Chapitre 46

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Alexis

La présentation aux parents. Je ne me suis jamais retrouvé dans ce genre de situation. A la rigueur, je pourrais plutôt dire que ce sont mes parents qui m'ont présenté leurs nouveaux conjoints. Ma mère d'abord, alors qu'elle était venue passer une dizaine de jours en France, avec son nouveau compagnon. Puis mon père, avec Pauline. Mais être présenté aux parents de ma chérie, je ne l'ai jamais vécu.

Nous avons quitté les Auches en tout début de matinée. Nous en avons pour près de sept heures de route, plus les arrêts. Je prends le volant pour commencer le voyage. Le col de la Chavade est ouvert, nous passons donc par la nationale pour remonter jusqu'à Clermont-Ferrand où nous allons récupérer l'autoroute en direction de Bordeaux. C'est le trajet le plus simple, surtout en hiver : pas la peine de s'aventurer à travers le Massif Central.

J'admire les paysages pour la traversée du plateau en Haute-Loire. Si la route est bien dégagée, toute la campagne est couverte de neige. De même lorsque nous longeons la chaîne des Puys, eux aussi tout blancs. Je profite d'un arrêt sur une aire d'autoroute pour faire quelques photos des volcans et les envoyer à Pauline, pour qu'elle les montre à Aglaé.

Je ne sens pas Layla trop triste de quitter Aizac. Il est vrai que nous allons voir sa famille, passer le Nouvel An avec ses parents, ses grands-parents maternels et ses neveux. Son frère, sa belle-sœur et sa sœur seront de sortie pour le réveillon, mais nous les verrons le 1er dans la journée. Je vais donc faire connaissance avec toute la famille Noury.

Nous arrivons en fin d'après-midi. Il reste encore une trace de jour dans le ciel, mais la nuit est proche et s'avance déjà derrière nous. La maison des parents de Layla est une belle propriété, typiquement dans le style de la région. Cela ressemble presque à un manoir, avec un beau terrain tout autour. Je ne suis pas vraiment surpris : après avoir vu l'appartement de Boulogne, il me semble logique que les parents Noury vivent dans une belle demeure. Ils en ont les moyens.

C'est Liliane, la maman de Layla, qui nous accueille en premier. Elégante comme sa fille, blonde elle aussi. Elles se ressemblent physiquement beaucoup. Mais avec des yeux simplement gris. Ce n'est donc pas d'elle que vient cette couleur si particulière du regard de Layla.

Layla lui fait la bise, la mère et la fille s'étreignent un instant, avant que Layla se tourne vers moi pour me présenter :

- Maman, voici Alexis. Alexis, maman.

- Je suis très heureuse de vous recevoir, Alexis, dit-elle en me tendant la main et en faisant un grand sourire.

- Je suis aussi heureux de faire la connaissance de la famille de Layla, dis-je en prenant la main tendue. Merci de votre accueil.

- Entrez, entrez. Papa est au salon, Layla. Vous avez fait bonne route ?

- Oui, maman. Tout s'est bien passé.

Liliane s'engage dans un couloir, nous la suivons, pour entrer quelques instants plus tard dans un salon très agréable et accueillant. De ce que je peux voir au cours de ces premières minutes, c'est que la maison est meublée avec goût, sans ostentation. Mais que chaque élément est de prix.

Le père de Layla est assis dans un confortable fauteuil, près d'une cheminée où un petit feu est allumé. Dès que nous franchissons la porte, il se lève et je note d'emblée les traces laissées par son AVC : gestes plus lents, appuis nécessaires pour se redresser et se tenir droit. Mais il fait quelques pas en notre direction sans difficulté. Layla lui fait la bise, puis me présente.

Si Monsieur Dominique Noury montre quelques faiblesses, sa poigne en revanche n'a rien perdu de sa force. Je devine aisément que cet homme a un caractère bien trempé, de la volonté et qu'il a certainement été un redoutable chef d'entreprise. En même temps, pour être parvenu à développer aussi vite et aussi bien la petite entreprise familiale, il fallait avoir du caractère. Et je perçois aisément que Layla en a hérité.

De même qu'elle a hérité de la couleur bleu sombre de ses yeux. Mais le regard qui me fixe alors que je le salue est plus acéré que celui de sa fille, même si dans sa grande détermination, je peux percevoir une lueur de faiblesse.

- Bonjour, jeune homme, me dit-il avec un sourire. Heureux de faire votre connaissance.

- Bonjour, Monsieur Noury. Moi de même.

- Prenez place, intervient Liliane. Voulez-vous prendre quelque chose ? On ne mangera pas tard...

Layla acquiesce. Elle m'a parlé de sa famille et m'a donné quelques éléments les concernant et notamment le fait que son père ne veille pas tard et qu'en conséquence, ils dînent tôt. Cela ne me dérange pas du tout. Nous acceptons un petit jus de fruit.

- Alors, Alexis, Layla nous a dit que vous viviez en Ardèche ?

- Oui, dis-je. Je me suis installé à Antraigues.

- Vous n'avez pas l'accent, fait remarquer Liliane.

- Cela ne fait pas très longtemps que je m'y trouve. Mais j'ai l'intention d'y rester.

- Comme je vous l'avais dit, le Docteur Lambert a pris sa retraite, explique Layla. Et Alexis est en train de faire les démarches pour prendre sa suite.

- Ah, je vois... fait son père. C'était un bon médecin. Il est parti quand, Layla ?

- Il a arrêté à la fin de l'année dernière. Cela fait presque un an que les gens n'ont plus de docteur, répond-elle. Et ceux de Vals ou de Burzet font déjà le plein. Ils ne peuvent pas prendre de patients supplémentaires, même s'ils ont pallié au cours des mois passés, pour les personnes qui avaient besoin d'un vrai suivi. Mais ils ont tous refusé de devenir médecin référent, c'était impossible pour eux. Et ça fait presque deux ans que François, le maire, et son équipe, cherchent un remplaçant.

- Votre proposition tombe à pic, alors, dit Liliane en s'adressant à moi.

- En effet. Cela soulage tout le monde. Et qu'en plus, j'ai choisi de rester sur Antraigues, et non de rejoindre un des cabinets médicaux de Vals, cela les arrange aussi. Il va falloir être encore un peu patients : nous attendons la réponse de l'ARS pour valider mon installation. J'espère pouvoir exercer le plus rapidement possible maintenant.

Les parents de Layla hochent la tête. Puis sa mère lance la conversation sur la venue des deux petits, Jacob et Maxime. Layla prend des nouvelles de sa famille. Son papa intervient peu, mais demeure attentif. Nous ne tardons pas cependant à passer dans la salle à manger, une belle pièce là aussi meublée avec goût, et à prendre place autour d'une grande table ovale.

Il est une chose à laquelle je vais aussi devoir m'habituer lors de mes visites aux parents Noury, c'est qu'ils ont plusieurs personnes à leur service : un cuisinier et deux dames qui font tour à tour le service, le ménage et apportent aussi une assistance non négligeable à Monsieur Noury. Même si ce dernier a retrouvé une bonne autonomie, il a parfois besoin d'un peu de soutien et il y a certains gestes qu'il a encore du mal à faire, comme enfiler une veste, un manteau. Ou mettre ses chaussures seul. Lorsqu'il s'agit de chaussures type mocassins, c'est facile, mais s'il veut porter des bottes ou des chaussures à lacets, il a alors besoin d'aide.

Le dîner se déroule de façon très cordiale. Les parents de Layla s'intéressent à moi, tout en évitant de me poser quelques questions qui pourraient être embarrassantes, surtout pour eux, d'ailleurs, car elles touchent à ma famille. Layla les a informés avant notre venue que j'avais perdu mon père et je n'y fais qu'une brève allusion, histoire de les mettre à l'aise. Je livre peu mes sentiments concernant ma mère, mais nous parlons d'elle cependant. J'explique qu'elle est traductrice pour un organisme à vocation internationale, basé à Berlin. Qu'elle vit là-bas depuis une vingtaine d'années. Et que du fait de la distance et de nos métiers respectifs, nous nous voyons peu tous les deux.

Si Layla avait donné quelques indications me concernant à ses parents, elle n'avait en revanche pas du tout parlé de mon burn out. Nous en avions convenu tous les deux. Je préfère qu'ils ignorent ce que j'ai traversé, du moins pour le moment. J'explique en revanche aisément avoir voulu me "reconvertir" en médecin généraliste en découvrant Antraigues, en ayant conscience des besoins des populations rurales et en ayant envie de m'installer ailleurs que dans la capitale.

Layla

Je suis heureuse de cette première soirée à Montussan. Mes parents ont réservé un bon accueil à Alexis - je pense que le fait d'avoir très vite mentionné à maman qu'il était médecin a eu tout un effet sur elle. La discussion roule sur différents sujets et je suis heureuse que papa ne me parle pas de travail. Il est possible que maman lui ait fait la leçon et qu'il attende après le réveillon pour le faire. J'apprécierais de pouvoir demeurer dans un état d'esprit de "vacances" au moins jusqu'au 2 janvier.

Papa nous quitte cependant tôt, ne demeurant pas longtemps avec nous après le repas. Nous reprenons place au salon, maman, Alexis et moi. C'est seulement à ce moment-là que maman aborde la question de l'AVC de papa avec Alexis. Ce dernier se garde bien d'en dire trop, aussi parce qu'il vient tout juste de faire la connaissance de papa, qu'il ignore tout de son dossier médical, des différents examens et du suivi dont il a bénéficié. Mais il se montre encourageant et rassurant avec maman en lui disant qu'avec un suivi régulier, mon père ne présente désormais pas plus de risques que n'importe quelle autre personne de son âge. Et il ajoute que sans le savoir, il est difficile en voyant mon père, d'imaginer qu'il a pu faire un AVC du fait qu'il a quasiment retrouvé sa pleine autonomie. Tout juste peut-on percevoir quelques signes, mais encore faut-il être observateur et un tant soit peu informé pour en conclure que papa a connu ce genre de traumatisme.

Je sens bien que maman est rassurée par les propos d'Alexis. C'est tout à fait normal qu'elle se fasse autant de souci pour mon père, c'est elle qui a tout géré depuis ce jour. Du moins, en ce qui concerne la santé de papa et leur quotidien. Puisque pour l'entreprise, c'est moi qui ai pris le relais.

Maman et Gabin étaient présents, ainsi que Monique, une de nos employés, quand papa a fait son AVC. Pour une fois, mon frère a été redoutable d'efficacité et de réaction, comprenant bien vite que papa avait un souci et alertant aussitôt les secours. Leur arrivée rapide a permis une bonne prise en charge et très certainement que cela a contribué à ce que ses séquelles soient aujourd'hui peu handicapantes. Et surtout, à ce qu'il soit en vie.

La soirée passe ainsi, maman nous raconte aussi la soirée de Noël au cours de laquelle mon père avait pu veiller un peu plus tard que d'habitude, profitant ainsi de la joie de ses deux petits-fils à découvrir leurs cadeaux.

**

Nous gagnons cependant ma chambre assez tôt. Car nous nous ressentons de la route et maman a pris l'habitude de suivre le rythme de papa et de ne pas veiller trop tard. Depuis l'AVC, mes parents vivent au rez-de-chaussée de la maison, pour lui éviter d'avoir à emprunter les escaliers. Alors que papa était encore hospitalisé, maman avait lancé des travaux pour transformer l'ancien salon-bibliothèque qui était de belle taille en une chambre avec salle de bain. Leur ancienne chambre est devenue bibliothèque et nous utilisons désormais uniquement le petit salon.

Alors que nous arrivons à l'étage, je désigne rapidement les lieux à Alexis : la bibliothèque, les deux chambres de mon frère et de ma sœur, la salle de bain. Et la salle de jeux où mes neveux passent beaucoup de leur temps. Ils ont aussi une chambre pour eux.

- C'est une grande maison, me fait remarquer Alexis.

- Tu ne vas pas t'y perdre ?

- Non, je ne pense pas. Au pire, je vais confondre les deux chambres de ton frère et de sa sœur, mais comme ils ne sont pas là ce soir, ce n'est pas très gênant.

Je lui souris alors que nous entrons dans la mienne.

Elle donne sur l'arrière de la maison et le jardin. Lorsque nous étions arrivés ici, après avoir quitté l'Ardèche, mes parents nous avaient laissé le choix à Gabin, Justine et moi, pour nos chambres. Mon frère n'avait pas de préférence particulière, ma sœur voulait la plus grande... Et moi, je voulais celle qui possédait une vue m'offrant le plus de nature possible. La répartition s'était faite ainsi et mes parents avaient pris une des trois pièces restantes et donnant sur la cour, devant la maison.

Ma chambre n'est pas la plus grande des pièces de l'étage, elle est même légèrement plus petite que la salle de bain, mais je n'ai jamais porté attention à ce détail. Ce n'était pas là que se trouvait le plus important pour moi. Au moins, en laissant mon regard se perdre sur la cime des arbres pouvais-je retrouver évasion et réconfort. Je pouvais aussi admirer plus facilement le ciel étoilé, ayant moins de pollution lumineuse de ce côté, ouvrant sur la campagne alentours, que sur l'autre, tourné vers le village.

Nous commençons à nous installer, sortant nos affaires de nos sacs et valises et les rangeant dans l'armoire quasiment vide : j'ai ramené presque tous mes vêtements à Paris et je laisse toujours aux Auches une partie de mes tenues d'été. De toute façon, à Paris, je possède surtout des vêtements de type "ensembles" pour aller au travail, mais aussi quelques tenues "détente" pour le week-end. Ici, j'ai laissé deux robes d'été, un ou deux pulls et vestes. Je préfère amener à chaque voyage ce que je vais porter.

Un bref passage dans la salle de bain, puis nous nous retrouvons tous les deux. Alexis m'enlace, je lui offre volontiers mes lèvres, puis tout mon corps. Mon lit nous accueille sans tarder et je m'abandonne totalement.

La lueur pâle de la lune d'hiver fait briller doucement la sueur qui perle sur sa peau, sur la mienne, alors qu'il me recouvre de sa chaleur et va et vient en moi. Encore une fois, je savoure pleinement l'harmonie de nos deux corps, de nos deux cœurs. Et je me laisse défaillir, gémissant son prénom, lorsqu'il lâche le mien, à bout de souffle, au creux de mon épaule.

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