Chapitre Quarante-Quatre - Ceux qui passaient à l’action

4 minutes de lecture

— Jake, ne recommence pas, tu sais que c’est impossible !

Liv me regardait, las de toujours me répéter la même rengaine. Les derniers mots que j’avais lus sur cette page du journal de papa m’obsédaient.

Ne faire confiance à personne. Protéger la montre.

Les mêmes mots que sur le message retrouvé l’avant-veille dans la boîte aux lettres de ma sœur. Ces mots, notés par mon père il y a plus de vingt ans dans son journal, se retrouvaient propulsés à notre époque.

— Imaginons que ce soit bien Jasper qui nous ait contactés, argumenta-t-elle, il serait logique qu’il utilise ces mots. Il a fréquenté papa de près pendant des années.
— Il y a quelques heures tu te méfiais de lui, lui ai-je répondu, et maintenant c’est ton chevalier blanc. Comme c’est pratique !

J’avais bien conscience d’être lourd. Le regard que me lançaient Manolo et Vince me le confirmait. Mais quelque chose clochait : je le sentais dans mes tripes. Vince s’approcha et passa son bras autour de mes épaules.

— Viens. On va faire un tour…

Nous partîmes en direction de la plage. C’était un de ces matins à la météo incertaine, entre éclaircies et vagues de froid intense. Le vent nous fouettait le visage et les mouettes, hurlant au-dessus de nos têtes, avaient l’air de méchante humeur. Comme moi. Je respirais à pleins poumons, profitant de l’air iodé, essayant de me calmer. Debout sur cette plage que j’avais arpentée tant de fois, les souvenirs se bousculèrent dans ma tête et ma gorge se serra.

— Comment tu te sens, mec ? me demanda mon vieux compagnon.
— J’en peux plus, Vince. Ça fait plusieurs jours que j’essaie de joindre Ari, sans succès. Mon meilleur pote a un cancer et quelque chose en moi me hurle que mon père est vivant.

Vince baissa la tête.
— T’inquiète pas pour moi. Je vais pas me laisser crever comme ça. J’ai de la ressource. Pour Ari, sa mission est délicate. Je suis sûr que tu auras bientôt de ses nouvelles. Maintenant, concernant ton père…

Il sembla hésiter, comme s’il cherchait la meilleure manière de me dire ce qu’il avait sur le cœur.

— Je sais pas quoi te dire, mec. Parfois la vie te file un grand coup de pied dans les couilles sans raison. Et parfois les gens ont de très bonnes raisons de faire quelque chose… et à un moment, tout ce bordel trouve sa place, et tu comprends tout.

Je n’étais pas sûr d’avoir saisi ce qu’il voulait dire. Mais je perçus que, même maladroitement, Vince essayait de me réconforter. Et ça marchait. Je me sentais déjà plus calme.

— Ok, repris-je, rasséréné. On doit décider de la marche à suivre. Il faut s’assurer que Jasper est réglo avant d’aller plus loin. Il n’y a pas de demi-mesure dans cette histoire : soit il est avec nous, soit il fait partie des méchants. Et si c’est le cas, il faudra être sur nos gardes. J’ai le sentiment qu’il peut être vraiment dangereux.
— Tu as raison, déclara Vince, le regard rivé sur l’horizon. Faut pas se fier à l’image du vieil homme sympathique. C’est un ancien mercenaire, il a de la ressource. Quand on a reçu le premier message d’Ari, j’ai fait mes petites recherches sur ces fameux Tarantulas. Rien sur l’internet public, mais j’ai trouvé deux-trois infos intéressantes sur le dark web : des messages sur un forum — un gars racontait que son propre père avait été un Tarantula et qu’il avait participé à un massacre dans un village en Alaska. Un type lui a répondu : il prétendait être un ancien membre du groupe, qui avait rengainé parce qu’il n’acceptait pas leur façon d’agir. Il lui proposait de l’engager pour, je cite, « être son bras armé, pour la justice et la vengeance ».
— Merde, murmurai-je. Quelle bande de tordus. Et donc… ce serait ce bonhomme qui a commis ces meurtres ?
— Y a de fortes chances. Dès qu’on pourra joindre Ari, faudra qu’on lui en parle. Mais pas au téléphone.

Nous restâmes silencieux un moment, écoutant le ressac des vagues s’écrasant sur les rochers. Je regardai Vince ; je crois ne lui avoir jamais vu un air aussi grave. Cette histoire le tracassait. À moins que ce ne soit son cancer.

— Parle-moi, Vince, dis-je. Dis-moi à quel point ça pue pour toi.

Il ne dit rien pendant un instant. Puis, quand il reprit la parole, sa voix était rauque.

— C’est plus grave qu’on ne le pensait. Ça s’est étendu à la vessie. Je dois me faire opérer, puis ce sera la chimio. Mais je sais pas trop si ça en vaut la peine.

Cette nouvelle me plongea encore plus dans le désespoir. J’eus la bouche sèche, la gorge nouée. Mais je ne voulus pas le lui montrer.

— Mais bien sûr que ça en vaut la peine, lui dis-je. Mec, t’es loin d’être fini.

Mon vieil ami baissa la tête un instant, puis me regarda en face.

— Ouais, bref. Rentrons, je me gèle les miches. Il faut établir un plan clair avec les autres.

Je savais qu’il parlait de notre affaire. Et je savais aussi qu’il était hors de question que je parle de son état de santé aux autres.

Nous retrouvâmes Liv et Manolo dans la cuisine et leur exposâmes les derniers éléments. Très vite, il devint évident qu’il fallait enquêter sur Jasper. C’est là que Liv proposa une idée complètement folle.

— Je pourrais attirer Jasper hors de chez lui, ce qui vous laissera le temps d’aller y jeter un œil.

Vince, Manolo et moi n’étions pas trop chauds. Même si ce plan pouvait marcher, il était dangereux pour ma sœur. En voyant nos têtes, elle monta sur ses grands chevaux.

— C’est bon, les mecs. Je ne suis pas en porcelaine ! Je veux participer, sinon je vais devenir folle ! Et je sais me défendre, si besoin !

Je dus confirmer, des souvenirs douloureux de nos disputes d’ados me revenant en tête.

— Ok, dis-je, voici comment nous allons faire…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maxime Close ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0