Le murmure des ténèbres
Il arriva devant la grotte. Comme on le lui avait dit, un vieil homme était là, assis sur une chaise usée, mais qui semblait tout à fait à son aise.
Il fumait une pipe au design élaboré.
L’odeur était un mélange fumé, épicé-mielleux, résineux et terreux. Comme s’il fumait un cadeau de Mère Nature.
Le vieux ne bougea pas, ne lui jeta même pas un regard, puis dit :
— Pourquoi es-tu là, petit ?
À quarante ans passés, il se sentit flatté et vexé à la fois.
— On m’a indiqué que dans cette grotte se trouvait un trésor. Vous êtes le gardien de ces lieux ?
Cela fit rire le vieux. Il répéta, l’air guindé :
— “Vous êtes le gardien de ces lieux ?” Ha, ha, ha !
Décidément, ce vieux commençait à agacer le quarantenaire. Pas un regard, traité comme un petit, et moqué en plus…
Le vieux reprit :
— Calme-toi, gamin. J’ai peu de visiteurs assez fous pour venir ici. Tu sais qu’il n’y a pas qu’un trésor dans cette grotte, mais les ténèbres aussi.
— Ça tombe bien. On me dit souvent que je suis un beau ténébreux. Je devrais leur plaire, sans doute.
— Ha, ha ! Un marrant ! Tu es un vrai rafraîchissement, mon garçon. Tu es donc au courant pour les ténèbres ?
— Oui, on associe souvent les ténèbres à quelque chose de mauvais, comme s’il fallait s’en méfier. Pourtant, ça peut tout aussi bien être un lieu de refuge ou de réconfort.
— Hum… malin, en plus… Tu n’as pas peur ?
— Sans ténèbres, nous ne pourrions apprécier la lumière. Et même dans les plus profondes, il y a toujours une lueur — même imperceptible, mais toujours présente. Donc, on peut toujours en sortir.
— Tu choisis donc d’y plonger pour y trouver ce fameux trésor.
— Certainement !
— “Certainement !”, répéta le vieux, faussement sérieux. Tu sais, petit, avant de pouvoir trouver le trésor, tu devras apprendre à entendre, comprendre et écouter les ténèbres.
— Je peux aussi allumer la torche. Je ne suis pas venu les mains vides, dit-il en montrant l’énorme sac sur son dos.
— Idiot, pesta le vieux. Si j’avais pris ma canne, je te l’aurais jetée en pleine figure.
— Vous délirez, monsieur. Je suis juste rationnel.
— Bien, petit. Alors va. Je t’ai dit ce que tu devais savoir.
— Vous ne m’avez absolument rien dit d’éclairant.
— Tu n’as seulement pas écouté. Eh bien, va. Si on se revoit, que tu reviens de ce côté, la queue entre les jambes, tu ne pourras pas dire que je ne t’ai pas prévenu.
Après quelques jours, le ténébreux revint, pitoyablement.
— Imbécile, ria le vieux, toujours la pipe à la main.
— Je ne comprends pas. Malgré la lampe, j’avançais… mais je ne voyais rien.
— Non. Tu n’écoutais pas.
— On n’écoute pas une grotte.
— Non. On écoute les ténèbres.
— Oui, oui… et elles nous mènent au trésor.
***
Des années plus tard, après de multiples dépressions, le ténébreux se rappela le vieux, et ses mots :
“Avant de pouvoir trouver le trésor, tu devras apprendre à entendre, comprendre, et écouter les ténèbres.”
Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus besoin de grotte pour être dans les ténèbres.
Elles avaient trouvé domicile en lui.
Pourra-t-il les entendre ?
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