Chapitre 37

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Alexis

Nous arrivons aux Auches pour midi. Après avoir bien profité de la grasse matinée, nous avons pris un solide petit déjeuner, j'ai fait un saut à Antraigues pour quelques courses et nous avons repris la voiture pour monter jusque chez Layla. Un doux soleil d'automne a remplacé les nuages des derniers jours et fait briller les feuilles des arbres. Les châtaigniers n'ont pas tous perdu leurs couleurs automnales, même si c'était plus joli il y a encore une dizaine de jours. Layla semble se réjouir de ce qu'elle retrouve.

La maison est effectivement froide, je ne suis pas sûr que nous y restions ce soir. Layla rallume le chauffage et lance un bon feu dans le poêle, en bas. La grande cheminée n'apporte que peu de chaleur, il faudrait y faire brûler un feu en continu, comme du temps de ses arrière-grands-parents ou de sa Tantine. Et à l'époque, cette dernière possédait aussi une cuisinière à bois. Layla l'a conservée, mais l'a remisée dans un petit appentis derrière la maison. Elle avait jugé peu pratique de l'utiliser pour elle-même, mais ne pouvait se résoudre à s'en débarrasser.

Je fais plusieurs trajets pour ramener du bois, pour avoir de quoi faire quelques flambées au cours de la journée. Pour ce midi, j'avais préparé un plat en sauce, facile à réchauffer, ce qui nous permettra de manger aux Auches.

Lorsque je regagne la grande salle, j'y trouve Layla, debout devant la cheminée éteinte. Elle est bien songeuse et ne réagit pas en m'entendant rentrer. C'est seulement quand je m'approche d'elle qu'elle tourne son visage vers moi. Quelques belles grosses larmes roulent sur ses joues et je m'inquiète aussitôt.

- Layla ?

Elle se blottit contre moi, essuie ses joues du plat de sa paume et me dit :

- C'est la première fois que je reviens ici en automne. Depuis que j'ai fait restaurer la maison. La dernière fois, c'était pour la réception des travaux. Le chantier de restauration venait de s'achever, j'avais rendez-vous avec l'architecte et le maître d'œuvre, les artisans pour faire le tour et noter les éventuelles réserves. La maison était vide, mais pas froide. J'avais commandé des meubles et fait remiser ceux que je gardais un peu où je pouvais, et notamment chez quelques amis. Après la signature, plusieurs sont venus m'aider à remeubler la maison. C'était un moment joyeux, festif. On a mangé tous ensemble ici. Puis je me suis retrouvée toute seule. Le temps s'était fait doux et le premier matin, j'ai pu m'offrir un café sur la terrasse, au soleil, avec le volcan et Antraigues devant les yeux. Et j'ai pensé... Que j'étais parvenue à sauver au moins la maison. Qu'elle était à moi et que personne ne me l'enlèverait jamais. Personne. J'avais au moins réussi cela...

Je la serre tendrement contre moi, passe doucement ma main dans ses cheveux. Je ne sais que dire, mais je sens que ma présence lui fait du bien, la réconforte. Elle poursuit ses confidences :

- C'était très important pour moi. Presque vital. Mon père avait fait ses propres choix. Mon frère et ma sœur n'exprimaient aucun intérêt pour cette maison et ils m'avaient dit de faire comme je voulais. A la limite, ça ne les effleurait même pas que j'achète leurs parts, puisqu'ils étaient eux aussi héritiers des biens. Bien sûr, l'héritier direct, c'était mon père. Lui aurait voulu tout vendre, ne plus rien garder ici.

Elle marque une courte pause, je prends alors la parole :

- Tu m'avais dit une fois que tu t'étais battue pour la garder.

- Oui, ce fut presque cela...

Alors Layla me raconte, le regard lointain et, parfois, j'entends son cœur battre un peu plus vite.

Layla

Je ne sais d'où m'est venue cette émotion. Peut-être de me retrouver dans la maison froide, sans les parfums auxquels j'étais habituée à cette saison : ceux de la soupe en train de mijoter sur la cuisinière à bois, ceux du feu dans la cheminée, ceux des châtaignes grillées, de la cire que Tantine venait de passer sur le plancher ou sur des meubles, auxquelles se mêlaient une frêle odeur de lavande du linge fraîchement lavé. Il y avait aussi l'odeur de l'humus, des feuilles mortes, de la vigne en train de s'endormir pour l'hiver.

Les bras d'Alexis m'entourent, l'émotion me submerge. Et je raconte.

Voilà, nous lui avions dit adieu. J’étais la dernière à quitter le petit cimetière d'Aizac, alors que le reste de la famille et Serge m'attendaient déjà dans les voitures. C'était une belle journée printanière. Nous l'avions portée en terre sous le soleil et les chants d'oiseaux. Elle le méritait bien, de partir ainsi.

Nous avions aussitôt repris la route pour Montussan où nous étions arrivés très tard. Dès le lendemain, j'étais entrée dans le bureau de mon père, m'étais assise face à lui alors qu'il avait un gros dossier devant les yeux. J'y avais à peine jeté un coup d'œil, mais c'était lié à l'entreprise. Il m'avait regardée, un peu étonné, puis m'avait dit :

- Qu'y a-t-il, Layla ?

J'avais encore le visage marqué par le chagrin, les mauvaises nuits passées depuis que nous avions appris le décès de Tantine. Mais j'avais courageusement regardé mon père droit dans les yeux. J'ignorais encore s'il avait pris certaines décisions, mais moi, j'avais pris les miennes.

- Papa, je voudrais parler sérieusement avec toi. Je voudrais savoir ce que tu as l'intention de faire de la maison des Auches.

Il avait repoussé les documents sur le côté, s'était appuyé contre le dossier de son fauteuil et m'avait rendu mon regard avec au moins autant de sérieux que moi.

- Je compte la vendre. Ainsi que les terres autour. Je ne trouverai jamais de locataires pour l'occuper, et personne pour entretenir les châtaigneraies. Cela intéressera sans doute des voisins.

- Bien. Alors, tu me la vends.

- Layla ? avait-il fait en me regardant avec des yeux ronds. Layla, tu es sérieuse ? Tu es encore étudiante et...

- Oui, papa. Je suis sérieuse. Je sais que je ne gagne pas encore ma vie, je sais aussi que j'intégrerai l'entreprise dès que j'aurai mon diplôme en poche et que je pourrai t'assister. Je sais que cela signifie travailler essentiellement à Paris. Mais je veux garder la maison des Auches. Ce sera ma maison de vacances, comme elle l'a toujours été.

- Mais ce serait beaucoup d'entretien. Il y aurait aussi certainement des travaux à faire. Je pense que c'est une idée totalement folle et utopique. Je pensais que tu avais plus les pieds sur terre.

- Papa, je tiens à cette maison. C'est là que sont mes racines, n'en déplaise à maman qui aimerait que je m'en détache. Et toi aussi.

- Layla, je t'interdis d'avoir ce genre de pensées. Nous avons fait des choix, ta mère et moi. En pensant aussi à vous, à votre avenir. Tu peux nous les reprocher, tu peux les regretter. Ils t'ont cependant permis de grandir dans une famille unie, d'être choyée, de pouvoir faire des études et chaque jour, c'est votre vie à toi, Gabin et Justine, que je prépare. Même si tu crois que je ne pense qu'à l'entreprise. Je le fais aussi pour vous !

Il avait commencé à se fâcher et ce n'était pas cela que je voulais.

- Excuse-moi, papa. Je ne voulais pas dire cela et je sais que maman et toi, vous avez aussi fait des sacrifices pour nous. Je sais que tu prends beaucoup sur toi, pour faire tourner l'entreprise, qu'il y a de nombreux défis à relever et mes études me permettent aussi d'en prendre la pleine mesure. Mais est-ce que maman et toi vous pouvez entendre que je reste attachée aux Auches ? A Aizac ? A l'Ardèche ?

Il avait soupiré, radouci :

- Oui, je peux le comprendre, Layla. Mais cela ne m'empêche pas de penser que garder cette maison est un coup de folie.

- Est-ce qu'on peut au moins prendre conseil auprès de notre notaire ? Lui demander ce qu'il est possible de faire ? Pour que je puisse racheter aussi les parts de Gabin et Justine ?

- Ecoute, je n'avais pas du tout envisagé cette solution, mais je t'accorde un délai de réflexion et pendant ce temps, je vais prendre contact avec Maître Bridier, à Bordeaux, et voir quelles sont les solutions possibles. Pour que tu aies toutes les cartes en main pour faire ton choix.

Je m'étais sentie soulagée qu'il accepte. Ce n'était pas encore un oui franc et massif, mais au moins, il ne disait pas non. Et il avait tenu parole : il avait vite pris rendez-vous avec le notaire, je l'avais même accompagné et j'avais pu poser toutes les questions qui me venaient à l'esprit. J'avais aussi parlé de mon souhait devant toute la famille, pour demander leur avis à Gabin et Justine. Maman n'était pas intervenue, ou juste à la marge : elle considérait que c'était mon choix et que ce qui avait trait à l'Ardèche ne la concernait pas directement. Mon frère et ma sœur ne se voyaient pas garder la maison. Justine était encore trop jeune - même pas majeure. Et Gabin faisait sa vie ici. Et c'était ainsi que, de fil en aiguille, de rendez-vous en réflexion, j'avais fini par acquérir la maison. L'arrangement trouvé avec mon frère et ma sœur stipulait que, au décès de nos parents, je toucherais une part moindre que la leur, car viendrait en déduction la valeur de la maison des Auches. Cela me convenait très bien et j'avais pu alors, une fois les frais de succession payés - et là, c'était un peu compliqué, car il ne s'agissait pas d'un héritage direct -, engager les travaux de restauration.

**

J'achève mon récit, toujours blottie dans les bras d'Alexis. Sa main me caresse tendrement, passant entre les mèches de mes cheveux, caressant mon dos, mes épaules. Je renifle, essuie encore mes larmes. Puis je soupire :

- Je n'ai aucune raison de pleurer, tu sais. Je ne sais pas pourquoi je me suis sentie aussi... émue.

- Cela t'a fait bizarre de revenir ici en cette saison, tu en avais perdu l'habitude. Et je reconnais que ce n'est pas très accueillant. J'aurais pu passer ces derniers temps, au moins pour chauffer un peu. Je pourrai le faire cet hiver, si tu veux.

- Je trouve idiot de chauffer une maison inhabitée. D'autant qu'elle a été bien isolée, qu'elle est fraîche, mais pas humide.

- Oui, mais un peu de chauffage de temps en temps, ça ne fait pas de mal. Surtout avant une vague de froid ou d'humidité. Après, si l'hiver est froid, mais sec, qu'il y a du soleil, ça peut suffire.

- C'est gentil de proposer de t'en occuper, Alexis. J'ai laissé la clé au voisin, Jérémie, celui qui s'occupe de ma voiture, mais c'est juste "au cas où". Pas pour faire l'entretien.

- Bon, dit-il. On en reparlera. Est-ce que tu veux qu'on s'installe ici durant ton séjour ?

- C'était ce que j'avais à l'esprit, tout en me disant qu'on aurait pu passer une soirée ou deux chez toi aussi, selon...

- Ecoute, je te propose d'aller chercher quelques affaires, tu ranges les tiennes pendant ce temps, tu fais le lit aussi. Et je reviens. Je n'en ai pas pour longtemps.

Et c'est ainsi que, finalement, nous allons passer tout mon séjour aux Auches, qu'Alexis ne fera un tour chez lui que pour récupérer des vêtements et y passer la journée, quand je serai avec Maïwenn.

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