Chapitre 7

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Alexis

On pourra dire ce qu'on voudra, mais il s'en passe des choses sur la place d'Antraigues. Pour un après-midi qui s'annonçait comme les autres, ça a finalement été un peu agité. Ou alors, c'est moi qui me retrouve bien agité.

Après notre petit échange, Layla est repartie. Et on a annulé la partie, donnant les points à Bernard et à Roger qui n'en demandaient pas tant. On en est tous restés là, avant de nous attabler pour le traditionnel petit verre en terrasse. Je n'ai pas dit grand-chose, un peu perdu dans mes pensées. Je les ai écoutés. Ils n'ont cependant pas dit un mot sur le dénommé Joachim qu'il me semble bien voir pour la première fois - à moins que je ne l'aie croisé dans la rue sans faire particulièrement attention à lui. Et encore moins à propos de Layla Noury.

Je me suis bien gardé de poser des questions. Pas la peine de me reprendre une soufflante comme au sujet de Jean Ferrat. Et comme il semble y avoir de la tension autour d'elle, du moins de la part de Joachim, je préfère laisser venir les choses. Je n'ai, de toute façon, pas tant envie de penser à ce gars. Car rien que le nom de Layla Noury a de quoi interpeller. J'ignore si elle est liée de près ou de loin à l'entreprise éponyme, une des grandes boîtes de cosmétiques et de produits de toilette française. Tout le monde connaît les shampoings ou les crèmes Noury.

Je décide d'attendre d'être de retour au gîte pour allumer mon téléphone portable et faire quelques recherches. Il me semble que c'est plus prudent. Je ne traîne donc pas trop au bar et je regagne le gîte à pied, tranquillement. A peine installé à la terrasse, mes pensées repartent vers la jeune femme.

Elle est tout simplement magnifique. Et pas seulement ses jambes ou ses yeux, mais aussi de visage. Des traits fins et bien dessinés, un petit nez légèrement retroussé, une adorable fossette au menton, une bouche... à damner un saint. Et si j'en crois ce que sa jupe fluide et son chemisier laissaient deviner, il n'y a pas que la bouche qui soit à damner. Tout le reste aussi.

Je soupire et me décide à faire quelques recherches sur internet. En tapant Layla Noury, je tombe d'emblée sur ce que je supposais, mais sans en soupçonner l'ampleur : elle est bel et bien liée à la famille Noury, propriétaire de l'entreprise du même nom. Et tellement liée qu'elle en est même la PDG.

Je ne crois pas m'être retrouvé un jour avec un ou une PDG sur un brancard, mais je suis certain que je n'imagine pas ces gens-là ainsi. Rien en elle ne démontre qu'elle occupe un poste à responsabilité et qu'elle doit être à la tête d'une petite fortune. Je regarde un peu les pages d'actualités à son sujet, je ne trouve rien de probant, hormis des informations sur son entreprise. Quant aux photos... Elles tiennent à peine sur une demi-page. C'est dire si la demoiselle est discrète. Elle n'a même pas de page wikipédia ou de compte facebook. Si je veux en savoir plus sur elle, je n'aurai pas trente-six solutions. Et le mieux sera de poser mes questions en direct.

A condition qu'on se revoie.

**

J'ai très mal dormi cette nuit. Ce qui ne m'était pas arrivé depuis au moins deux semaines. C'est peut-être cyclique, la lune ou le repas du soir, pourtant léger à digérer. Mais je me suis réveillé à de nombreuses reprises et je me sens vraiment "dans le pâté" lorsque j'émerge enfin, aux alentours de 9h30. Le soleil est déjà haut, chauffant la terrasse. Je m'y installe cependant pour mon café... sauf que je n'ai plus de café. Et je me souviens que, la veille, je m'étais promis de m'arrêter à l'épicerie après la partie de pétanque pour en racheter un paquet, ce que j'ai oublié.

A croire que Layla Noury est un sujet d'intérêt plus vaste qu'un paquet de café. Sauf que ce matin, c'est le contraire. Il me faut mon café. Exceptionnellement, je quitte le gîte en voiture en me disant que je vais, pour une fois, m'offrir mon petit déjeuner à la terrasse de "La Montagne". Cela doit être agréable, en plus.

En deux minutes, j'y suis. J'ai pu me garer dans la montée, mais on voit qu'il y a plus de voitures que les jours précédents, signe que le week-end férié amène un peu de monde à Antraigues.

Et en effet, il y a déjà la queue à la boulangerie et je me rappelle que c'est ouvert juste ce matin. Le café attendra, car il me faut du pain. Après cette étape, je file à "La Montagne". Il y a deux tables de prises, mais pas celle où je m'installe habituellement. J'y dépose mon pain et le livre que j'ai emporté, puis je passe une tête dans la salle. Mariette me salue, je lui réponds de même et lui commande un petit déjeuner.

- Pain et croissant ? Beurre, confiture ? Jus d'orange ?

- Va pour le pain et un croissant. Beurre et confiture, je veux bien. Pas le jus. Mais un grand café.

- Ok, Alexis. Je t'apporte cela de suite.

Oui, Mariette me tutoie. Signe que je dois commencer à faire partie du décor, depuis un mois et demi que je suis là et presque autant que je participe à la tournée d'après pétanque. Les "champions" comme les a appelés Layla hier. Quant à Florence, la boulangère, et Eric, l'épicier, ça n'a pas tardé non plus... J'ai l'impression qu'ici, les gens ne font pas de chichi. C'est simple, franc. A part le Joachim d'hier qui m'a paru franchement bizarre....

Layla

Je passe une soirée tranquille. Je fais un petit feu dans la bibliothèque en bas, car la maison a besoin d'être chauffée. Et j'allume les radiateurs pour la nuit, dans la grande salle, histoire de chasser la fraîcheur résiduelle. Je dîne dans la bibliothèque, lovée dans un fauteuil confortable, le repas posé sur la table basse. Je n'allume pas la radio, ni mets de musique : j'ai envie de m'imprégner des lieux, des bruits du dehors et de ceux de la maison. Les craquements du plancher, le cri d'une chouette, le murmure du ruisseau, un peu sur la gauche de la maison que je n'entends pas en plein été, car il n'est plus alors qu'un petit ru.

Je ne traîne pas pour me coucher. Après tout, je me suis levée très tôt la nuit dernière et même si j'ai dormi un peu dans la voiture, la journée a quand même été longue et fatigante. Juste avant de m'endormir, me vient à l'esprit que je n'ai pas vérifié mes messages professionnels depuis mon arrivée à Aizac et que je n'ai pas du tout allumé le PC...

Tant pis, ça attendra demain.

Mon sommeil, bien que profond, est peuplé de rêves étranges dont je ne garde aucun souvenir au réveil, si ce n'est un sentiment de plénitude et d'harmonie. C'est souvent ce que je ressens les premiers jours, quand je reviens ici. Je suis réveillée tôt, grâce à un coucher précoce la veille et à une nuit réparatrice. Je déjeune sur la terrasse, prenant tout mon temps pour admirer les belles lumières du petit matin. Les premiers rayons du soleil caressent Antraigues et soulignent le rose des toits et l'ocre des murs.

Il est déjà 9h passées quand je me décide à descendre à Antraigues par le chemin de randonnée qui traverse les Auches. Je ne sais pas s'il a été nettoyé et je m'habille en conséquence : pantalon long et bien couvrant, chaussures de randonnée que je laisse toujours ici. J'emporte juste un petit sac à dos avec une bouteille d'eau et un sécateur. Plus mon bâton de marche, un taillé, séché et poli par mon arrière-grand-père, du moins d'après Tantine. Solide comme un châtaignier.

La balade pour descendre est très agréable, traversant la forêt de châtaigniers. Elle me mène jusqu'à la route, un peu avant le virage en épingle à cheveux du Bouchet. Je suis la route pour rejoindre le pont de l'Huile, traverser la Volane que je longe sur trois cents mètres environ, jusqu'à la pharmacie et là, à moi les escaliers. J'arrive dans le haut de la montée, un peu essoufflée, malgré mes marches hebdomadaires au Bois de Boulogne et mes séances de natation. La faute au dénivelé : dans le Bois de Boulogne, c'est tout plat.

Ayant fait toutes les courses la veille, je ne m'arrête dans aucun commerce et gagne directement la place, avec l'intention de boire mon deuxième café chez Mariette. Mais je n'ai pas le temps d'entrer sur la terrasse que je constate avec un brin d'agacement que quelqu'un occupe ma place.

Et que le quelqu'un est Alexis.

**

"Décidément, je vais le croiser tous les jours si ça continue. Ma foi, autant en profiter. N'est-ce pas ce que Mariette a sous-entendu ? Et que dirait Aurélie..." Je ferme brièvement les yeux en me disant qu'il vaut mieux éviter de penser galipettes. Parce qu'il a tout du mâle tentateur, même si j'ai l'impression qu'il ne s'en rend absolument pas compte. Ou alors, ça le laisse indifférent. A moins qu'il ne soit gay ? Ma foi, ce n'est pas le ressenti que j'ai eu hier, mais après tout, on a à peine échangé trois mots, la faute à Joachim. Je le retiens celui-là. Je ne sais pas ce que les "champions" ont raconté à Alexis après, à mon sujet. Mais j'aurais préféré une autre entrée en matière.

Enfin, puisqu'on a fait connaissance hier, on peut peut-être poursuivre un peu ce matin, non ?

Je m'avance alors vers la table. Il est plongé dans un livre et ne m'a pas entendue approcher. Deux autres tables sont occupées, il ne me faut pas longtemps pour identifier les clients comme des touristes. Ils n'ont pas du tout l'accent d'ici. Bon, là, je me reprends : après tout, moi non plus, je n'ai plus l'accent d'ici. La faute au Bordelais et à Paris. Mais je suis certaine que si je restais plus d'un mois, je le retrouverais, mon accent.

- Bonjour, Alexis.

Il lève les yeux, puis, surpris, il en lâche son livre.

- Oh, pardon ! Je ne voulais pas vous surprendre.

- Heu... Ce n'est pas grave, bonjour, Layla. Vous allez bien ?

- Oui, merci. Cela vous dérange si je m'installe à votre table ? C'est celle que je préfère quand je viens ici, parce qu'elle est dans le coin de la terrasse et offre une vue sur toute la place...

- Ah mais pas de soucis... Je lisais juste. Et c'est vrai que la vue d'ici est jolie.

Je m'installe donc, il a refermé son livre. Son regard fait le tour de la place, j'en profite pour le détailler un peu plus précisément. Un nez bien dessiné et un peu fort, mais juste ce qu'il faut, un menton plutôt carré, des sourcils plutôt droits. Il est vraiment beau gosse. Mais encore une fois, c'est vraiment son regard qui me happe et me fascine. D'où peuvent lui venir ces paillettes dorées ?

"Parle pour toi, Layla. T'as vu tes propres yeux ?" Bon, ok, j'en conviens, moi aussi je possède des yeux d'une couleur très particulière. La faute à mon père. Tantine aussi avait les yeux de cette couleur. Je suis la seule des trois enfants à en avoir hérité. Comme un petit lien supplémentaire avec l'Ardèche. Ma sœur et mon frère sont plus bordelais...

Mariette arrive à ce moment-là, me salue et me demande ce que je veux.

- Un petit café, bien serré, s'il te plaît.

- Tu veux grignoter quelque chose ?

- Hum... Allez, deux tartines. J'ai déjeuné tôt et je suis venue à pied.

- Je m'en doute, ma jolie ! Tu as tout l'équipement sur le dos !

Je souris alors qu'elle repart en salle. Et reporte mon attention vers Alexis.

- Tu... Pardon, vous randonnez ?

- On peut se tutoyer. Le "vous" ici, ce n'est pas trop le style.

- J'avais remarqué, me sourit-il. Alors va pour tu. Donc tu fais de la randonnée ?

- Quand je viens ici, oui. Autant que possible. En été, moins, car il fait souvent trop chaud. Mais en cette saison, c'est juste l'idéal. Je pense que je vais me faire un beau programme pour ma semaine. Et toi ?

- J'aime cela aussi, me répond-il avec un petit sourire que je qualifie instantanément de "craquant". J'ai commencé à explorer et à emprunter quelques chemins par ici. Je suis allé jusqu'au sommet du volcan d'Aizac, avec une pause sur la place quand même, puis au château de Craux également. J'ai repéré d'autres sentiers, mais je n'en ai fait que des petits bouts.

- Cela fait longtemps que tu es arrivé ici ?

- Fin mars. Je marche une ou deux fois par semaine. Enfin, je ne prends quasiment jamais ma voiture pour monter au village. Sauf ce matin, car je me suis retrouvé sans café. Et là, il y avait urgence.

Je souris largement.

- Je comprends. Cela fait partie des rituels pour bien démarrer une journée.

- Exactement, acquiesce-t-il.

Puis il reste silencieux.

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