Chapitre 91

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Alexis

Ce midi-là, je déjeune chez Mariette, à "La Montagne". Menu unique en hiver, pas de complications, mais c'est très bon et ça me convient bien. Je ne suis pas le seul attablé, des artisans déjeunent souvent là le midi, quand ils ont des chantiers dans le coin. Et certains jours, quelques personnes seules viennent aussi. Parfois, elles n'ont tout simplement pas le courage de se préparer un repas, parfois, elles veulent seulement rompre la solitude. Je ne bénéficie pas d'une très longue pause, j'ai terminé avec un peu de retard, car j'ai dû prendre deux enfants malades en urgence dans la matinée. L'épidémie de varicelle est en train de toucher l'école et ceux qui n'y sont pas encore passés vont certainement l'attraper. Mieux vaut l'avoir très jeune, de toute façon !

En début d'après-midi, je dois faire deux visites : un enfant très fiévreux à Aizac et une visite de contrôle auprès d'un vieux monsieur de Genestelle. Pas vraiment la même direction pour les deux, mais pas trop éloigné non plus. Par sécurité, je commence par le vieux monsieur : on ne sait jamais, si le gamin a la grippe ou autre, pas la peine de traîner des microbes chez une personne fragile.

Je déjeune donc assez rapidement, assis à une petite table qui donne près d'une fenêtre. Je peux regarder la place. Elle est vide, parfois traversée par un riverain, pas plus. Ce n'est pas l'heure des joueurs de boules et de toute façon, le terrain est trempé, pas facile de jouer dans ces conditions. Les tilleuls et autres arbres ont perdu leurs feuilles. Le musée Ferrat est fermé à cette heure.

Autour de moi, les conversations roulent, surtout aux deux tables des artisans. Mariette échange avec les habitués, puis s'approche de ma table.

- Un dessert, Alexis ?

- Non, merci. Mais un café, je veux bien.

- Journée chargée ?

- Oui, j'ai deux visites à faire à domicile, je ne vais pas m'attarder, d'autant que ma matinée a été bien remplie. J'ai fait un peu de "rab" ce midi, c'était aussi simple de venir manger ici, d'ailleurs, ça me fait gagner un peu de temps.

- Pas de souci. Je te prépare ton café, ajoute-t-elle en débarrassant mon assiette et mes couverts.

A peine deux minutes plus tard, deux tasses fumantes se glissent devant moi. Son mari en a terminé en cuisine et me demande :

- Je peux prendre le café avec toi, Alexis ?

- Volontiers, Bertrand. Tu vas bien ?

- Oui, toi aussi ?

- Oui, bien. Tout roule.

Il sourit. Je l'aime bien, lui. Très bonhomme, plutôt bon cuisinier, sans faire dans le "recherché". Toujours de bonne humeur. Et rarement malade. Autant sa femme connaît des soucis de circulation sanguine, varices et autres, au niveau des jambes, autant lui, c'est un roc. Je l'ai vu dans le courant du mois d'octobre, un peu poussé par Mariette qui voulait qu'il fasse un bilan. Résultat, ledit bilan est excellent et il n'a à s'inquiéter de rien du tout, pas même de surveiller un taux de cholestérol qui frôlerait la limite. Encore un qui pourrait finir centenaire...

- Layla va bien ? me demande-t-il.

- Oui, elle revient en fin de semaine.

- On la voit souvent, maintenant, ça doit te faire plaisir aussi.

- Si je te réponds non, tu ne vas pas me croire !

Il a un petit sourire en coin, porte sa tasse à ses lèvres. Je poursuis :

- Elle viendra toutes les deux semaines environ, pour le suivi du chantier.

- C'est une grosse affaire. Ca fait sacrément parler dans le coin.

- Je m'en doute. Ce n'est pas rien ce qu'elle tente de faire.

- Il y a des sceptiques. Un peu. Et d'autres qui se demandent ce qui lui est passé par la tête. Mais il y en a beaucoup qui veulent y croire. Ramener du travail ici... Tiens, rien que les artisans, là, ça leur donne du boulot...

Je hoche la tête :

- Oui, bien sûr. Plusieurs mois de chantier pour certains, ce n'est pas rien pour une petite entreprise, pour une comptabilité.

- Elle avait bien caché son idée, Layla, me sourit-il à nouveau. Le coup de tonnerre que ça a fait quand c'est sorti au grand jour ! Avec tout le déroulement prêt...

- Elle ne voulait pas en parler avant d'être certaine que ce serait jouable, expliqué-je. Pour ne pas donner de faux espoirs. Mais elle y croyait fort, elle voulait vraiment y croire.

- J'espère qu'elle réussira. Ce serait une bonne chose. Non seulement, ça donnera du travail à pas mal de gens du coin, mais ça pourrait favoriser quelques installations, et donner du travail à d'autres, les commerçants, faire vivre les écoles... Oui, j'espère qu'elle réussira.

- Moi, je suis sûr qu'elle réussira, dis-je.

Et nous échangeons un regard bien compréhensif, avant que je ne termine mon café et que je ne prenne congé.

**

Alors que je redescends de Genestelle, prenant avec assurance les nombreux virages qui me permettent de revenir vers Antraigues avant de monter à l'assaut du volcan pour me rendre à Aizac, je repense à la proposition de Layla, lors de son dernier passage : m'installer aux Auches. L'idée a fait son chemin dans ma tête. Après la surprise, je commence à me dire que ce serait une belle opportunité. D'abord, cela permettrait de faire vivre la maison tout au long de l'année, d'en prendre vraiment soin, voire de m'occuper un peu du terrain alentours le week-end. Si Layla confie l'entretien de la châtaigneraie à un voisin, ce n'est pas le cas du jardin et des murettes. Elles commencent à donner l'impression d'être à l'abandon et je sais que ça lui fait mal au cœur, même si elle ne me l'a pas dit.

Je dois reconnaître que je me réfugie aussi derrière ces - bonnes - raisons. Car au fond de moi, je suis profondément touché de la proposition de Layla. Parce que cela signifie aussi beaucoup, de notre relation, du chemin que nous prenons et sur lequel nous avançons depuis le début. Notre histoire devient, petit à petit, de plus en plus solide, malgré la distance. Vivre dans sa maison, que cette maison devienne la nôtre et non pas uniquement la sienne, ce n'est pas rien.

Et c'est plus que symbolique.

Layla

Ce matin-là, Serge nous conduit Laurent et moi jusqu'à la Gare Montparnasse. Nous allons prendre le train pour Bordeaux, pour passer deux jours à Libourne. Des réunions importantes nous attendent pour entériner les bilans de cette fin d'année 2018 : réunions en comité restreint avec la direction sur place, réunion de fin de chantier avec les équipes d'artisans et le maître d'œuvre pour signifier la fin des travaux de restauration de l'usine, et dernier comité d'entreprise de l'année.

Notre délégué qui a suivi le chantier est déjà sur place pour préparer cette réunion qui devrait être une formalité. Il n'y a pas eu de gros soucis, le chantier s'est déroulé dans les temps, même si quelques adaptations ont dû se faire au fur et à mesure, ce qui est toujours le cas, d'autant que l'usine a continué à tourner. Nous n'aurons pas à tenir compte de ce paramètre pour Ucel et Labégude, ce qui simplifie les choses.

En revanche, le dernier comité d'entreprise à Libourne s'annonce chargé, comme souvent en fin d'année : il faut dresser le bilan d'activité, le bilan comptable, préciser le plan de formation et les objectifs pour l'année à venir. C'est toujours un gros morceau. Lors de la réunion de novembre, nous avions demandé aux représentants syndicaux d'aborder à cette occasion les éventuelles situations particulières, de même de faire le point sur les possibles augmentations de salaire, afin de ne pas avoir à traiter cela en décembre. De plus, nous aurons à présenter le bilan du chantier. La réunion est prévue sur une journée complète pour pouvoir aborder tous ces points.

Je vais évidemment en profiter pour voir mes parents, mais j'aurai peu de temps à leur consacrer et pas du tout la possibilité de voir mes neveux. Maman s'est d'ailleurs bien gardée de leur dire que je venais. Nous nous verrons tous à Noël.

Nous arrivons en fin de journée à Bordeaux, Justine est venue nous attendre à la gare. Nous déposons Laurent à son hôtel, à Libourne, avant de gagner la maison familiale. Mes parents sont ravis de nous voir, Justine restant dîner avec nous, même si elle ne s'attarde pas.

A l'issue du repas, alors que maman m'accompagne à l'étage, elle me demande :

- Ca va, Layla ? Je te trouve un peu fatiguée...

- La fin d'année est très chargée, maman, j'en conviens. Plus que d'habitude, car j'ai fait de nombreux déplacements en Ardèche depuis deux mois. Je te rassure : je vais prendre le rythme.

- Tu tiens à suivre le chantier aussi régulièrement ?

- Oui, pour des tas de raisons et aussi parce que cela nous permet de nous voir plus souvent, Alexis et moi. Il n'a pas pu remonter sur Paris depuis septembre.

- Bien sûr. Je comprends que tu t'organises ainsi.

- J'ai réfléchi aussi avec Serge, pour limiter la fatigue liée aux trajets. Il propose de venir avec moi, que nous prenions le train jusqu'à Montélimar et de louer une voiture pour m'amener à Aizac, puis me reconduire à Montélimar pour le retour. En cette saison, c'est mieux de toute façon de prendre le train et c'est moins fatiguant. Même si je peux travailler quand il conduit, c'est plus confortable aussi que de le faire en voiture. Et comme il assurera mes déplacements sur place, du moins en partie, ça m'enlève aussi un peu de fatigue tout en me permettant de profiter de mon séjour à Aizac dans de bonnes conditions. Nous ferons ainsi jusqu'au printemps, ensuite, on avisera.

Elle hoche la tête, puis me demande :

- Et pour Noël ? Comment prévoyez-vous les choses, Alexis et toi ?

- On en parlera demain, maman, si tu veux bien. C'est un peu compliqué et je préfère qu'on en discute toutes les deux posément. D'accord ?

- D'accord, ma chérie. Dors bien et on se verra au petit déjeuner demain.

- Bonne nuit, maman, dis-je en déposant une bise sur sa joue.

Elle me serre un instant dans ses bras, puis me relâche avant de quitter ma chambre.

J'avais monté ma valise en arrivant, je défais rapidement mes affaires, me prépare pour la nuit. Puis une fois couchée, j'appelle Alexis. Je lui avais envoyé un message pour le prévenir que j'étais bien arrivée et que je l'appellerai dès que possible. Il n'est pas très tôt, mais je sais qu'il va attendre mon appel.

- Alexis, c'est moi !

- Layla ! Ca va ?

- Oui.

- Tu m'appelles tard, ça a été le voyage ? Tes parents ?

- Oui, ça a été. Mes parents vont bien et te passent le bonjour. Justine est restée pour le dîner, on a discuté un peu avec mes parents... Bref, me voilà seulement un peu tranquille pour t'appeler. Ca va de ton côté ?

- Oui, bien. De bonnes journées, car les jeunes enfants sont touchés par la varicelle et j'ai eu un cas alarmant hier. J'ai craint un souci, la maman était un peu affolée, mais c'est juste une bonne bronchite avec beaucoup de fièvre. Je suis repassé ce soir, en quittant le cabinet, pour surveiller et même si le petit est bien malade, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Il faut être vigilant quand il y a de grosses fièvres et des maux de tête, on peut toujours craindre une méningite. Sinon, tu as parlé des fêtes avec tes parents ?

- Pas encore. Je ne voulais pas lancer la discussion ce soir. J'ai dit à maman qu'on en parlerait demain.

- Tu vas avoir une grosse journée. Tu seras en état ?

- Oui, ça ira. La plus grosse journée, c'est vendredi, avec le comité d'entreprise. Demain, ce sont des "petites" réunions. Je t'accorde, petites entre guillemets, précisé-je en souriant.

- D'accord. Tu me tiendras au courant demain. Je te laisse m'appeler quand tu auras un moment tranquille... D'ici là, dors bien et bon courage pour ta journée demain !

- Merci, pour toi aussi. Je t'aime.

- Moi aussi, mon amour. Je t'aime. Je t'embrasse.

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