Chapitre Quarante-Deux - Ceux que la maison attendait

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Ballotté à l’arrière de la voiture, Vince était blanc comme un linge. Liv avait une façon de conduire pour le moins… sportive. J’y étais habitué, mais mon ami à côté de moi se cramponnait à la poignée comme si sa vie en dépendait. La place du mort était occupée par Manolo, qui, bien qu’habitué à ce style de conduite, n’avait pas l’air très à l’aise non plus. Cela faisait plusieurs heures que nous roulions, en direction de Cayton et notre maison d’enfance.

Avant d’arriver à la maison, il y a une longue route qui longe la plage, l’A165. Il faut tourner à gauche avant le village, et on arrive à Killerby Cliff. C’est un ensemble de maisons isolées avec vue sur la mer, le genre d’endroit où on peut entendre le vent, les oiseaux marins, et où la nuit, il fait vraiment noir, avec le grondement des vagues au loin. Parmi les cottages et les nouvelles constructions, plus modernes, se trouve une maison, sur un terrain ombragé par quelques arbres et un grand saul pleureur. Un sentier mène à un garage, détaché de la maison. Aujourd’hui, c’est un airbnb nommé “Killerby House”.

Cette maison, c’ est surtout celle où nous avons grandi, Liv et moi.

Elle nous a vu enfants, jouant et chambardant dans tous les sens. Elle nous a vu grandir, devenir des adultes. Mais elle a été aussi témoin de notre désespoir lorsque nos parents ont disparu. Elle a assisté à ma dégringolade dans un tourbillon d’alcool et de violence, et elle a vu Liv se démener pour nous garder à flot, entre ses études d’avocate et la vie, qui ne nous faisait pas de cadeau. En voyant son toit de tuiles grises, au loin, mon cœur s’est serré. Tout me ramenait à mes parents. La mer, le cri des goélands, l’air chargé d’iode, et cette demeure, autrefois habitée par nos rires et les chansons de mamà. Liv, silencieuse, semblait, elle aussi, transportée des années en arrière, lorsque notre seul souci était de savoir ce que nous allions faire de nos journées de vacances.

Au loin, avant d’arriver, j’ai vu une voiture garée devant la maison, démarrer et s’éloigner assez rapidement. Sur le moment, je n’y ai pas trop prêté attention, mais j’allais y repenser plus tard.

Madame Barnett, l’actuelle propriétaire de la maison, avait laissé les clés dans la boîte aux lettres. Il y avait aussi une enveloppe sur laquelle était inscrit nos noms, à ma sœur et moi. J’ai pensé que Madame Barnett nous laissait des informations à connaître sur la maison et je me suis dit que j’y jetterai un oeil plus tard.

Nous nous sommes engagés dans l’allée menant au garage qui, autrefois, abritait la Mustang de mon père. La balançoire sur laquelle j’essayais de battre des records de voltige était toujours là, repeinte en blanc. A part cet infime détail, rien n’avait changé. C’était d’ailleurs assez troublant et Liv et moi avions l’impression d’avoir voyagé dans le temps.

Ce sentiment fut vite remplacé par une pointe de déception en voyant qu’à l’intérieur, notre foyer n’était plus qu’un souvenir. La propriétaire avait, et c’est normal, complètement redécoré la maison. Le mur entre la cuisine et la salle à manger avait été abattu, transformant l’espace en vaste pièce à vivre muni d’une cuisine moderne avec ilôt central. Quant aux chambres, elles étaient prêtes à accueillir des touristes venus profiter du charme côtier du Yorkshire. Je me suis dirigé vers mon antre d’adolescent pour constater — ay Dios mio — que les posters de groupes de rock et de stars du surf avaient été remplacés par un papier peint à fleurs et des cadres aux citations bateaux. Le bureau de papa aussi s’était mué en chambre double décorée de rose poudré, avec sa large baie vitrée donnant sur le jardin.

Nous avons déchargé les bagages et chacun s’est installé dans une chambre. La journée était déjà bien avancée, et nous étions fatigués par le voyage. Nous avons donc décidé de nous détendre ce soir-là, pour reprendre nos recherches le lendemain. Le soleil s’est couché, les mouettes se sont tues et une ambiance paisible s’est installée. Nous avons commandé des pizzas. Après le repas, Vince est allé se coucher, fourbu. Liv était en train de discuter avec Manolo, reprenant contact après toutes ces aventures que nous avions connues à L.A. Il y avait quelque chose qui se tramait entre ces deux-là, et j’ai pensé qu’il faudrait que je les tienne à l'œil.

Je me suis rappelé de cette enveloppe que j’avais trouvée dans la boîte. Je l’ai ouverte et j’y ai trouvé plusieurs feuilles manuscrites, recto-verso. En les examinant de plus près, je me suis figé.

C’était l’écriture de papa.

On aurait dit des morceaux choisis, des pages arrachées à ce qui avait dû être un journal qu’il tenait. Plusieurs années séparaient certains des événements relatés. J’ai lu le récit de la rencontre de mes parents, celui de notre naissance, à Liv et moi. Une mention à cette maison que nos parents ont acheté lorsque je suis né. Et puis d’autres pages, à l’écriture plus nerveuse, relatant des évènements sombres. Des missions secrètes, des assassinats commandités, des incursions en territoire ennemi… Mon père racontait sa vie de membre d’une organisation secrète, armée, au service du pays, qui n’hésitait pas à se salir les mains. En lisant ces pages, je pouvais plus facilement me représenter mon père, cet homme droit et trop sérieux, en tenue de combat et prêt à risquer sa vie et sa réputation pour protéger ses concitoyens. J’ai compris pourquoi, parfois, il semblait si soucieux, si loin de nous. A l’époque, je le prenais pour un vieux grincheux. Je ne savais pas.

Et puis la dernière page. Elle semblait venir d’un autre carnet. Le contenu était daté de la veille de son départ avec ma mère en Espagne, d’où ils ne reviendraient jamais. Mon père semblait en colère, plein de rancœur. Il avait découvert quelque chose. Il savait qui était « la taupe ». Il craignait pour sa vie. Il disait avoir caché le microfilm en lieu sûr, et que si son contenu était dévoilé, des personnes à la tête des plus hautes instances de l’Angleterre allaient tomber. Mon père parlait de complots, de traîtrise envers notre pays. Ne faire confiance à personne. Protéger la montre.

J’ai relu la dernière phrase, mon cœur explosant dans ma poitrine.

Ne faire confiance à personne. Protéger la montre.

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