Chapitre 8 (Daemon)
Je ne vais rien lui faire. Même si l’idée de la posséder brutalement me traverse l’esprit, je sais que ce n’est pas ce que je veux vraiment. Ce qui m’excite, ce n’est pas de la briser d’un coup, mais de la voir vaciller, incapable de savoir jusqu’où je suis prêt à aller. Son regard, mélange de peur et de défi, est déjà un régal en soi. La peur qu’elle ressent maintenant est largement suffisante pour commencer à l’assouplir, pour lui faire comprendre qu’elle n’a aucune échappatoire.
Je n’ai pas prévu de la libérer un jour. Son ancienne vie n’existe plus, et plus vite elle l’acceptera, plus vite elle trouvera une place ici. Elle pourrait se rendre utile, aider ma mère en cuisine, donner un coup de main à mes hommes dans leurs préparations. Je pourrais même lui offrir un quotidien supportable… si elle accepte de se soumettre et d’oublier qui elle était.
Je tourne autour d’elle, tel un prédateur, sans la quitter des yeux. Je ne cherche pas à masquer mon désir : je la reluque sans gêne. Je me sens ridicule. Moi, l’homme qui inspire d’habitude la peur, réduit à bander comme un adolescent pour un seul regard de cette fille. C’est insensé. Je dois rapidement me taper quelqu’un pour que ses idées ne me prennent plus la tête.
Je lui tourne le dos et sors de la pièce. Nous l’avons construit à notre arrivée pour nos ennemis ou nos traitres. Ces miroirs sans teint nous permettent d’observer n’importe quel captif afin de trouver ses failles. Ses faiblesses. Ce qui le fera craquer. Elle n’a pas pour but de nous donner un quelconque plaisir. Elle nous permet juste de comprendre notre proie, de la voir sous tous les angles dans son plus pur élément.
Mais je n’ai jamais eu l’occasion d’y mettre une femme. Nous avons bien des femmes dans notre organisation mais aucune ne vit sous terre et aucune ne nous a jamais trahis. Chez nos ennemis, elles sont rarement présentes donc je n’ai jamais eu ce plaisir.
Pour la première fois, j’ai envie de faire plus que de l’observer, de l’analyser. J’ai envie de jouer avec elle, de la faire plier à toutes mes volontés. J’ai envie de la briser, d’en faire ma chose afin que je puisse ensuite m’en débarrasser facilement.
Je rejoins Mick dans la pièce où nous pouvons l’observer. Il la fixe quand j’entre, sans me prêter attention. Je le vois la détailler de haut en bas avec désir. Ça m'énerve plus que de raison. Lui non plus n’a pas vu de femmes depuis un moment, c’est normal qu’il la regarde de cette manière mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir envie de le frapper.
Je me tourne vers Aria. Elle est suspendue la. Apeuré. Malgré tout, une pointe de défi continue de briller dans ses yeux. Elle continue de chercher à s'enfuir. Elle regarde à droite, à gauche, en haut. Son regard cherche partout. Un indice, quelque chose qui lui redonnerait un peu d'espoir. Mais il n’y a rien dans cette pièce. Rien qui ne puisse l’aider.
Son regard finit par s’arrêter sur moi. Comme ci elle pouvait me voir à travers ces miroirs. Elle me fixe. Elle ne détourne pas le regard. Elle ne cherche plus à analyser la pièce. On se fixe pendant ce qu’il me paraît être des heures. Un frisson me parcourt l’échine. Mon corps se tend. Pourquoi je réagis comme ça face à elle ?
Mick me tape l'épaule.
— Eh je te parle ! Me crie-t-il dans l’oreille.
— Quoi ? Réponds-je détaché.
— Tu vas faire quoi d’elle ? Tu comptes la garder combien de temps ?
Il m’agace avec ses questions. Je la reluque encore quelque instant, puis me tourne vers lui. Son regard est toujours chargé de désir. Et d’autre chose. Un je ne sais quoi qui m’agace plus que de raison. J’ai bien vu qu’il appréciait Aria. Mais elle reste notre captive. Une intruse. Est-ce qu’il oserait me trahir pour une femelle? Je n’espère pas. J’espère que notre collaboration vaut plus que ça.
Il faut qu’il comprenne que je suis toujours le boss ici. Que je suis le seul à décider. Je veux qu’il continue à m’être loyal, à me respecter et à me craindre.
— Je vais la briser.
Je sors de la pièce, Mick sur mes talons. Je ne m'intéresse pas à sa réaction. Je sais qu’il ne veut pas ça. Mais je suis seul à décider. Je vais la laisser ici. Je ne sais pas encore combien de temps. Jusqu’à ce qu’elle craque je suppose. Jusqu’à qu’elle me soit totalement dévoué. Totalement soumise.
Tout est calculé. Je ne laisse rien au hasard. Je sais ce que tout le monde fait ici. Je sais qui ils sont, pourquoi ils sont là. Et tous me respectent. Ils n’en sont pas obligés. Ils le font par loyauté. Ils me sont utiles et je leur suis utile.
Tout comme ces souterrains. Notre installation ici n’est pas anodine. Nous n’avons pas toujours vécu ici et je n’ai pas toujours été le chef de cette organisation.
La découverte de cette grotte s'est faite par hasard.
Ils nous sont tombés dessus. Les James. Ce gang qui nous a toujours pourri la vie. Qui ont toujours voulu ce que nous avions.
Ce soir-là, j’étais de livraison. Je devais apporter des armes et de la drogue aux Kozlov. C’était la première fois que nous traitions avec eux et tout s'était bien passé. Nous avions rapidement trouvé un terrain d’entente pour effectuer des échanges commerciaux équitables. J’étais accompagné par William. Nous nous étions rencontrés très jeune. Mon père l’avait amené chez nous un jour. Il nous avait dit l’avoir récupéré chez une toxicomane mais ma mère a toujours soupçonné que c’était son fils issu d’un adultère.
Nous avions grandi ensemble et fait toutes les conneries imaginables. Cigarettes. Drogue en tous genres. Putes. Casse. Vol. Nous avions touché à tout ce qui pouvait être illégal. Nous avions grandi dans cet univers. Mon père n’avait jamais caché qu’il était un producteur de cocaïne. Tout le monde le savait. Il payait la police pour qu’il ferme les yeux. Leur seule condition : ne jamais avoir de guerre avec un autre gang.
Jusqu’à ce jour. Nous longions le mont Rodson. William à côté de moi, nous étions euphorique de vivre notre première mission. Le danger était notre meilleure drogue, nous avions besoin de ça pour nous sentir heureux. Nous étions naïfs et insouciants. Mon père nous avait parlé des risques d’une livraison. Nous ne craignons pas les flics mais les James. Nous avions toujours été en conflit avec eux. Nous n'avions jamais pu nous entendre. Mon père nous avait bien préparé, il nous avait appris toutes les surveillances à faire. Il fallait toujours être attentif. Prêt en cas d’embuscade. Prêt à toutes éventualités.
Nous avions mis notre musique préférée, nous fumions un joint en rigolant. C’était notre première mission, il fallait fêter ça ! Inconscient que nous étions. Nous avions été préparé mais nous nous sentions mieux que tout le monde. Ce genre de chose n’était pas fréquente donc ça ne pouvait pas arriver.
Mais l’information avait dû fuiter. Quelqu’un avait dû dire que c’était nous. Les petits jeunes inconscients qui ne prenaient rien au sérieux.
Ils sont sortis de nul part. Du haut de la falaise, du ravin, de chaque côté de la route. Nous étions 2 faces à une dizaine de flingues. Nous étions défoncés. Pas du tout préparé. William est sorti de la voiture avec son flingue. Il a tiré à plusieurs reprises touchant 2 hommes qui tombèrent à terre. J’étais tétanisé. Incapable de bouger. Il fallait que je le rejoigne mais j’en étais incapable. J’étais terrorisé, je n’avais jamais ressenti ça. C’est nous qui terrorisions normalement.
Les coups pleuvaient. Les bruits stridents des balles me bousillaient les oreilles. Puis. Un autre coup. Différent. Et un hurlement. William était touché. Une balle dans l’épaule. Il s’accrochait à son pistolet en serrant les dents. Un autre balle fendue l’air dans ma direction. William cria. Je réussis à l’éviter de justesse et sortie de la voiture. Mon flingue fermement dans la main, je fixais William qui se prit une nouvelle balle dans le ventre. Il saignait. Les gouttes de sang tombant au sol résonnait dans tout mon corps en un écho glacial.
Je devais l’aider. Il le fallait.
Une nouvelle balle. Elle me frappa à la jambe. Je repoussais l’homme qui s'écrasait sur moi. William face à moi, m’avait sauvé. Il avait tué mon agresseur. Un autre coup parti. Le visage de William se couvrit de sang. Une larme roula sur ma joue. Il me sourit une dernière fois et bascula en avant. Étalé dans son sang, il gisait au sol. Six hommes étaient encore face à moi.
Je voulais courir vers lui. Tuer chaque membre de ce groupe. Le venger. Mais mon corps en avait décidé autrement. Je fuyais. Je courais à en perdre haleine. Un seul des hommes me suivait. Ils avaient jugé qu’un seul était suffisant. J’aurais pu le tuer. D’une seule balle. Mais j’en étais incapable. La vision de William sur le sol me hantait.
Les claquements de mes pas était le seul bruit que je pouvais entendre. Je savais qu’on me suivait. Je savais qu’on me hurlait dessus. Je savais que des balles filaient dans ma direction mais j’étais sourd.
Je continuais le plus vite possible. Mes muscles me brûlaient. Ma respiration était saccadée. Je n’en pouvais plus. J’allais tomber et me faire tuer.
Cela aurait été plus simple.
Mais soudain, je la vis. L’entrée d’une grotte. C’était la seule solution pour échapper à mon bourreau. Je m’y engouffrais sans réfléchir. J’avancé de quelques mètres et me faufilais derrière une roche.
L’homme passa devant l’entrée sans se douter que j'étais là.
Je glissais le long de la parois rugueuse. Il faisait froid, sombre et ça sentait l’humidité. Mais je trouvais le calme apaisant. Malgré tout, l’image de William envahissait mon esprit. J’étais seul avec ma honte.
Le petit matin arriva bien vite. Je n’avais pas envie de retourner à la civilisation, mais il fallait que je prévienne mon père. Je retournais sur le lieu du désastre. Personne n’était venu. Il gisait là. Seul. Dans le froid du mois de septembre. Dans son sang. Le camion avait disparu avec la marchandise. Ça m'importait peu. Mon meilleur ami avait été tué en me protégeant. Mon frère. Je n’avais rien fait.
Je m’approchais du corps. Un haut de cœur me pris la gorge. Je détournais le regard et pris le téléphone dans sa poche. Le mien était resté dans le camion. Je joignis mon père.
Quelque temps plus tard, on vint me chercher. Mick, le bras droit de mon père, ainsi que 2 autres hommes, chargeaient William dans leur camion. Je pris place à l’arrière, silencieux. J’avais merdé. Je m’étais sentie supérieur et invulnérable. J’avais été lâche.
Je trouvais mon père à l'hôpital. Il avait été blessé par 2 balles. Les James avaient aussi attaqué notre QG. Ils savaient où faire mal.
Deux traites. Deux personnes à qui nous avions fait confiance nous avaient trahis. Il avait rejoint leur gang depuis des semaines, leur donnant des informations sur nous et notre organisation.
En apprenant la guerre qui s’était déclenchée, les flics en avaient profité. Vingt voitures sont arrivées la même nuit, faisant une descente et ramassant tout le matériel que nous avions pu sauver.
Mon père, après s'être remis, avait été radical. Il avait viré tout le monde sauf son bras droit. Il m’avait gardé dans ses rangs alors que je ne le méritais pas. Il ne m’avait jamais parlé de ce soir-là. Je lui avais seulement parlé de ma cachette. Une grotte, humide et froide, où personne ne va car elle est fragile, dangereuse.
C’était parfait pour nous. Les James avaient découvert et détruit notre planque. La police était à nos trousses. Nous en avions besoin. Quelques aménagements et nous pourrions avoir un nouveau chez nous loin de cette nuit affreuse.
Mais j’étais hanté par cette soirée. J’avais perdu mon frère et nous nous établissions dans cet endroit où j'étais moi aussi mort.
Je me réveille en sueur. Ça faisait plusieurs mois que je ne pensais plus à William. Qu’il n’avait plus hanté mes rêves. L’ancien moi me dégoûte. Lâche. C’était le seul mot pour me décrire.
Plus jamais je n’ai été comme ça. Je suis devenu plus brutal. Tuer un homme ne me fait plus rien. La joie a disparu de mon cœur. Je ne suis plus qu’un être froid sans émotion. Mais c’est mieux comme ça. Pas d’attache. Pas de sentiments. C’est tout ce dont j’ai besoin pour être un bon leader.
Je me lève et me dirige vers la plus profonde des grottes. Un seul tunnel y conduit. Un tunnel naturel. Pas artificielle comme la majorité de ceux construit autour de notre grotte principale. Le passage est sombre, lugubre. Quelques lumières y sont installées ici et là. Mais pas assez pour être rassurante.
Nous l’avons gardé tel quel volontairement. Le but de cet endroit est d'inspirer la peur. J’avance lentement, savourant le calme et l’obscurité. L’humidité et l’odeur de cave ne me dérange plus, ils sont devenus familiers.
Arrivée au fond de ce long couloir, 3 cages noires apparaissent devant moi. En ce moment, une seule est habitée. Par un jeune homme, sûrement athlétique habituellement. Aujourd’hui, sa peau est grise, son corps cri famine. Quelques jours suffisent à faire dépérir un homme. Le manque d’eau est le pire châtiment. Nous lui en donnons seulement pour le garder suffisamment en vie pour qu’il souffre.
Il n’est pas un traître. Il n’est même pas un véritable ennemi. J’aurais pu faire comme Aria, lui trouver une place dans notre organisation. Mais, il nous a donné trop de fils à retordre. Pendant plusieurs dizaines d’heures, mes hommes ont dû le traquer. Le chasser tel une proie. Il a fui, s’est caché. Un amateur tel que lui n’avait jamais été aussi dur à capturer. Mes hommes l’ont finalement attrapé aux abords d’un commissariat de police. Il allait nous dénoncer. Il allait nous anéantir.
Je ne pouvais pas laisser cet affront impuni.
Cette idiot aurait pu partir. Ne jamais revenir. Il aurait pu nous oublier. Mais non, il a voulu jouer aux héros. Il a voulu se sentir supérieur comme moi à l'époque. Il aurait dû partir. Mais il a voulu sauver sa sœur.

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