Chapitre 39

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Layla

Je n'avais effectivement aucune idée du temps que cela allait nous prendre, à Maïwenn et moi, pour faire la première visite des usines. Alexis et moi avons quitté les Auches vers 8h30 ce lundi matin, je l'ai déposé chez lui et je suis repartie pour Vals. La jeune femme m'attendait juste devant son hôtel et nous nous sommes rendues à Ucel. Ce n'était pas loin, en quelques minutes nous étions à l'usine. Le gardien se trouvait là, je l'avais prévenu et je voulais lui présenter Maïwenn, pour les éventuelles futures visites qu'elle ferait sans moi. Il nous a accompagnées pour un premier tour des lieux, puis est reparti faire sa tournée du matin à Labégude.

Je donne beaucoup d'explications à Maïwenn, qu'elle note avec soin sur sa tablette. Je lui raconte l'histoire de l'usine, les évolutions qu'elle a subies, jusqu'à sa fermeture et la vente des machines.

- Dans mon esprit, si la relocalisation est viable, j'aimerais que cette usine fabrique nos produits un peu "haut de gamme". L'idée serait de ramener ici, sur place, cette partie de notre production qui se fait désormais à Libourne : transporter dans des camions-citernes l'eau des sources me semble une hérésie aujourd'hui.

- Les sources sont loin ?

- Nous irons les voir tout à l'heure. C'est dans la montagne, juste au-dessus du village. A un moment, mon père avait envisagé des travaux pour amener directement l'eau à l'usine, mais comme il a vite décidé de la fermer, cette idée a été abandonnée. Je crains que ce ne soit pas facile : il faudrait faire poser des tuyaux, traverser des terrains communaux, voire privés... Je pense que nous serons obligés de garder le transport de l'eau par camions.

- Néanmoins, cela n'aura rien à voir avec le coût engendré par le transport entre ici et Libourne, me fait-elle remarquer.

- Tout à fait. Nous pourrions réaliser là des économies substantielles.

Nous nous trouvons dans le grand atelier, nos voix résonnent sur les murs. Nous nous dirigeons vers la grande porte qui le sépare d'un entrepôt, vide lui aussi.

- L'autre solution, si on laisse la production haut de gamme à Libourne, ce serait de répartir la fabrication des emballages entre Ucel et Labégude. Mais vous verrez que l'usine de Labégude est beaucoup plus grande et, à mon avis, bien adaptée à la fabrication des emballages. Elle offre de plus une surface de stockage beaucoup plus importante que cet entrepôt.

Elle hoche la tête, continue à prendre des notes et à me poser des questions. Lorsque nous sortons, je me rends compte que midi approche et je lui propose alors d'aller déjeuner. Je pensais pouvoir lui montrer le captage ce matin, mais ce sera pour cet après-midi.

Nous déjeunons dans un petit restaurant de Vals, dont les fenêtres donnent sur la rivière. La terrasse est fermée en cette saison, mais nous pouvons profiter quand même du point de vue. Nous parlons surtout de son week-end, elle reconnaît avoir été enchantée et émerveillée par ses visites dans les Gorges, par celle de la Grotte Chauvet qu'elle a pu faire dans d'excellentes conditions puisqu'ils n'étaient que six visiteurs dans son groupe. Elle a aussi beaucoup aimé le petit village de Saint-Thomé et celui des Gras et de Valvignières. Deux copieuses salades et mon péché mignon plus tard - deux boules de glace à la myrtille - que Maïwenn apprécie tout autant, et nous repartons.

Au captage, je rencontre les quelques employés qui entretiennent les lieux, se chargent du remplissage des cuves, puis surveillent la livraison hebdomadaire de l'eau. Chaque mercredi, les camions-citernes viennent vider les cuves et font le trajet jusqu'à Libourne. Nous avons sous-traité le transport à une société spécialisée, mais si jamais nous relancions la production ici, je confie à Maïwenn qu'il me semblerait judicieux d'être notre propre transporteur. Nous pourrions, une fois l'eau apportée à Ucel, utiliser les camions pour acheminer les emballages entre les deux usines, voire pour aller chercher la matière première et fournir ainsi celle de Labégude. Ce ne sont que des idées, des suggestions que je lui donne, afin qu'elle ait bien en tête ce que j'envisage. Même si je m'attends à devoir modifier certaines d'entre elles en fonction des résultats de son étude.

Nous passons finalement deux bonnes heures au captage, car Maïwenn tient à bien comprendre tout le fonctionnement de l'installation. Comme à Ucel, elle prend aussi beaucoup de photos.

Je la ramène finalement vers 16h30 à Vals. Elle me dit qu'elle a l'intention de se promener dans Aubenas ce soir et d'y dîner. Je suis bien contente qu'elle puisse profiter de ce premier séjour pour visiter un peu et s'imprégner également de l'état d'esprit des gens.

Alexis

Je me suis occupé des courses et de préparer à nouveau le repas pour ce soir. Layla m'a laissé les clés de la maison des Auches, et après avoir passé la matinée à l'Enfer, je remonte là-haut. J'ai décidé d'y cuisiner plutôt que de le faire chez moi, afin de relancer le feu de cheminée de bonne heure et d'apporter un peu plus de chaleur en m'activant dans la maison. J'ai emporté un livre avec moi et comme il fait bon, je commence par m'installer sur la terrasse, pour profiter de l'heure d'ensoleillement qu'elle peut encore offrir, tout en savourant mon café.

Puis je rentre et prépare une bonne soupe. Layla m'a confié qu'elle serait ravie de manger des châtaignes cuites dans la cheminée, à l'occasion de son séjour, mais j'ignore quel soir elle en aura envie. J'en ai gardé de ma dernière journée de ramassage qui fut quand même moins pénible que la première.

Elle arrive tôt, à ma grande surprise. Je pensais qu'elle et Maïwenn auraient passé plus de temps ensemble, mais quand elle m'explique qu'elles n'ont vu que l'usine d'Ucel et le captage, je comprends mieux. Elle est enthousiaste après cette première journée de visite, car elle sent que Maïwenn "accroche" à l'idée de relocalisation autant qu'elle. Je me sens heureux de leur collaboration, même si je ne connais pas encore la jeune femme.

- Voudras-tu venir avec nous demain ? Pas forcément pour toute la journée, car ça risque d'être vite laborieux pour toi, me propose-t-elle.

- Volontiers, répondis-je. Je n'ai pas encore vu les usines, ça m'intéresse.

- Celle de Labégude possède toujours des machines, ça donne une idée aussi. Même si je pense que nous serons obligés de les vendre : elles n'ont pas tourné depuis des années et sont très certainement obsolètes. Mais ça me fait un prétexte pour expliquer pourquoi je viens ici. Je ne tiens pas à ce que les gens sachent ce que j'ai à l'esprit : je ne veux pas donner de faux espoirs si jamais j'étais obligée de renoncer.

- Je comprends tout à fait et tu fais bien. Je ne révèlerai rien, à personne, de tes intentions.

- Je sais, me dit-elle avec son doux sourire.

Comme il n'est pas trop tard et que nous avons encore une heure de jour devant nous, elle me propose d'aller jusqu'à l'église à pied. De la petite place, nous avons une jolie vue sur le volcan et le col d'Aizac, et sur la vallée qui rejoint celle de la Volane.

**

Comme la veille, nous nous installons après le repas au salon, pour profiter des dernières lueurs du jour et du confort de cette pièce. Cet été, nous n'avions fait qu'y passer, nous avions plus profité de la terrasse ou de la pièce de vie, à l'étage. Mais en cette saison, je reconnais que ce salon est vraiment chaleureux.

- J'aime beaucoup la photo de l'église que tu as accrochée au mur. C'est sympa, ces vieilles reproductions du village, d'Antraigues aussi... On voit que les lieux ont peu changé, finalement.

- Il y a quelques maisons de plus et on peut aussi se rendre compte que les champs ont été abandonnés, que les murettes ne sont plus entretenues, ou moins. Que la forêt a gagné du terrain.

- C'est très juste. C'est un bon témoignage de l'évolution de la vie quotidienne. De l'usage aussi qui est fait de la nature.

- Heureusement qu'il reste la châtaigne, tu sais. Parfois, je me dis que sans elle, le pays serait vraiment mort. Les filatures ont toutes fermé les unes après les autres, l'agriculture intensive n'est pas du tout adaptée à la configuration du pays. Alors, on continue à vivoter. Ceux qui s'en sortent sont les producteurs de fromages et, dans la vallée, les maraîchers, ceux qui font aussi un peu de vigne, qui ont des vergers. Mais sinon, il n'y a plus rien.

- Tu as connu les filatures, les moulinages en activité ?

- Oui. Quand j'étais enfant, il y avait encore des usines qui tournaient, notamment à Vals, au pont de Bridou. C'est cette usine qui a été la dernière à fermer, dans les années 2000. Et qui devrait être transformée en logements.

- Au moins, il y aura une reconversion. Un usage de ces bâtiments.

- Oui, soupire-t-elle. C'est toujours mieux que les voir à l'abandon, comme à l'entrée de Labégude, au Malpas.

Je hoche la tête. Je vois bien de quelle usine parle Layla et c'est vrai que ça fait abandonné, miteux. Une friche industrielle avec, derrière elle, un désert social et humain qui cache son nom.

Je passe mon bras par-dessus son épaule, elle se blottit un peu plus contre moi. J'aimerais l'encourager, lui donner de l'espoir. A cet instant, je la sens fragile. Pas hésitante, juste triste pour cette terre qu'elle aime et pour ses habitants. Je ne sais que dire, les mots se bousculent dans mon esprit. Alors, je dépose un premier baiser dans ses cheveux, puis sur son front. Elle redresse un peu la tête, nos regards plongent l'un dans l'autre.

Nous demeurons un moment ainsi, je la sens qui puise de la force dans notre échange muet. Puis elle vient s'asseoir sur mes genoux, entoure mon cou de ses bras et m'embrasse longuement.

- Je t'aime, Layla, murmuré-je contre ses lèvres quand nous rompons notre baiser. Je t'aime et tu vas réussir.

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