Chapitre 1

9 minutes de lecture

Alexis

C'est d'un bond que je me réveille soudain. Un éclat de soleil s'est posé sur mes paupières et m'a ébloui. Je peine à reprendre mon souffle et jette un regard vers la table de nuit. Sauf qu'il n'y a pas de table de nuit, je n'arrive pas encore à m'y habituer. Je me penche alors pour ramasser ma montre. 10h passées.

Je fourrage dans mes cheveux, repoussant sur mon front ma mèche un peu trop longue. Oui, je sais, ça ne ferait pas de mal que je passe chez la coiffeuse. Mais pour cela, il faut que je prenne la voiture et que je descende jusqu'à Vals-les-Bains et... Et je n'ai pas envie de prendre la voiture. En fait, je n'ai pas envie de grand-chose.

Je me décide quand même et j'attrape un caleçon, un t-shirt et gagne la cuisine. Je mets la cafetière en route, puis, ma tasse à la main, je gagne la petite terrasse. Je tire une chaise de la table ronde en fer forgé et m'installe. Le soleil est déjà haut, mais l'air encore frais. Après tout, on n'est qu'au début du printemps...

Devant mes yeux, la montagne. En face, le village d'Antraigues-sur-Volane, perché sur son rocher. Un joli village, ma foi. Je ne connaissais pas, avant. Je n'en avais jamais entendu parler.

Je ferme les yeux un instant, je laisse le soleil me réchauffer. Ce soleil qui m'a réveillé. Alors que je rêvais ou plutôt cauchemardais en croyant que c'était toute autre chose...

**

Trois semaines plus tôt...

- Alexis, bordel ! Ah putain ! Mais...

J'avais fixé Nadège qui me regardait d'un air bizarre. La tête me tournait un peu, j'avais l'impression d'être soûl alors que je savais pertinemment que je n'avais rien avalé. Je bois modérément, seulement lors de fêtes avec les copains. Et là, je travaillais, donc non, pas d'alcool. Qu'est-ce qui se passait ? Pourquoi Nadège s'alarmait-elle ?

- Alexis ! La perf', merde !

Quoi, la perf' ?

Elle m'avait poussé, avait saisi le goutte-à-goutte, juré encore un coup... J'avais porté la main à mon front et là, je m'étais écroulé.

La lumière aveuglante du spot d'une des salles d'examens m'avait réveillé. J'avais vivement refermé les yeux. Ils allaient l'éteindre, oui ou merde ?

- C'est bon, il revient à lui.

- Pffiu... Il nous a fait peur, là.

- Alexis, ça va ?

- Je suis où ?

- Salle 8, t'es tombé dans les pommes en pleine intervention. Un coup de mou. Tout va bien. La patiente aussi, t'inquiète pas.

- Tu peux te relever ? On va t'aider à te redresser.

J'avais cligné des yeux, hésitant à les ouvrir : je sentais bien que la lumière froide était sur moi, en plein dans mon visage. J'avais fait un vague geste de la main ; Adrien, médecin-chef des urgences, venait de me parler. J'avais senti deux poignes solides se glisser dans mon dos et m'étais retrouvé assis. J'avais rouvert les yeux. Petit à petit, la conscience du monde qui m'entourait m'était revenue. J'étais en salle d'observation, avec une patiente arrivée pour... pour quoi déjà ? Diabète ? Infarctus ? Fracture ? Urgence non vitale ? AVC ? Je ne savais plus...

- Est-ce que ça va ? m'avait encore demandé Nadège.

Je l'avais regardée d'un air sans doute abruti et avais marmonné :

- Oui... Je tiens debout. Enfin, assis en tout cas...

- T'as une tension ridicule. Tu peux pas reprendre comme ça, avait encore dit Adrien. On t'appelle un taxi et tu rentres chez toi.

- Mais le taf'...

- T'es au bout du rouleau, Alexis ! La journée se termine. Tu rentres, tu te reposes. Et tu vas voir ton toubib' préféré... T'étais pas de service, demain ?

- Non. Je viens de faire mes dix jours.

Adrien avait hoché la tête, compréhensif. On était à flux tendu. Depuis des semaines. Des mois. Des années. Moi qui pensais que ça allait changer, moi qui me sentais du courage et de la motivation à l'envi en sortant de la fac de médecine. J'avais vite déchanté.

Layla

Debout devant la fenêtre de mon appartement, sirotant un café, mon regard se perd sur la ligne des arbres du bois de Boulogne. Une grosse journée m'attend, comme tous les jours. Et prendre le temps du café, le matin, c'est sacré pour moi. Je sors tout juste de la douche et me trouve encore en peignoir. Cela fait partie de ce moment de détente. Je refuse aussi, durant ces quelques minutes, de penser au boulot. Souvent, d'ailleurs, je ne pense à rien. Mais, parfois, se glissent dans mon esprit quelques images des montagnes. Ce ne sont plus alors les arbres qui commencent à peine à se couvrir de bourgeons que je vois, mais un léger voile de brume qui monte de la vallée, la rendant invisible et ne laissant apparaître que les sommets encore enneigés.

Ma dernière gorgée avalée, j'abandonne le salon pour la chambre. Debout devant le dressing, je choisis rapidement mes vêtements. Contrairement à beaucoup de femmes ayant de l'argent, j'ai autre chose à faire qu'hésiter pendant des heures sur la tenue que je vais porter dans la journée. Mais j'aime être élégante. Je n'ai d'ailleurs rien qui soit de mauvaise qualité et, finalement, tout ce à quoi je porte attention, à ce moment-là, c'est à l'harmonie des couleurs. Je choisis pour ce jour un pantalon de toile gris clair et un chemisier blanc à motifs, des petites feuilles couleurs automne. Des dessous blancs, des chaussures confortables avec un léger talon. Un coup d'œil dans le miroir qui me renvoie l'éclat de mes yeux bleu marine et souligne la cascade de mes cheveux blonds tombant sur mes épaules. Mon sac, les clés, les deux téléphones et me voilà à descendre l'escalier. En bas, dans la voiture, m'attend Serge.

- Bonjour, Serge, vous allez bien ?

- Bonjour, Mademoiselle Noury, oui. Et vous ?

- Bien. Comment ça s'annonce ce matin ?

- Fluide. Vous serez à l'heure.

- Parfait. On y va.

Et il prend la direction de Courbevoie. Déjà, là-bas, on voit se détacher les grands immeubles du quartier de la Défense, là où nous avons le siège social depuis près de vingt ans. Là où mon père avait fait le choix de l'implanter, quittant notre région d'origine pour être plus proches de clients à l'international. Un choix qui s'était avéré payant, nous permettant de nous implanter au Japon, au Canada et de développer nos parts de marché un peu partout en Europe. Le prochain sur notre liste : le Brésil. Mais j'hésite encore. Et, surtout, je commence à mettre en question certains choix paternels. Même si je suis encore bien loin de franchir le pas.

Durant tout le trajet, mon cerveau se met en mode "travail" et ne s'arrêtera de fonctionner ainsi que ce soir. C'est mon lot depuis près de quatre ans maintenant, depuis que papa a fait son AVC et n'est plus en mesure de tenir les rênes de l'entreprise. Pas la peine de les confier à mon frère, totalement "à l'ouest". Ni à ma sœur, alors âgée de dix-neuf ans. J'étais pourtant encore en études, mais voilà. C'était ça ou... Ou le démantèlement. Et il n'en était pas question à mes yeux. Cette entreprise, d'envergure nationale aujourd'hui et même un peu plus, c'étaient mon grand-père, puis mon père qui l'avaient construite. Des gens avaient travaillé pour eux, eux aussi s'y étaient grandement investis. Pas question de la brader. Alors j'avais tout abandonné. Les études, le vague petit copain que j'avais à l'époque et dont j'ai oublié les traits, les amis. J'étais montée à la capitale, j'avais pris possession de l'appartement "grand luxe", du bureau du patron et je m'étais plongée dans les dossiers. Ma chance était que papa était bien entouré. En rude chef d'entreprise, il ne laissait pas le choix de ses proches collaborateurs au hasard. J'avais gardé toute l'équipe, sauf ceux qui partaient en retraite. Et même Serge, le chauffeur. Il faut dire qu'il me connaît depuis mon adolescence et il est l'une des personnes sur lesquelles je peux le plus compter. Quand je suis avec lui, dans la voiture, qu'il me conduit à droite ou à gauche, je me sens en totale sécurité, comme dans un cocon, car il est un chauffeur hors-pair. Rien ne peut m'atteindre là. J'y puise force et parfois, repos, réconfort.

Nous arrivons sur le coup des 8h, parfait. Il se gare comme toujours au sous-sol et je franchis vite les quelques mètres me séparant de l'ascenseur. Direction, le quatorzième étage. Lisa, ma secrétaire, n'est pas encore arrivée. Pas de soucis, je peux commencer sans elle.

A 9h précises, elle frappe à la porte de mon bureau pour me saluer et m'apporter mon deuxième café de la journée. En général, le dernier. Mon objectif est de tenir le rythme, pas de devenir une pile électrique. Une bonne hygiène de vie est nécessaire et en cela, je suis vigilante. Et mes proches aussi.

- Bonjour, Mademoiselle, vous allez bien ?

- Bonjour, Lisa, oui, merci. Et vous ?

- Bien. J'ai déjà des retours de signatures...

- Parfait. Laissez cela sur mon bureau. Voyons...

J'ouvre sur mon écran la page de mon planning du jour. Ce document est partagé entre Lisa et moi et elle veille à mes rendez-vous.

- Réunion avec Laurent ce matin, 10h. Vous viendrez avec moi.

- Bien.

- Puis... Oh... Quel plaisir. La visite de Boré... J'espère qu'il ne nous fera pas perdre de temps et que les contrats seront corrects.

- On ouvre la boîte à paris ?

J'ai un mince sourire. C'est un jeu entre Lisa et moi. Nous parions un euro l'une contre l'autre sur un sujet totalement loufoque ou imprévisible. Parfois en relation avec le travail, parfois non. Cela me détend. Et quand la boîte est pleine, je la donne au comité d'entreprise à titre de cagnotte pour les enfants du personnel.

- Ca marche, Lisa. C'est votre tour de choisir les termes.

- Alors, je parie que Monsieur Boré aura besoin de revenir.

- Je vais perdre à tous les coups...

- On ne sait jamais. J'ai dit Monsieur Boré. Pas Monsieur Siméoni...

Je fais la grimace : entre le crapaud et le rat d'égout dégoûtant, Lisa me laisse un maigre choix...

- Topons-là, Lisa !

Et nous nous donnons un petit coup de poing serré. Puis elle retourne à son bureau et j'enchaîne les différentes tâches de mon côté. Réunion avec Laurent, le Directeur Général des Services, puis j'attends la visite de Boré.

**

Celui-là, c'est un phénomène. Homme de loi, mais qui fonctionne à l'ancienne. Un requin aussi. Enfin, tout à l'heure, je l'ai qualifié de crapaud. Il en a la tête, mais à l'intérieur de son crâne, ça turbine à cent à l'heure. Et ça turbine tellement vite qu'en général, il oublie toujours quelque chose. J'aurais bien voulu travailler avec un autre que lui pour certaines questions juridiques, or mon père tenait à ce que je poursuive notre collaboration. J'ai accordé ce petit geste à papa, après tout... Si, en contrepartie, il me laisse revenir sur d'autres décisions qu'il a prises...

Boré est doublé d'un adjoint, Siméoni. Surnommé le rat d'égout par Lisa. Le genre dont le regard plonge immanquablement dans l'échancrure de tout chemisier féminin qui ne serait pas boutonné jusqu'au col. Qui s'est pris une gifle de la part de Lisa un jour qu'elle le faisait entrer dans mon bureau et qu'il lui avait mis la main aux fesses. Il en a été furieux, mais pas autant qu'elle. Et pas autant que moi. Il n'avait pas traîné dans les parages. Depuis, on le voit rarement. Ou seulement quand Boré a un empêchement. Ce qui ne semble pas être le cas aujourd'hui.

L'entrevue se déroule comme toujours. J'abrège au maximum, j'ai autre chose à faire qu'écouter les remarques plaintives de Boré concernant la situation actuelle. Et pourquoi ne fais-je pas entrer l'entreprise sur le marché boursier ? Il en a d'autres, de ce genre ? Je lui offre mon plus perfide sourire et lui balance pour la énième fois qu'il n'en est absolument pas question. Qu'il aille s'acoquiner avec ce genre de requins via une autre entreprise que la mienne.

Une fois qu'il est sorti du bureau, je respire. Lisa me rejoint rapidement, nous jetons un regard au dossier qu'il m'a déposé. Et je glisse une pièce d'un euro dans la cagnotte : Lisa a gagné et en beauté. Boré n'est pas venu avec le bon contrat.

Quand elle quitte mon bureau, je laisse lentement mon siège tourner, me demandant pourquoi, parfois, j'ai l'impression d'être dans une bande dessinée de Gaston Lagaffe.

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