Chapitre 56

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Layla

- Allo, Layla ?

- Bonsoir, Aurélie !

- Tu vas bien ?

- Oui, ça va. Et toi ?

- Je ne te dérange pas ? Tu n'es pas encore en réunion ?

- Non, je suis rentrée et je m'apprêtais à dîner.

- Bien. Tu es toute seule, ce soir ?

- Oui, bien sûr.

- Ton bel Alexis n'est pas avec toi ?

- Il est reparti mercredi dernier pour Antraigues.

- Ah d'accord. Bon, dis-m'en plus !

Je lève les yeux au plafond : Aurélie peut être une incroyable curieuse !

- C'est sérieux, au moins ? reprend-elle comme je demeure silencieuse.

- Oui, tout ce qu'il y a de plus sérieux, dis-je avec assurance. Et cela l'est depuis le début.

- Vous vous êtes rencontrés cet été ?

Je n'aime pas mentir, mais je n'ai pas envie d'en dire trop non plus. Qu'Aurélie soit au courant, qu'elle puisse recevoir quelques confidences, c'est une chose. Mais tous mes secrets, non... Alors je saisis la perche.

- Oui. Et le courant est passé tout de suite entre nous. Nous avons la même vision de la vie, des projets similaires. Et nous nous entendons très bien.

- J'ai vu ça ! rit-elle. Donc tu fais "chasse gardée"...

- Aurélie, soupiré-je, ne me dis pas que tu n'as rien à te mettre sous la dent en ce moment...

- Ne te soucie pas de moi, ma belle. Je trouve toujours chaussure à mon pied ! Même si c'est juste pour un week-end...

Je souris : elle ne changera jamais. Ou alors, il faudrait des circonstances incroyables pour que cela arrive. Elle veut profiter... alors qu'elle profite, à sa façon. Après tout, avant de rencontrer Alexis, j'avais eu aussi quelques aventures du même genre. Enfin, seulement quelques. Alors qu'elle, c'est... beaucoup. Et tout le temps.

- Donc, Alexis. Futur médecin à Antraigues. C'est marrant, ce petit village me dit quelque chose... C'est donc là que vous avez fait connaissance, poursuit-elle avec son bel esprit de déduction.

- Oui. Et il s'y plaît, donc il va s'y installer, d'autant qu'une opportunité s'offre à lui puisque nous n'avons plus de médecin à Antraigues depuis l'an passé.

- Il va réussir à en vivre ?

- Il n'y a pas de raison qu'il n'y parvienne pas.

- Ce n'est pas bien grand quand même. Pas vraiment le genre d'endroit où faire carrière, même si j'ai bien compris que ce n'était pas ce qui le motivait.

- Tout à fait.

- Ca ne te posera pas de problème de gagner plus que lui ?

- Aucun. Et à lui non plus. Ce n'est pas ce qui nous intéresse en premier lieu. Je dirais même que c'est bien secondaire !

- Alors, c'est bien. Je suis heureuse pour toi, ma jolie ! En plus, il est vraiment canon. Oui, je sais, tu lèves les yeux au plafond en m'entendant. Mais c'est la vérité, Layla ! Tu l'as sacrément bien choisi pour ça ! Et j'ajoute, pour que tu ne me fasses pas une crise de jalousie, que vous allez très bien ensemble.

- Merci, souris-je avec amusement face à son enthousiasme.

- J'espère que ton moral restera au beau fixe, avec un bel homme comme ça en point de mire. Même si vous entamez une relation à distance.

- C'est déjà ce que nous vivons depuis quelques mois et nous sommes parvenus à nous voir régulièrement jusqu'à présent.

- Oui, mais il ne travaillait pas encore. Comment vous allez faire quand il va commencer ?

- J'irai à Antraigues à intervalles réguliers.

- Tu vas abandonner ton sacro-saint bureau ?

- Oui, pour des périodes de quelques jours à une bonne semaine, selon les circonstances. Je dois m'occuper de l'avenir des usines là-bas et je suis donc amenée à m'y rendre.

- Ca tombe bien !

- Oui. J'aurais pu m'y pencher dans un an ou deux, mais Alexis est aussi une très bonne raison d'y retourner régulièrement.

- Je dirais même, une très belle raison... Profite bien ! On se voit prochainement ?

- Je pars en Allemagne dans peu de temps, Aurélie. On verra ensuite...

- Ok, pas de soucis. Tu me rappelles quand tu as une dispo !

- Promis. Passe une bonne fin de semaine !

- Merci, toi aussi. Et bon voyage en Allemagne ! Puisque je ne peux pas encore te souhaiter un bon voyage en Ardèche.

- Merci. Bises. A bientôt.

Et nous raccrochons.

Je dépose mon téléphone sur la table basse et me rends dans la cuisine. Je sors le repas préparé par Nadine que je fais rapidement réchauffer et m'installe à table pour dîner. Puis je fais infuser une tisane et retourne m'asseoir dans le canapé. Mon regard se perd à nouveau dans la photo d'Antraigues. Un minuscule point coloré se distingue entre les arbres : c'est le toit du gîte d'Alexis et c'est là que mes yeux se posent, avant même d'aller chercher la maison des Auches.

Alexis

C'est un beau matin froid d'hiver. A peine sorti sur la terrasse et mon souffle se fait vapeur devant mon visage. Je jette un regard dans le grand sac que je tiens à la main. Ok, normalement, j'ai tout le nécessaire. Mes chaussures de randonnée, une bonne paire de gants de travail, une thermos de café que je viens de remplir. Et mon bâton de marche.

Je monte dans la voiture et je prends la route qui passe devant le gîte, non vers Antraigues, mais vers Cupiat. C'est une toute petite voie qui passe plus en hauteur que la départementale, mais suit le flanc de la montagne. Arrivé au hameau du Fau, je continue sur deux à trois cents mètres environ avant de prendre un chemin sur la droite. Un peu plus haut m'attend Samuel. Il a garé sa voiture de façon à ce que la remorque se trouve orientée vers le bois où nous allons travailler. Ses deux fils doivent nous rejoindre, je suis le premier sur les lieux.

- Bonjour, Alexis. Tu as trouvé ?

- Bonjour, Samuel. Facilement, oui. C'est une journée idéale pour ce qu'on va faire, non ?

- Oui. Beau et sec. Tu as tes affaires ?

Je sors mes gants du sac, il hoche la tête.

- C'est bon, ils sont assez épais.

- J'ai fait les châtaignes avec, dis-je, en m'asseyant sur le siège avant pour changer mes chaussures. Par contre, comme je te le disais l'autre jour, je n'ai pas d'outils. Il faudra peut-être que je m'équipe.

- J'ai ce qu'il faut, t'inquiète. La tronçonneuse est déjà à poste et la brouette aussi. Et j'ai des sécateurs en nombre et taille suffisants. Un de mes gars va apporter sa propre brouette et ils ont des remorques tous les deux. On chargera ce qu'on pourra, mais il y a de la coupe à faire.

Mes chaussures une fois bien lacées, je me redresse et dis :

- On les attend ou on commence sans eux ?

- On va commencer. On peut déjà faire quelques chargements. Et je vais te montrer pour la taille.

Nous nous engageons à flanc de coteau, le long d'une murette. Je distingue vite les outils dont il m'a parlé, près du mur. Et tout un tas de rondins qui n'attendent qu'une chose : des bras pour les ramasser. Samuel se saisit d'un assez gros sécateur et d'une petite scie, puis sans nous arrêter près du tas, nous grimpons sur la murette supérieure et nous enfonçons un peu dans le bois. Là plusieurs arbres attendent d'être taillés. Cela se voit d'emblée par rapport aux autres.

Samuel fait un grand geste pour me désigner le coteau :

- Mon terrain s'étend jusqu'à la route et là-bas, sur la droite, jusqu'au ruisseau qu'on devine.

Je hoche la tête, je vois nettement le petit creux formé par ledit ruisseau. Il continue en se retournant :

- Et jusqu'à la crête. L'an dernier, on a nettoyé toute la partie basse. Au printemps et à l'automne, on nettoie le sous-bois. Et l'hiver, on s'occupe des arbres. On va remonter, murette par murette, jusqu'au sommet.

- Tu penses terminer cet hiver ? demandé-je un peu surpris.

- Oh non ! Peut-être au mieux dans deux ans. C'est que je n'ai pas que ce bout de terrain-là... J'alterne. Un peu ici, un peu de l'autre côté de la Volane.

Il fait encore quelques pas et s'approche d'un arbre.

- Alors voilà. Pour commencer, tu dégages le pied de tous les rejets, les petits, comme les moyens. Le sécateur suffit, mais n'hésite pas à prendre la scie, sinon, tu vas vite avoir mal au poignet. Faut varier. Quand tu as fini pour un arbre, tu regroupes grossièrement les branches en tas. Ca, on ramassera plus tard. On va commencer et quand les gars seront là, on s'occupera plutôt des grosses branches et des rondins.

Nous nous mettons au travail. Samuel est un gars sérieux et soigné. Il va vite aussi, l'habitude. Nous avons presque fini le tour du quatrième châtaignier quand nous sommes interrompus par une voix franche et joyeuse : c'est Franck, son aîné. Il est suivi de Guillaume. On se salue et on discute de l'organisation.

Les deux frères vont se relayer, pas plus d'une demi-heure chacun, avec la tronçonneuse. Samuel y veille pour éviter la fatigue et les accidents. Il me glisse à l'oreille que lorsque les gars se mettent dans le bois, les accidents ne sont pas rares et qu'il m'arrivera certainement d'avoir à soigner quelques blessures. Il est fréquent de devoir faire appel aux pompiers pour un accident de tronçonneuse. Autant être prudent. En plaisantant, je dis à ses fils que je n'ai pas encore ma trousse de médecin, que ce serait donc bien qu'ils fassent attention.

Pendant qu'ils vont faire la taille des arbres, nous allons Samuel et moi, remplir les brouettes et faire le transport jusqu'aux remorques. Dès qu'une sera pleine, l'un ou l'autre la conduira chez Samuel. Ses fils ont déjà fait provision de bois pour la fin de l'hiver et ont encore de quoi faire. Mais Samuel aime bien profiter pour en rentrer dès qu'il en a l'occasion. Et il a de la place pour le stocker. Nous commençons donc. On fait vite tomber les vestes épaisses, car on n'a pas froid à travailler ainsi.

A faire les allers et retours, je note vite un autre intérêt des murettes : en plus d'apporter une touche particulière au paysage, de permettre les cultures, elles offrent aussi comme des chemins faciles à parcourir. On ne ressent pas la pente de la montagne et pousser les brouettes, même pleines, est aisé. Nous avançons bien. Pendant que Franck tronçonne, Guillaume débite les rondins. Il retire d'abord les petites branches, puis découpe la principale.

Une fois la première remorque remplie, Franck abandonne la tronçonneuse à son frère, prend le volant et nous laisse, le temps d'amener ce premier chargement chez son père. Là-bas, aidé de sa mère et d'un voisin, il va la décharger grossièrement dans la cour. Eux feront le rangement, pendant qu'il nous rejoindra. C'est un peu du travail à la chaîne, mais c'est ainsi qu'on est efficace.

Nous marquons une pause-café vers 11h. Franck est revenu avec un panier garni : nous allons pique-niquer sur place. Il en sort des parts de gâteau, bien appréciées avec le café. Puis nous reprenons l'ouvrage.

**

Nous nous séparons en fin d'après-midi, bien contents de l'avancée. Samuel me remercie chaleureusement pour l'aide apportée, je l'assure de revenir l'aider à l'occasion. J'ai bien aimé cette journée, passée dans le sous-bois. C'était physique, mais moins éprouvant que les châtaignes. J'en ressens une saine fatigue, un peu comme lorsque je rentre d'une longue randonnée. D'ailleurs, je pense retourner sur les sentiers très vite. Certains sont praticables, même en cette saison, surtout que la végétation n'est pas encore sortie de son endormissement hivernal.

En arrivant à la maison, je demeure un instant tout interdit, ne parvenant pas à sortir de la voiture. Puis j'éclate d'un rire franc, que je suis le seul à entendre.

Contre le muret de la terrasse, un des fils de Samuel a déposé le plein chargement d'une remorque de bois.

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