Ugh, you again ?
La capitaine Olsen faisait les cent pas, le visage rouge, les yeux dans le vague. Le bruit sec de ses bottes sur le lino usé ajoutant à l’ambiance stressante du bureau. Tulik ne bougeait pas. Droit et digne, les mains dans le dos, il posait sur les deux femmes de l’équipe de service un regard sombre et glacial.
Il semblait totalement calme, mais T’nai L’kei Najak Davis n’était pas dupe. Les pupilles du capitaine étaient étrécies, la position de ses oreilles n’était pas la même qu’à l’ordinaire. Autant de signes que seraient passés inaperçus pour un humain – mais pas pour elle.
— COMBIEN ?! s’exclama Olsen, abasourdie, brisant le lourd silence.
— Quinze mille trois cent quarante-huit, si mes calculs sont corrects, répondit Najak.
— Quinze mille deux cent nonante-cinq, corrigea Tulik.
Najak leva les yeux au ciel, dans un geste typiquement humain que Tulik détestait au plus haut point.
— Vous avez laissé ces tribules se propager à toute la zone A7B ? s’enquit Olsen.
— Non, capitaine, dit Hazel.
— Alors que s’est-il passé ?
— Les tribules se sont multipliés indépendamment de notre volonté, expliqua Najak.
— Vous avez donc, par votre inactivité, permis la propagation des tribules dans toute la zone A7B puis, via la machinerie, aux zones A7A et A7C.
— Pas exactement, capitaine.
— Les tribules se sont enfuis, répéta Olsen.
— Oui, capitaine, confirma Hazel.
— Et vous aviez pour tâche de les retrouver.
— Oui, capitaine.
— Et d’empêcher leur multiplication avant que leur vaisseau ne soit envahi.
— Oui, capitaine.
— Ces tribules n’étaient pas stérilisés conformément au règlement de Starfleet.
— En effet, capitaine.
— Et la réserve contenait quelque quinze mille tribules.
— Apparemment.
Olsen se pinça l’arête du nez. Elle prit une grande respiration. Elle voulut dire quelque chose, mais Tulik la prit de vitesse.
— Si cela ne tenait qu’à moi, vous seriez consignées jusqu’à nouvel ordre – et même transférées, s’il s’avérait que les tribules ont atteint les systèmes internes. Mais, sur un vaisseau de la fédération, cela semblerait... excessif.
— Vous réparerez vos bêtises, aiderez à la décontamination, ramasserez tous ces tribules et vous débarrasserez d’eux ainsi que de cet abruti de Jones – lequel, d’ailleurs, moisit en cellule.
— Ça me semble très raisonnable, chuchota Hazel.
Olsen sourit.
— Ravie que vous pensiez ça.
— Inutile de préciser, ajouta Tulik, que vous devrez travailler ensemble.
Hazel voulut protester, mais se reprit juste à temps – ça ne se faisait pas.
— Très bien, capitaine, dit-elle.
— Un planning de détribulation sera mis à votre disposition au réfectoire demain matin – utilisez-le.
— Oui, capitaine.
— Rompez, ordonna Tulik.
Le lendemain matin, Hazel se leva à sept heures, se prépara comme tous les jours et se dirigea vers la cantine du vaisseau. Quelqu’un diffusait de la musique dans le couloir du secteur L5A. Elle avait l’impression d’être en boîte de nuit.
C’était une infraction à la règle 6b sur les nuisances au sommeil dans les secteurs habités. Mais cette infraction la mit de bonne humeur pour commencer ce qui s’annonçait comme une mauvaise journée.
Elle entra dans le réfectoire, s’approcha du synthétiseur de nourriture et appuya au hasard sur les touches. L’appareil gémit, grinça, puis sa commande se matérialisa. Son petit-déjeuner du jour était composé d’une part de gâteau aux pommes et d’un thé Earl Grey chaud.
Un bon petit-déjeuner pour bien commencer cette journée compliquée.
Hazel alla s’asseoir à sa table habituelle, mais constata qu’elle était déjà en partie occupée par la responsable des objets perdus, penchée sur un emploi du temps plastifié posé à côté d’un bol de soupe.
— Bonjour, enseigne Da- je veux dire, enseigne T’nai L’kei.
— Au vu de la manière dont vous le prononcez, il serait préférable que vous m’appeliez par mon prénom. Le vôtre est Hazel, c’est bien ça ?
— Oui.
— Alors, bonjour, Hazel, salua froidement la Vulcaine.
— Bonjour, Najak.
L’enseigne Davis lui tendit l’emploi du temps.
— Ce matin, nous devons détribuler la zone A7C.
Elle avala une cuillerée de soupe de plomeek.
— Un homme du service de décontamination m’a informé plus tôt que l’on devait passer prendre des gants et des sacs dans le secteur Z7E.
Une fois son bol fini, Najak se tourna vers Hazel.
— Je vais passer prendre le matériel. Au vu de la vitesse à laquelle vous mangez, cela me semble plus raisonnable.
Hazel acquiesça, la bouche pleine et des miettes sur le visage.
— Je vous attends à l’entrée de la zone A7C. Prenez votre temps.
Dès que la Vulcaine eut disparu dans le couloir, Hazel avala son petit-déjeuner à vitesse grand V, balança sa vaisselle sale dans le bac prévu à cet effet et s’élança dans les couloirs. Elle trébucha au coin d’un couloir, se releva immédiatement, et arriva au point de rendez-vous décoiffée et essoufflée, son uniforme tout froissé et poussiéreux. Najak l’attendait, deux sacs de collecte à la main.
Le secteur était envahi de tribules. Il y en avait partout. Le sol en était recouvert, certains étaient même montés aux murs ou sur les poutres, il sembla même à Hazel qu’il y en avait un au plafond.
— Bon, eh bien… bonne chance, articula l’humaine.
— Je ne crois pas en la chance.
Le bruit des tribules couvrit le soupir de Hazel. Elle en saisit deux et les jeta dans son sac.
Les deux enseignes tâchèrent de ne pas se parler. Chacune ramassa les boules de poils infâmes de son côté. La respiration de Hazel était un peu hachée – elle n’avait pas l’habitude de faire ce genre de choses. La détribulation était une tâche ingrate, longue, répétitive. Les deux femmes perdirent vite la notion du temps. Quand vint la pause de midi, elles continuèrent leur travail, imperturbables. Ni l’une ni l’autre n'avait faim.
— Je crois qu’on a fini, dit Hazel.
— Il en reste sur les poutres et les conduits, là.
— Ah oui.
L’humaine tenta d’attraper les petites créatures, mais même en se dressant sur la pointe des pieds, elle n’y parvint pas.
— Attendez, dit Najak. Je vais vous porter.
Hazel fit une drôle de tête. Elle n’était pas sûre que Najak réussisse à la soulever. La Vulcaine mesurait presque trente centimètres de moins qu’elle, et elle n’avait pas l’air très athlétique.
— Vous êtes sûre ?
La responsable des objets perdus ne prit pas la peine de répondre et souleva Hazel par la taille sans aucune difficulté.
— Légère comme une plume, railla-t-elle.
Hazel saisit un tribule, puis réalisa que son sac était resté par terre. Elle se pencha pour le récupérer.
— Non, s’il vous plaît, ne vous penchez p- ARGH !
Entraînée par le poids, Najak tomba en arrière, Hazel atterrissant lourdement sur sa poitrine.
— Rien de cassé ? demanda Hazel, mi-amusée mi-inquiète.
La Vulcaine rondouillarde avait amorti sa chute.
— Ma hanche me fait un mal de chien et vous avez votre main sur la mienne, je n’ai aucune envie de savoir ce que vous ressentez en ce moment, merci bien.
Hazel vira au rouge tomate, se releva d’une traite et, avec une gêne apparente, bafouilla quelques mots incompréhensibles que même le traducteur universel ne parvint pas à saisir. Elle ne connaissait rien à la télépathie – Qu’est-ce que la Vulcaine avait bien pu voir ?
Najak se releva lentement, passa ses mains ses vêtements pour les débarrasser d’une poussière invisible et toisa Hazel.
Elle avait touché sa main !
Indécent.
Indigne.
Inapproprié.
Bien trop intime.
Surtout pour une parfaite inconnue.
Pourtant, celui ne lui avait pas été désagréable.
Elle prit une grande inspiration et tenta de cacher son trouble.
— Tout va bien ? demanda Hazel ?
En l’espace d’une seconde, la Vulcaine avait rougi – ou le terme verdi était-il plus approprié ? -, passant de la fureur contenue à un air ahuri de chaton perdu, de fait assez adorable.
— Oui, oui, ne vous inquiétez pas, mentit Najak. Le contact avec vos pensées émotives et irrationnelles m’a pris au dépourvu.
Ses joues étaient brûlantes, ses pupilles dilatées. Elle espérait de tout son cœur que l’humaine n’allait pas s’en apercevoir.
Hazel n’était pas stupide. Elle avait n’avait que peu d’expérience des Vulcains, chèrement acquise au terme de briefings interminables du capitaine Tulik ou de longues heures passées à s’occuper de Kachina. Mais elle savait reconnaître une émotion quand elle en voyait une – et Najak était dans tous ses états. Elle ne lui fit pas remarquer de peur de la vexer.
— Je crois que notre journée est terminée, dit Hazel, d’un ton qui se voulait neutre. Il est presque l’heure de souper. D’ailleurs, je suis affamée, je vais filer au réfectoire.
— Bonne soirée, Hazel.
— À toi aussi, Najak.
Elle ne réalisa que quelques secondes plus tard qu’elle l’avait tutoyée – au fond, elle s’en fichait.
Najak Davis régla la douche poussive de sa cabine sur « sonique - moyen ». Le savon gratuit, fourni par Starfleet, avait une senteur florale chimique, bien trop forte à son goût. Elle y préférait les douches soniques qui, bien que beaucoup moins agréables, ne sentaient rien. Elle se frotta bien pour débarrasser sa peau des poils et de l’odeur des tribules, devenue insupportable. Quand elle eut l’impression d’être tout à fait propre, elle sortit de la douche et enfila un vieux pyjama vert et violet, moche mais confortable.
Elle avait médité, bu une tasse de son thé préféré et était maintenant prête à aller se coucher. Seulement, elle n’avait pas envie de dormir.
Illogique, se dit-elle. Dormir suffisamment est l’un des piliers d’une bonne santé.
Mais cette fois, la logique seule ne suffisait plus.
Son regard se posa sur son uniforme, roulé en boule sur le sol, juste devant les toilettes. Elle le ramassa, fit un mouvement pour le jeter dans son panier à linge sale, mais s’interrompit.
Le règlement de Starfleet indiquait que les uniformes devaient être changés tous les trois jours, ou dès qu’ils étaient salis ou en contact avec des contaminants.
Porter un jour de plus cet uniforme alors qu’il était entré en contact avec des tribules, un allergène reconnu, serait une infraction au règlement.
Une infraction que Najak avait très envie de commettre.
Le tissu avait une odeur toute particulière, chaude et agréable, comme un parfum de chocolat mêlé, de feu de bois, mais avec des sortes de notes florales.
De toute manière, elle allait ramasser des tribules le lendemain encore, à quoi servait d’arriver avec un uniforme décontaminé ? Ce n’était pas très logique, non.
Sans un mot, elle se saisit de l’uniforme propre qu’on lui avait fourni pour le lendemain, le froissa et le jeta dans le dévaloir à linge sale. Puis elle alla se coucher satisfaite.
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