à coup indigne et misérable.
— Heu… Ouais, éluda l’agent anglais. Nous devons rendre visite à mon oncle George. Vous le connaissez ? George Barrie ?
— Si je le connais ? déclara la bonne dame, arquant les sourcils. Qui ne connaît pas le vieux George ? Il vit dans la clairière, à l’autre bout du village… Je suis étonnée de savoir que ce vieil ermite a une famille… Si vous y allez, surtout, faites attention aux pièges à loup…
Ils remercièrent Penny et repartirent, laissant leurs bagages dans le hall d’entrée.
— « Alicia et Mike Connelly », sérieux ? reprocha Ari. Ne me faites plus jamais un coup pareil.
— Oh, allez, c’était marrant, répondit l’anglais, souriant de toutes ses dents. Bon, assez rigolé, alors voir ce vieux George…
Ils traversèrent la bourgade, passèrent en face d’un bar animé et trouvèrent un sentier qui s’enfonçait dans les bois. Le soleil disparaissait à l’horizon, jetant un manteau d’ombres sur la forêt. Plus ils s’y enfonçaient, plus les ténèbres s’épaississaient. Ils marchèrent prudemment, aussi silencieux que possible, pendant une poignée de minutes. Ils commencèrent à percevoir les sons de la nuit. Branches qui craquent, chouette qui hulule, cris étranges et lointains… La forêt semblait les observer, et l’obscurité qui y régnait semblait peser comme une chape de plomb. Ari se sentait étouffer. Le soleil californien lui manquait. Au détour d’un groupe de pins serrés, ils perçurent la lueur d’un feu rougeoyant derrière les fenêtres d’une cabane de bois, au milieu d’un espace dégagé. Le coeur d’Ari battait à tout rompre, car si ils étaient arrivés jusque là sans trop d’encombres, le tueur pouvait, lui aussi, être là, tout près.
Soudain, un son mécanique claqua et Percy s’écroula, poussant un cri de douleur. Une mâchoire de métal venait de se refermer sur sa cheville, enfonçant ses dents dans la chair. La blessure commença à suinter à travers son pantalon, laissant couler le sang sombre de l’agent sur le sol. Ari, paniquée, essaya d’écarter le piège à loup pour que Percy puisse se dégager quand ils entendirent la porte de la maisonnette s’ouvrir. Johnson se figea, le souffle coupé. Une silhouette apparut, pointant un fusil dans leur direction. Un coup éclata, la balle siffla au-dessus de leur tête et arracha l’écorce d’un arbre tout proche. Le canon brilla à la lueur du feu, et l’homme ajusta son geste. Cette fois-ci, il ne raterait pas sa cible. Ari n’arrivait plus à bouger, persuadée que sa dernière heure était arrivée. Tout ce qu’elle entendit était Pendleton qui hurlait : « MI6 ! MILLER ! POSEZ VOTRE ARME, BORDEL ! ».
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