Chapitre 60

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Layla

- Que pensez-vous de cet arrangement, Mademoiselle ?

Je viens d'écouter les explications de Maïwenn. Cela fait une petite demi-heure que nous sommes dans le train pour Montélimar. Après m'avoir présenté les derniers éléments de son travail, nous commençons à préparer la semaine qui nous attend.

- Je pense que c'est la meilleure solution, Maïwenn. Je comprends tout à fait ces messieurs de ne pas vouloir faire les visites ensemble. Après tout, ils sont concurrents et les questions de l'un pourraient aiguiller l'autre. Et nous serions aussi en situation délicate. Le but est qu'ils produisent la meilleure étude possible, qu'ils nous donnent un chiffrage exact concernant la réhabilitation des usines. L'un pourra penser à certains détails, l'autre pourra en oublier... Bref, je considère déjà leur travail comme complémentaire. Donc vous avez fait le bon choix. Nous verrons Monsieur Legris lundi et mardi, et Monsieur Charny mercredi et jeudi. Il nous restera le vendredi pour nous deux, pour faire le point après ces journées. Nous pourrons déjà comparer leurs réactions, les éléments qu'ils auront soulevés, afin de leur demander ultérieurement des précisions, de souligner des manques éventuels. Non, franchement, je trouve que c'est très bien ainsi.

Elle me sourit.

- J'avais demandé son avis à Laurent et il m'avait dit que c'était le mieux selon lui, mais je m'inquiétais aussi des frais supplémentaires que cela allait occasionner. Ce n'est pas donné de payer leur étude.

- J'ai cela à l'esprit aussi, Maïwenn, mais nous ne pouvons pas avancer sans eux. Et autant faire appel à des professionnels sérieux, même un peu plus chers. Nous gagnerons du temps et de l'argent au final. C'est un des aspects de votre mission, il faut que vous ayez à l'esprit qu'il y a des frais annexes. Mais c'est un gros projet pour l'entreprise et c'est normal aussi de veiller à ce que chaque étape de votre étude soit menée dans de bonnes conditions. Il y a des choses que vous pouvez faire seule et vous l'avez déjà largement prouvé, et d'autres où nous avons besoin d'avis extérieurs. Et cette étape de l'estimation des travaux et du rééquipement des usines en est un bon exemple.

- Je vous remercie de votre confiance, Mademoiselle. C'est un gros projet pour moi et je trouve cela passionnant. J'espère le mener à bien, de façon satisfaisante pour vous.

- Certes, je comprends et je vous remercie en retour de votre engagement. N'oubliez pas cependant qu'il y a une chose qui est importante aussi à mes yeux : vous croyez à ce projet autant que moi.

- C'est vrai. Je trouve que c'est un beau projet. C'est constructif, pas destructeur. C'est pour ce genre de démarche que j'ai envie de travailler.

Je lui souris. J'apprécie vraiment son enthousiasme en plus de sa rigueur. Puis elle change de sujet :

- Où me conseillez-vous d'aller me promener, Mademoiselle, pour ce week-end ?

- Avez-vous parcouru la vallée de l'Ibie ? C'est très sauvage et joli.

- Non, j'étais revenue par la nationale, après avoir visité les Gorges et le causse. J'ai vu Alba la Romaine aussi.

- Alors la vallée de l'Ibie peut être un bon choix. Il y a aussi le plateau du Coiron qui est étonnant. Et bien entendu, vous pouvez aller jusqu'au plateau ardéchois, mais il y aura sans doute de la neige encore à cette date. Néanmoins, les routes seront dégagées. Mais je ne crois pas que la voiture de location soit équipée en pneus neige, si on n'en a pas fait la demande spécifiquement.

- Et vous, Mademoiselle ? Vous avez un programme de prévu ?

- Je ne sais pas encore. Je ferai un tour dans Antraigues, c'est certain, plus vraisemblablement dimanche matin. J'aimerais bien remonter sur le plateau. Je n'y suis pas allée depuis l'été dernier et c'est un endroit que j'aime beaucoup. Je verrai avec Alexis. Il a peut-être des envies de balades lui aussi. On devrait pouvoir randonner.

- Son installation se passe bien ?

- Oui, il a commencé à travailler la semaine dernière. C'est tout frais, mais ça se passe bien pour le moment. Il en est content.

- C'est normal, sourit-elle. C'est tellement important d'avoir un médecin généraliste ! J'imagine que c'est rassurant pour tous les habitants et un vrai soulagement.

- Tout à fait.

- Finalement, vous faites un peu la même chose, tous les deux. Lui en s'installant ici et vous en essayant de relancer les usines. C'est une façon de faire vivre le pays. On a parfois de très grandes ambitions, mais parfois, faire déjà ce qu'on est en mesure de faire, c'est bien.

- C'est très juste et c'est ce que je me dis au quotidien. Faire selon ses moyens. Mais en s'en donnant les moyens aussi, conclus-je d'une voix assurée.

Alexis

Je me perds dans des volutes de douceur. La peau de Layla est fraîche et tendre sous mes lèvres, son corps chaud contre le mien. Mes mains ne cessent de la parcourir, de retrouver les chemins du plaisir. Ses plaintes m'enchantent, son cri me ravit. Et je me noie dans son regard bleu marine, là où s'ouvre la frontière d'un monde qui n'appartient qu'à nous.

- Alexis ?

- Hum ?

Je suis au bord du sommeil, dans cet état second où on flotte loin, très loin. Mais si proche de l'autre, au cœur de l'amour.

- Je t'aime. Je suis si heureuse d'être ici, à nouveau, avec toi.

Je souris et resserre mon étreinte autour du corps de Layla. J'ai niché ma tête dans son cou, et je savoure. Tout. Tout d'elle. Tout de nous.

- Moi aussi, réussis-je à lui murmurer au creux de l'oreille. C'est tellement bon de te retrouver.

Ses mains glissent lentement de mes épaules à mes reins et j'en frissonne.

- Je t'aime, Layla.

**

Nous avons fait comme d'habitude. A peine arrivés à la maison, je l'ai entraînée vers sa chambre. Mais pour une fois, c'est moi qui ai pris la direction des "opérations". Je l'ai déshabillée, embrassée, caressée. Je ressentais une faim dévorante, pour elle. L'envie de la parcourir toute entière, pour goûter toutes ses saveurs et profiter de tous ses frissons.

Chacune de nos retrouvailles sonne comme un nouveau printemps. Et c'est bien un nouveau printemps qui nous accueille et nous attend.

Nous sommes venus directement aux Auches, je savais que Layla aurait envie d'y dormir dès son premier soir ici, aussi avais-je tout prévu. J'avais apporté mercredi mes propres affaires, quelques courses, fait le lit, un peu de ménage et mis le chauffage plus fort. La maison était agréable quand nous sommes arrivés, en début de soirée.

Même si j'ai été bien occupé au cours des semaines passées, depuis mon dernier déplacement à Paris, Layla m'a manqué. C'est ainsi. Nous vivons à distance, trop loin pour nous voir chaque semaine. Il faut l'accepter et profiter de chaque occasion qui nous est donnée. Et cela sera moins facile désormais que je travaille.

Je ne regrette cependant pas mon choix. En une dizaine de jours, j'ai vu un certain nombre de patients. Mon carnet de rendez-vous est bien rempli pour les prochaines semaines : j'ai veillé à garder au moins une heure chaque jour de disponible, pour d'éventuelles urgences : une gastro-entérite ou un cas de varicelle chez un enfant, une bronchite ou une entorse pour un adulte. La plupart des consultations concernent cependant le suivi des patients, de reprendre en main leur dossier médical après plus de quinze mois d'interruption, dans le meilleur des cas. Certains n'ont pas vu de médecin depuis près de deux ans. Le laboratoire d'analyses de Vals va tourner à plein régime, car j'y envoie quasiment tous mes patients pour avoir un bilan. Sans compter le cabinet de radiologie et de doppler.

Je suis donc très heureux que Layla ait pu venir en cette fin mars. Elle a déjà prévu de revenir au mois de mai, car deux jours fériés tombent la même semaine. Elle pourra donc passer ici toute une semaine. Et comme je ne travaille pas les jours fériés, nous aurons du temps pour nous, pour randonner. Comme l'an passé.

Layla

C'est un petit matin très frais de début de printemps qui se lève ce samedi-là. Nous déjeunons dans la salle, mais je déguste la fin de mon café sur la terrasse. La nature est en train de secouer le joug de l'hiver, les couleurs commencent à changer sur la montagne : le gris-jaune des herbes est remplacé par un vert léger, les bruyères refleurissent, les bourgeons des châtaigniers commencent à s'ouvrir. Les premiers fruitiers sont en fleurs, et notamment les cerisiers, les amandiers. L'un d'entre eux pousse en contrebas de la maison, légèrement sur la droite. J'ai toujours aimé la délicatesse de ses fleurs et je suis heureuse de pouvoir assister à leur éclosion, cette année. Pour moi, c'est toute une promesse : le printemps est là. Et c'est aussi la promesse d'un bonheur à venir, comme le symbole de notre amour grandissant.

Je veux profiter pleinement des deux week-ends que je peux passer ici, d'autant que ce sont les seules journées durant lesquelles nous serons totalement ensemble, Alexis et moi. Nous avons décidé de randonner aujourd'hui, en partant de Genestelle pour faire deux belles boucles et rejoindre ainsi l'un des chemins que nous avions empruntés depuis Saint-Andéol-de-Vals. J'avais dit à Alexis que tous les environs étaient émaillés de chemins, ce parcours en est la preuve. Pour qui aime la randonnée et veut parcourir de longues distances, en campant, c'est possible à travers toutes les Cévennes ardéchoises et même plus au sud. Il y a des petits campings dans de nombreuses communes et il suffit aussi de demander aux paysans ou dans un hameau, on trouve toujours à planter sa tente dans un coin de champ, à condition de rester respectueux.

Nous quittons donc les Auches assez tôt dans la matinée, lestés du pique-nique. Alexis a profité des derniers week-ends pour reprendre la randonnée de façon assez soutenue, j'ai moins d'entraînement que lui, malgré mes marches hebdomadaires au Bois de Boulogne et mes séances de natation. La randonnée envisagée n'est pas très difficile, le dénivelé est moins important qu'en allant d'Antraigues à Craux, et surtout, il se fait par étapes. Mais j'aime beaucoup ce parcours. Sur le retour, nous nous arrêterons faire un petit coucou à Hugo et Emilie, puisque nous passerons juste devant chez eux avant de regagner le village et de récupérer la voiture.

Nous nous sommes couverts, car le fond de l'air est encore frais. C'est le temps idéal pour randonner. Nous allons vite nous réchauffer à marcher, surtout que le soleil est bien présent. Le parcours commence par une descente vers la vallée, puis nous traversons un petit ruisseau tout en longeant des murettes, des petits champs. Il y a là quelques vaches, des brebis, des chèvres. Une petite ferme, comme il y en avait tant il y a encore une cinquantaine d'années. Ceux qui vivent là ont besoin de peu, ils n'ont pas d'ambition démesurée, juste la volonté de vivre au pays.

Après avoir marché dans la vallée, nous remontons sur le versant opposé à Genestelle, puis nous basculons vers une autre vallée. La randonnée offre ainsi une alternance de montées et de descentes, le chemin court parfois à flanc de colline. Vers midi, nous avons parcouru plus de la moitié de la distance et nous nous arrêtons au soleil, au bord d'un champ. Des souches de châtaigniers offrent des sièges bienvenus.

Nous entamons notre pique-nique tout en discutant et en observant la nature autour de nous. Il fait bon, on n'entend aucun bruit de moteur, juste celui de la vie, de la vraie vie : un ruisseau qui chante en contrebas, le bourdonnement des premières abeilles, des premiers bourdons, le cri de quelques rapaces, le chant de nombreux petits oiseaux. Et celui, léger, du vent qui passe à travers les branches, caresse les herbes, fait ployer quelques tiges séchées, des fougères fanées. La nature se réveille.

Et nous aussi.

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