Chapitre 6 (Daemon)
— Putain de merde ! Humilié par ma propre mère devant cette gamine !
Je frappe mon bureau du plat de la main, frustré. Jimmy, le rouquin, entre une seconde plus tard.
— Elle est comme ça, ta mère. Quand quelque chose ne lui plaît pas, elle te le dit.
— Je sais ! Mais merde, pas devant elle !
Je passe une main dans mes cheveux, essayant de calmer ma colère. Ma mère a toujours fait partie de ce monde. Elle a toujours été là lorsque mon père prenait des décisions risquées ou non. Pourtant, elle ne l’a jamais contredit devant ses hommes. Elle ne lui aurait pas imposé ce manque de respect.
Bien sûr, mon père se faisait sermonner en privé lorsqu’elle n'était pas d’accord. Mais jamais devant les autres. Pour ne pas montrer qu’il pouvait avoir tort. Pour éviter que sa parole ne soit remise en doute. Alors pourquoi avec moi elle ne s’en prive pas ? Oui je suis son fils. Oui elle a le droit de me dire ce qu’elle pense. Mais pas devant mes hommes. Contester mes décisions devant autrui c’est me rendre faible et vulnérable. Je suis le seul à pouvoir diriger ici. Elle ne peut pas continuer à faire ça.
Je dois faire descendre ma rage. Je change donc de sujet.
— Sinon, ça avance avec les Tolkins et les James ? Demandais-je.
— On a livré toute la drogue qu’on avait aux James, mais on n’a que la moitié de ce qu’on leur doit. Les Tolkins pourraient nous fournir la suite, mais ils demandent d’être remboursés avec notre nouveau produit.
Je grogne, exaspéré. Toujours des problèmes. Je n’en ai déjà pas suffisamment ?
— Ça m'aurait étonné qu’ils demandent juste un remboursement loyal… Ces salauds savent exactement où frapper pour nous ralentir. Putain ça va nous prendre deux fois plus longtemps de les rembourser eux, que de produire la drogue des James.
— Et les James n’attendront pas.
— Je sais. Préviens Mick. Qu’il s’occupe de ça ce soir. Moi, je vais dormir.
Je ne sais pas comment on va gérer ça. C’est arrivé au pire moment. Nous avons toujours eu des tensions avec les James mais ça c’était apaisé ces dernier temps, depuis que nous nous fournissons mutuellement en évitant la concurrence. Nous avions trouvé un terrain d’entente depuis la mort de mon père. J’étais sûrement plus flexible. J’avais décidé d’arrêter de produire des armes. Ainsi, nous nous concentrions sur la production de drogue pendant que les James gardaient le trafic d’armes et s'occupaient de la distribution des stupéfiants. Je n’avais plus envie de me battre contre eux pour quelques sous.
En revanche, les Tolkins en ont bien profité. Ils nous ont certes bien aidé avec ce gang mais ils nous mettent aussi bien dans la merde. Notre nouveau produit vient seulement d’être testé. Certes, il est très puissant. Il permet de planer plus longtemps et sa dépendance est telle que nous allons nous faire rapidement des clients réguliers. Mais, nous commençons tout juste sa production et nos chimistes sont encore assez lents. Nous allons mettre tellement de temps pour les rembourser.
Je n’aurais pas pu prévoir une telle catastrophe. Tout s’est enchaîné et j’ai dû prendre des décisions rapidement. Espérons que ça ne me rapporte pas plus de soucis.
Plus tard, sous l’eau chaude de la douche, je sens la tension se dissiper. L'eau ruisselle sur mon corps, brûlante, cherchant à laver plus que la sueur et la poussière. Je ferme les yeux, laissant la vapeur m'envelopper, mais l'image d'Aria s'impose, tenace, plus réelle que la chaleur de l'eau.
Cette gamine... Elle s'incruste dans mes pensées comme une épine. Un parasite délicieux. Putain. Elle est ultra bandante. C'est un fait, brut et incontournable. Sa fragilité, couplée à cette rage qu'elle tente maladroitement de contenir... Un mélange enivrant. Je revois la courbe de ses seins, devinant leur moelleux, leur poids parfait dans une main. Et ses réactions... Toujours à fleur de peau en ma présence. Un frisson, un regard qui fuit, une rougeur qui lui monte aux joues. De la peur, oui, mais autre chose aussi. Quelque chose de plus sombre et de plus intéressant.
Ma main se pose sur ma verge, déjà tendue et lourde. Je commence par des allers-retours lents, la paume moite glissant sur ma peau. Dans le brouillard de la douche, je l'imagine. Agenouillée. Ses yeux noisette levés vers moi, pleins de rébellion qui me fait durcir davantage. Ses lèvres s'entrouvrent. Putain, ce serait trop bon. Sentir sa bouche tiède, son hésitation, puis son abandon.
Je ne comprends pas. Pourquoi elle ? Pourquoi cette obsession soudaine, ce mélange de désir pur et d'agacement profond que je n'arrive pas à dissiper ? C'est ridicule. Je me cogne la tête contre le carrelage froid, cherchant un peu de lucidité. Je suis sûrement juste en manque. En manque de sexe, de chaleur, de connexion charnelle brute. C'est logique. Aucune femme ne traîne ici, et mes hommes... ne m'excitent pas vraiment.
Je m'appuie plus lourdement contre le mur, les muscles tendus. J'accélère le mouvement, le rythme saccadé. L'image dans ma tête change. Ce n'est plus sa soumission que je vois, mais son regard dans la pièce de torture. Cette lueur haineuse, brillante, et en même temps, cette étincelle d'excitation inavouable quand ma langue a léché le sang sur sa coupure. Cette contradiction, cette terreur mêlée à... je ne sais pas. C'est ça. C'est ce poison qui coule dans mes veines.
Un grognement rauque m'échappe. La jouissance me frappe avec une violence rare, me vidant l'esprit et le corps. Des ondes électriques parcourent mes jambes. Putain ! Ça n'a rarement été aussi intense, aussi... dégradant.
Le souffle court, le front contre le carrelage maintenant froid, la honte déferle. Me voilà à me branler comme un gamin sur une otage, une gamine. Je suis pathétique. Un chef, prétendument terrible, réduit à ça. Il faut que je trouve quelqu'un. Vite. Une femme, une pute, n'importe quoi pour évacuer cette tension malsaine et reprendre le contrôle. Sur moi. Sur elle. Sur tout ce bordel.
A quatre heures du matin, Mick vient me réveiller pour que je vienne accueillir Alexander James. Le patriarche de la famille. Nous nous dirigeons dans la grotte principale où se trouve un grand homme musclé aux cheveux blancs. Il vient toujours en costume, pour me montrer qu’il est le plus puissant de nous 2. Il se croit supérieur. Mais ça ne trompe personne. Ou en tout cas, ça ne me trompe pas. Il ne m’a jamais fait peur. Ce n’est qu’un vieil homme qui joue encore les criminels.
Je m’avance vers lui et lui sert la main tout en faisant signe de partir à Mick. Son regard est froid et dur. Rien d'impressionnant. J’ai connu pire. Plus dangereux.
Son gang me fait encore peur car ils sont très nombreux et on y trouve beaucoup d’hommes loyaux et puissants. En revanche, leur chef n’est plus au même niveau.
Il a sûrement été un homme redoutable durant le règne de mon père. Mais, j’étais trop jeune pour le connaître. Ils ont toujours été en conflit. Ils n’ont jamais su s’entendre. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il essaie de donner le change, mais il devrait plutôt passer la main. Il n’a plus rien d’impressionnant et de dissuasif.
Il est trop âgé pour ça. Je le méprise et il ne voit rien. Il ne voit plus rien. Il n’a plus l’esprit pour comprendre ses adversaires. Je pourrais facilement le renverser, mais je préfère maintenir cette paix aux cas où j’aurais besoin d’eux.
— Que me vaut l’honneur de votre présence? Demandais-je sarcastique.
— Un honneur ? Je dirais plutôt un rappel. Les retards sont mauvais pour les affaires, et vous savez à quel point je déteste le désordre. Me demande-t-il suspicieux.
— Vous aurez ce qui vous est dû. Mais je ne suis pas du genre à travailler sous la menace.
— Ce n’est pas une menace, Jones. C’est une certitude. Dit-il avec un sourire froid et carnassier.
Je hoche la tête et nous nous dirigeons ensemble vers mon bureau. Nous nous asseyons. Étant donné qu’il fait partie des familles les plus importantes dans le trafic de drogue et autres business illégaux, il peut obtenir n’importe quelle information de n’importe quelle manière. Il a aussi de bon contact qui pourrait m’être très utile. Je me demande s’il pourrait m’apporter des informations sur la gamine.
— Vous avez déjà entendu parler des Wesley? Demandais-je.
— Bien sûr. Une vieille famille new-yorkaise. Pourquoi?
— J’ai croisé leur nom dans un dossier récemment. Vous dites qu’ils ont financé certaines de vos entreprises ? Répondais-je dubitatif.
— Parmi d’autres, oui. Mais ils sont connus pour avoir les mains dans plusieurs affaires... pas toujours très propres. Pourquoi vous me demandez ça?
J’ignore sa question et lui sors les rapports de nos dernières productions pour lui prouver que nous pourrons continuer à le fournir. Nous n'aurons pas de retard. Pas pour eux en tout cas. Les Tolkins nous ont déjà fourni la drogue nécessaire pour ne pas démarrer une guerre avec les James.
Nous sommes alliés mais seulement dans le but de servir nos intérêts. Si je venais à ne pas remplir la part du contrat, une nouvelle guerre éclaterait. Les Tolkins ne se rangeraient sûrement pas de notre côté. Certes nous traitons avec eux et ils sont plutôt arrangeants. Mais seulement tant que nous faisons ce qu’il demande. Il préférerait alors garder leurs ennemis proches d’eux plutôt que de se battre avec nous.
Cette catastrophe les a bien arrangés. Notre nouveau produit ne devait pas se retrouver sur le marché avant des semaines. Nous en avions fait la promotion. Nous avions fait testé nos potentiels acheteurs. Nous les avions séduits. Et maintenant nous étions bloqués. Trop en retard pour satisfaire tout le monde.
Nous devons donc apaiser les tensions les plus dangereuses avec l’aide du diable pour éviter une guerre.
Après le départ d’Alexander je réfléchis. Qui aurait cru que la gamine était issue d’une famille de criminels ? Avec ses airs de sainte nitouche, je la pensais irréprochable. Elle donne bien le change ! Est ce que quand on me croise on se dit que je suis une bonne personne ? Qui a un travail normal et légal ? Non. Evidemment que non. J’ai la tête du parfait criminel. Je ne me suis jamais fondu dans la masse. Ça ne m’a jamais dérangé. Mais, je ne pensais pas qu’il était possible de tromper à ce point le monde. Celle-là, je ne l’avais pas vu venir.
Je rejoins Mick posé sur un fauteuil, une cigarette à la main. Je m'assois à côté de lui.
— Tu savais que la gamine n’est en fait pas n’importe qui ?

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