La fenêtre noire

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Décembre 665. Mon père vient de mourir. Je suis effondrée. Comme je viens de devenir une femme selon ma nourrice, je n’ai pas le droit d’assister aux funérailles. Je ne comprends pas vraiment ce que cela veut dire « devenir une femme ». Il est vrai que ce matin en me levant j’ai eu une immense frayeur : mon lit était ensanglanté. J’ai hurlé, croyant que j’allais mourir à mon tour. Dalya, ma nourrice donc, m’explique que cela est normal que le sang sorte par « là » à mon âge. J’en reste sans voix. Ma mère en l’apprenant a viré au blême et m’a prié de retourner dans ma chambre jusqu’à nouvel ordre.

Une semaine plus tard, Dalya m’apprend qu’un mariage de convenance va être célébré. Ma mère, plutôt que de nous enfermer dans un couvent, préfère prendre un second mari. Il est vrai que deux femmes ne peuvent vivre seules dans un château : cela n’est pas convenable.

Nous emménageons dans notre nouveau chez nous, à des kilomètres où j’ai grandi. Le château du compte Nocturna est aussi sinistre que son nom : immense, gris à la limite du noir avec des immenses meurtrières. Il n’y a aucune fenêtre qui perce cette muraille.

Il doit faire bien sombre là-dedans.

Effectivement. En entrant dans le château, je me fais happer par la nuit. Le majordome me conduit à mes appartements. Il est aussi noir que son maître. En passant par un énième couloir, je remarque une immense fenêtre noire, entourée d’un rideau pourpre, maintenu par une corde dorée. Intriguée, je m’arrête.

Il n’y avait pourtant aucune fenêtre sur la façade.

« Je ne m’arrêterai pas ici si j’étais vous mademoiselle. Cette fenêtre n’est pas ce que vous croyez. Je vous conseille vivement d’en oublier son existence. »

Ses paroles me glacent les sangs. Dalya n’est plus là pour me soutenir : elle a été congédiée. Une nouvelle servante m’a été attribuée mais elle ne me convient pas. Froide, distante et blanche comme la craie, elle ne laisse voir aucun de ses sentiments et ne dégage aucune chaleur.

La fenêtre continue de m’intriguer. Je n’arrête pas d’y penser. Pour me la sortir de la tête, je pars à la recherche de la bibliothèque du château afin d’y trouver un peu de lecture. J’y trouve la généalogie de la famille Nocturna. J’y jette un œil curieux.

« Ma filiation vous intéresse-t-elle ma chère ? »

Je sursaute. Je n’ai pas entendu mon beau-père s’approcher de moi.

« - Bonsoir, Monsieur le comte. Pardonnez-moi… Je… Je ne vous ai pas entendu entrer…

- Ne vous excusez pas belle enfant. Je vais vous épargner de la lecture : je suis un descendant direct de valeureux chevaliers qui ont combattu les ténèbres par les ténèbres. Non. Soyez sans craintes… ne tremblez pas devant moi, je suis votre protecteur après tout… »

Il rit. Ce son me fait froid dans le dos. Son sourire est pourtant beau et son visage avenant, malgré la cicatrice qui lui barre la joue gauche. En regagnant mes appartements, je passe devant la fameuse fenêtre. Je m’en approche et tend la main vers elle. Elle est soudainement saisie par une autre étrangement forte et glacée. Le comte me regarde d’un œil froid avant de m’interdire d’une voix caverneuse de toucher à cette fenêtre, à moins de vouloir y laisser la vie.

J’ai peur. Je hoche lentement la tête, ayant perdu mes mots. Son regard s’adoucit, il me lâche. Je fuis vers ma chambre et m’y enferme à double tour.

Nous sommes le soir du réveillon de la nouvelle année. Nous sommes à table et mangeons en silence un festin digne de rois. Un ménestrel est venu agrémenter la soirée de sa jolie voix. Je l’écoute d’une oreille distraite. Le majordome se penche vers moi afin de me proposer du vin rouge que j’accepte avec un plaisir non dissimulée. Je le vois qui sourit en me versant le breuvage.

J’en bois une gorgée, il est acre. Il me brûle un peu l’estomac. Je n’en ai bu qu’une gorgée mais voilà que ma vue se brouille et que ma tête se met à tourner.

Je me sens balloter. Il semblerait que quelqu’un me porte. Père ? Non. Père est mort il y a un mois déjà. Et puis ce n’est pas son odeur : celle-ci piquent le nez comme de la cendre ayant reposé longtemps dans la cheminée. Ses mains sont anguleuses, ses doigts entrent dans ma chair comme des ongles acérés. Je l’entends rire tout bas…

« Seigneur Noir, j’arrive… Je vais vous ouvrir… J’apporte la jeune fille… »

Que se passe-t-il ? Je n’arrive pas à bouger. J’entrouve les yeux… Je suis devant la fameuse fenêtre noire…

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