Chapitre Quarante-Et-Un : Celui qui cachait un passé sanglant

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« MI6 ! MILLER ! POSEZ VOTRE ARME, BORDEL ! »

En entendant la sommation, James Miller — alias George Barrie — se redressa, surpris d’entendre quelqu’un prononcer son véritable nom. Il sembla hésiter un moment, puis jeta son arme et leva les mains. Il s’approcha doucement, tandis qu’une femme avec de longs cheveux noirs pointait son arme sur lui. Un badge de la police brillait à sa ceinture. Il vit un homme souffrant, le pied pris dans un des pièges à loup qu’il avait placé là, se sachant en danger. Il savait que son passé le rattraperait un jour où l’autre.

— Les mains sur la tête ! À genoux ! cria la femme.

Il s'exécuta et elle se plaça derrière lui, faisant cliqueter ses menottes. James regarda le jeune homme. Il était blême, et il perdait beaucoup de sang.

— Je devrais pouvoir m’occuper de cette blessure, déclara Miller d’une voix rocailleuse. Mais ça va être compliqué avec ces menottes…

La femme jeta un coup d’oeil à l’homme au sol, qui opina du chef. Elle lui ôta ses entraves, tout en le mettant en garde.

— Ne faites rien de stupide, Miller, je vous tiens à l’oeil !

Le vieil homme écarta la mâchoire de fer sans trop de difficulté. Une grosse branche avait été prise dans le mécanisme, l’empêchant de se refermer complètement.

— Vous avez de la chance, s’exclama Miller. Sans cette branche, votre cheville aurait été broyée…

Il dégagea le pied de Pendleton hors du piège et releva le bas de son pantalon pour avoir une meilleure vue sur la blessure. La chair était déchirée par endroit, ressemblant à la morsure d’un monstre. Il s’adressa à la femme :

— Aidez-moi à le transporter à l’intérieur. Je dois le soigner sans tarder.

Elle le regarda une seconde, semblant le jauger, puis rangea son arme dans son holster et s’approcha. Ils transportèrent le blessé, qui grogna de douleur.

— Je suis désolé pour tout ça, déclara Miller. Qui êtes-vous ? Vous êtes du MI6 ?

— Inspecteur Johnson, police de Los Angeles, répondit la femme. Et voici l’agent Pendleton, du MI6…

Ils entrèrent dans la cabane et posèrent délicatement Percy sur un vieux canapé en velours brun recouvert d’une fine tapisserie aux motifs indigènes. L'intérieur, plongé dans la pénombre, sentait le bois et l’humidité. Un feu crépitait dans une cheminée de pierres, réchauffant un peu l’atmosphère. La décoration spartiate se résumait à quelques vieilles photos, un tableau de montagne et une peau de daim sur le sol. Dans un coin, une table basse était recouverte de canettes de bière et de boîtes de conserve vides, donnant une idée de l’hygiène de vie de l’habitant. Une canne à pêche, une hache et quelques outils trainaient dans un coin.

— Un agent du MI6, je comprends, souffla le vieil homme en déchirant le bas du pantalon de Pendleton. Mais que vient faire le LAPD dans ce trou perdu ?

— Nous sommes sur une enquête qui a débuté à Los Angeles, répondit Ari. Apparemment, quelqu’un en veut aux Tarantulas. Nous sommes venus vous prévenir.

Miller, qui était en train d’ouvrir une bouteille d’alcool, suspendit son geste. Puis il en versa une bonne quantité sur la blessure, faisant hurler Pendleton.

— Tarantulas ? Ça fait bien longtemps que j’ai plus entendu parler du groupe… Il y a des victimes ?

— Brisbane, Jeffreys et McCrowdt. Ils ont été assassinés. Je suis désolée.

Le vieil homme ne répondit rien. Il venait d’appliquer une compresse sur la blessure et était en train de bander la cheville de Pendleton, qui serrait les dents. Le silence s’épaissit, seulement entrecoupé par le bruit du bois crépitant dans la cheminée. Au loin, ils entendirent une chouette hululer.

— Comment m’avez-vous trouvé ? demanda Miller.

— Cela n’a pas été très compliqué, déclara Pendleton, qui commençait à reprendre des couleurs. Nous avons plus de moyens, aujourd’hui, pour retrouver n’importe qui sur le globe.

— Alors je suis un homme mort, répondit le vieillard.

Surpris par cette affirmation, Ari et Percival se tinrent coi un moment.

— Qu’est ce qui vous fait penser ça ? demanda finalement Ari.

— Nous autres, anciens Tarantulas, sommes des experts pour nous cacher, dissimuler notre véritable identité. Le Gouvernement nous avait assuré une retraite tranquille et complètement anonyme. Personne n’était censé connaître notre véritable identité. Et vous me dites que trois de mes compagnons ont été tués. Il est évident que le tueur fait partie, ou est engagé par quelqu’un de la maison.

S’il fut surpris, Pendleton n’en laissa rien paraître. A bien y réfléchir, James Miller avait raison. Qu’un agent soit tué, soit. Il aurait pu être victime d’un meurtre crapuleux, sans aucun lien avec son passé. Mais trois, en seulement quelques jours ?

— Vous avez un nom en tête ? demanda Ari.

— Pas vraiment. Pas avec certitude. Déjà à l’époque, nous savions qu’il y avait une taupe. C’est d’ailleurs en grande partie pour ça que les Tarantulas ont été dissous.

— Ça et le massacre de Talkeetna, assena Johnson, sous le regard réprobateur de Pendleton.

Les yeux du vieillard se perdirent dans le vide, et Ari crut percevoir une profonde tristesse dans son regard.

— Cette nuit-là a été un véritable cauchemar. J’ai jamais compris pourquoi ils... Ils y ont tous participé, sauf Turner et moi.

— Parlez-moi de ce qui s’est passé, demanda Ari.

James Miller but une lampée d’alcool. Il en proposa aux agents. Ari refusa poliment, tandis que Percival accepta. Ca l’aiderait à supporter la douleur.

— A l’époque, commença le vieil homme, il y avait une mouvance écolo-radicale qui aimait s’attaquer aux multinationales, les Earth Defenders. On avait l’info qu’une cellule préparait un attentat visant une société pétrolière anglaise qui avait acquis des parcelles de terrain en contrefort de l’Alaska Range, pas loin d’ici. On parlait de forage pétrolier, ce qui allait fortement perturber la faune et la flore, avec des risques de pollution. Sans compter que les saisons de pêche et le commerce local allaient être fortement impactés. Les locaux étaient furieux. On ne sait pas trop comment les Earth Defender ont eu vent de ce projet, n’empêche qu’ils ont profité de la colère des habitants pour s’implanter. Notre mission était de les trouver et de les arrêter, quel qu’en soit le moyen. Après enquête, nous avons repéré un groupe basé à Talkeetna. Le chef du groupe, un certain Elias Alexie, était natif du village, et très apprécié.

— Alexie, murmura Percy. Je me souviens avoir vu son nom dans le dossier. C’était le fils d’un homme influent de la région. Une sorte de héros local.

— C’était un homme fier, déclara Miller. Il n’hésitait pas à ruer dans les brancards lorsqu’il constatait une injustice. Du coup, des sympathisants leur fournissaient le gîte et le couvert, ainsi qu’un entrepôt leur permettant de préparer l’attentat. Leur projet, de mon point de vue, avait du sens, d’autant que l'attentat ne visait pas de vie humaine. Leur but était juste de saboter les installations et stopper le désastre écologique. Mais nos patrons ne le voyaient pas de cet œil. La multinationale en question avait des liens avec le Gouvernement, et nous avons eu l’ordre de mettre fin à tout ça. Nous sommes arrivés dans le village, début août. Nous étions soi-disant une équipe de scientifiques venu étudier les Dena’ina, sous prétexte de les aider et conserver leurs valeurs traditionnelles. Il y avait Charlie Jeffreys, John Brisbane, Jasper Kain, Alistair McCrowdt et moi. William Turner est arrivé après, juste quelques jours avant la fameuse nuit. Il avait d’autres obligations, et on l’a fait passer pour le responsable de l’équipe scientifique, qui venait vérifier notre travail. Il a fallu plusieurs semaines, à prendre des échantillons, soigner des malades, recueillir des témoignages, pour que les villageois nous fassent confiance. Rien ne semblait indiquer que la cellule terroriste se trouvait là. Le secret était farouchement gardé. Entretemps, j’ai rencontré Tikaani. J’ai essayé de rester concentré sur ma mission, mais nous sommes vite tombés amoureux. Et plus le temps passait, moins j’avais envie d'exécuter cette véritable mission pour laquelle nous étions là. Et… Bon… Assez rapidement, elle est tombée enceinte. J’ai sérieusement pensé à raccrocher et l’épouser. On aurait pu être heureux. Mais le moment que je redoutais est arrivé. Nous avons fini par repérer Alexie comme étant notre cible principale. Nous avons aussi identifié les autres membres de son groupe. Et cette nuit-là, Jasper nous a dit que nous avions l’ordre de passer à l’action.

Les yeux du vieil homme s’embuèrent. Il prit un moment à se ressaisir.

— Je savais quelle tournure risquait de prendre cette mission. On nous ordonnait d’effectuer une action offensive au milieu d’un village rempli de personnes innocentes, de femmes, d’enfants, de vieillards. J’ai jeté un œil du côté de William. Cette mission ne lui plaisait pas, lui non plus. Nous nous sommes mis d’accord, en secret. Je me suis arrangé pour mettre Tikaani en lieu sûr, et William s’est chargé de sa famille. Quand nous sommes revenus… C’était un carnage… Elias Alexie et ses complices avaient été abattus et ils gisaient au milieu de la rue principale. Leur entrepôt était en feu, ainsi que quelques maisons avoisinantes. Des villageois avaient voulu s’opposer et s'étaient vu pris dans la mêlée. Les gens criaient, pleuraient. Ils ne comprenaient pas pourquoi ces scientifiques si gentils et amicaux avaient tué des fils du pays. Il y a eu un mouvement de foule… et ils ont tiré dans le tas. D’abord Kain et Jeffreys… Les autres ont suivi. Sauf Turner et moi. Nous nous sommes enfuis dans la montagne et rapidement, un hélico est venu nous exfiltrer. Les Dena'ina n’ont jamais su qui nous étions vraiment. Lors du rapport, les autres ont parlé de dommages collatéraux. Qu’importe pour nos supérieurs. La mission était remplie, même si des innocents sont morts. Pour ma part, j’étais tellement dégoûté que j’ai pris le large quelques temps.

— Vous en avez profité pour cacher le microfilm, assena Percy, fixant le vieillard de ses yeux rouges.

James Miller reprit une rasade d’alcool en regardant l’agent anglais. Il mit du temps à répondre.

— Je me demandais quand vous alliez me poser la question. Apparemment, vous êtes au courant du fait que le microfilm a disparu durant cette période. Je sais qui l’a pris. Mais ce n’est pas moi. Et ne comptez pas sur moi pour vendre la mèche.

— Nous savons que c’est Turner qui l’a subtilisé. Nous savons aussi qu’il l’a caché, ou donné à quelqu’un de confiance. Mais nous n’en savons pas plus, et l'intéressé ne pourra, hélas, pas nous aider.

Ari se tourna vers Pendleton. Elle avait le souffle coupé. Durant tout ce temps, il savait que c’était le père de Jake qui avait pris le microfilm, mais il s’était bien gardé de la mettre dans la confidence. Elle ravala ses reproches, et tenta de se concentrer sur leur enquête.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi être revenu vivre sur le lieu de cette tragédie ? Les habitants ne vous ont pas reconnus ?

— Je suis revenu une première fois, de nuit, pour retrouver Tikaani. Je lui ai tout raconté. Je voulais qu’elle comprenne. Mais elle m’a rejeté. Elle ne voulait pas que son enfant soit élevé par un homme comme moi. Alors je suis parti. Plusieurs années plus tard, j’ai appris qu’elle était morte. Cancer du poumon, alors qu’elle ne fumait pas. Ses parents aussi étaient partis, quelques années plus tôt. Je me suis renseigné ici et là et j’ai retrouvé mon fils. Il était dans un orphelinat. Je suis venu le chercher et nous avons vécu un moment ici. C’était lui, surtout, qui allait faire les courses au village. Moi, j’ai changé, physiquement. J’imagine que c’est toute cette histoire qui me bouffe de l’intérieur. Bref, tout ça pour dire que je pense que personne ne m’a reconnu.

— Et votre fils ? demanda Ari. Où est-il, aujourd’hui ?

Le vieil homme baissa la tête.

— Je voudrais bien le savoir. Un beau jour, il s’était volatilisé. Il a dû en avoir marre de mes crises d’alcool. Je crois qu’il avait lu mon journal, celui où je parle du massacre. J’imagine qu’il n’a pas pu me pardonner. Je n’ai plus de nouvelles depuis.

Ari changea de position sur sa chaise et s’approcha de Miller.

— Comment s’appelle votre fils, monsieur Miller ?

— Fargo. Fargo Wolfheart.

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