Chapitre 98

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Alexis

En ces premiers jours de janvier, je reprends la route pour Antraigues, laissant derrière moi Layla. Elle demeure quelques jours de plus pour les vœux et des réunions à l'usine de Libourne. Nous avons passé une semaine agréable et plutôt reposante. Moi qui ne connaissais pas du tout le Bordelais, j'ai pu le découvrir un peu. Nous nous sommes ainsi promenés à Libourne, dans les vignes autour de Saint-Emilion, le long de la Dordogne, et avons passé une journée à Arcachon, ce qui nous a amenés à faire l'ascension de la dune du Pilat. Nous avons emmené Maxime et Jacob avec nous, ce qui les intéressait plus que la ville de Libourne ou le vin. Ils ont cavalé comme des fous, ramené trois tonnes de sable dans leurs poches et se sont endormis dans la voiture sur le chemin du retour.

J'en souris en revoyant la tête de Liliane lorsque j'ai sorti les garçons de la voiture, l'un après l'autre, pour les porter dans leur chambre. Il n'était pourtant pas très tard, à peine 18h, mais ils ont dormi comme des anges jusqu'au lendemain matin.

Une nouvelle séparation s'annonce, mais elle sera de courte durée : Layla a prévu de revenir à Antraigues le 16 ou le 17 janvier, pour la réunion de chantier. Elle effectuera ainsi le déplacement toutes les deux semaines, sauf autres contraintes. Les réunions importantes à Libourne et à Paris seront planifiées en fonction. Il lui arrivera de gagner Antraigues après un passage à Libourne. Serge l'accompagnera le plus possible, pour limiter sa fatigue et assurer ses déplacements sur place. Le rythme va s'accélérer pour elle et j'espère qu'elle tiendra le coup, même en étant bien secondée par Laurent à Paris, l'équipe de la direction à Libourne, et les relais en Ardèche, dont Maïwenn.

J'ai quitté tôt Montussan, d'autant que je ne vais pas prendre la route habituelle. A cause de la neige dans le Massif central et des risques à descendre la côte de la Chavade, je prends l'autoroute tout du long ou presque, en passant par Toulouse, puis Montpellier, avant de remonter la vallée du Rhône. Pas ce que je préfère, car l'autoroute, c'est vite monotone, même si ce parcours est loin d'être le pire, mais Layla est plus tranquille de me savoir sur cette route, plutôt que tenter la traversée des montagnes. J'ai pris note des adresses de Serge, même s'il emprunte plus rarement cet itinéraire. Je m'arrête ainsi pour déjeuner à côté de Narbonne.

J'arrive à Antraigues, il fait nuit noire. Le trajet s'est bien passé. J'appelle Layla en me faisant réchauffer une part de viande et de légumes que Liliane a glissée dans ma glacière, remonte le chauffage dans la salle de bain pour me prendre une bonne douche. Je ne m'attarde pas : demain, je reprends le travail.

Layla

L'an passé, Alexis était avec moi pour les vœux à Libourne. Cette année, j'ai beaucoup de choses à annoncer. La journée se passe bien, avec une réunion préparatoire au CE qui aura lieu dans deux semaines : Serge m'amènera, puis me conduira en Ardèche pour la première réunion de chantier de l'année à laquelle j'assisterai. Je devrais pouvoir noter une avancée, notamment à Ucel : si le temps le permet, charpentiers et couvreurs devraient en avoir terminé au-dessus de l'atelier. Ils engageront ensuite une vérification de la toiture des bâtiments administratifs. Mais d'après la première expertise, avant le démarrage du chantier, celle-ci ne nécessitait qu'un entretien réduit.

Si tout le personnel est informé depuis quelques mois du projet REA comme l'a appelé Laurent, il n'a qu'une vague idée encore des implications que cela va apporter. A l'occasion de mon discours, je dresse donc un aperçu des mois à venir, en insistant sur les changements à envisager à Libourne. Je me fais rassurante aussi : ce n'est pas parce que la production haut de gamme va partir à Ucel dans un an que l'activité ici sera réduite, bien au contraire. Notre gamme biologique rencontre un vrai succès, y compris à l'étranger, et nous pourrons alors en augmenter la production. Je n'envisage aucun plan de reconversion, aucun déplacement d'employés en Ardèche, hormis ceux qui souhaiteraient aller y travailler. Il est possible en effet que quelques personnes - et je pense notamment à la fille de Marcel - qui en sont originaires et qui avaient accepté d'aller travailler à Libourne lors de la fermeture des usines aient envie de retourner "travailler au pays". Nous verrons cela en temps et en heure. A la marge, il est possible aussi que quelques ouvriers partant en retraite ne soient pas remplacés, mais il est encore trop tôt pour être affirmatif.

Mes deux journées sur place se passent bien. Dès le premier soir, papa m'entretient de la situation. Il s'est retenu durant les vacances hormis durant notre visite du chantier à Ucel et Labégude, et cela fait un moment, je dois le reconnaître que nous n'avons pas échangé en profondeur tous les deux.

Comme je ne suis pas rentrée trop tard, nous demeurons, lui et moi, un moment au salon.

- Bien, Layla, dis-m'en plus, s'il te plaît. Ta mère fait son cerbère, mais je t'assure que je suis parfaitement en forme et capable de discuter de la situation de l'entreprise avec toi.

- J'en suis bien consciente, papa. Et je suis heureuse que nous puissions échanger un moment. Comme je te l'ai dit rapidement l'autre jour, l'année se termine sur un bon bilan. Les travaux à Libourne sont achevés, tu as pu le constater l'autre jour quand nous sommes revenus d'Ardèche et que nous avons fait ce petit crochet pour passer devant l'usine. Bien entendu, nous n'avons pas encore de données chiffrées concernant les économies d'énergie que ces travaux vont induire, je pourrai commencer à les évaluer d'ici quelques mois, voire un an, en les comparant avec les précédents. Nous avons aussi amélioré le confort de certains postes de travail à cette occasion.

- Bilan positif alors pour cette opération ?

- Oui, même si elle a représenté un coût d'investissement non négligeable. La mise aux normes nous pendait au nez et j'en ai profité pour aller au-delà de certaines recommandations, notamment en matière d'isolation du bâtiment.

Je savoure quelques gorgées du thé léger que je me suis préparé, avant d'entamer cette conversation.

- Et comment est accueilli ton projet ardéchois à Libourne ?

- Plutôt bien. Tu te doutes que j'ai eu droit à quelques questions concernant un éventuel plan social, les craintes de réduction de personnel avec le déplacement de la fabrication de la gamme de luxe à Ucel. Mais il n'en est pas question. J'ai bien expliqué qu'il y aurait un transfert de charges, puisque notre gamme biologique monte en puissance. On le ressent déjà dans la production et il est possible que d'ici l'ouverture d'Ucel, nous soyons même obligés de faire appel à des intérimaires pour répondre à la demande. Nous verrons au fil des mois.

- C'est toujours la même chose : les syndicats crient au loup avant d'avoir tous les éléments.

- Leurs questions étaient justifiées, dis-je, mais je pense avoir réussi à balayer leurs craintes. Je verrai bien si cela revient sur le tapis lors du prochain CE.

Papa hoche la tête, croise les mains sur les genoux.

- Je suis admiratif de la façon dont tu arrives à manœuvrer avec eux. J'avais des relations plus difficiles, parfois même conflictuelles.

- Ta façon de faire était différente, papa. J'aborde les choses autrement. Je suis parvenue à instaurer un climat de confiance avec eux, comme avec l'ensemble du personnel. Ils savent tous que je ne m'engage pas à la légère - je ne dis pas que c'était ce que tu faisais, loin de là ! -, ils savent aussi que lorsque j'ai un doute ou que je n'ai pas les réponses, je m'efforce de leur apporter le maximum d'éléments. Ce que j'avance est sûr, fiable.

- Le projet ardéchois ne rencontre donc pas d'opposition particulière ?

- Non. Des interrogations, des demandes de précision, oui, mais pas d'opposition.

- Alors, c'est bien. J'espère que ce sera viable. Que tu ne fais pas une grosse erreur en fermant nos usines à l'étranger. Les coûts ne seront pas les mêmes.

- Dans l'immédiat, non. Mais à terme... Tu sais, papa, si vraiment cela n'avait pas valu le coup, justement pour faire un petit jeu de mots, je n'aurais pas lancé ce projet. Même avec mon envie profonde de voir revivre les usines ardéchoises.

Il sourit légèrement, de ce sourire toujours un peu étrange, trace de son AVC.

- Alors, c'est bien. Je ne peux que souhaiter ta réussite.

- Merci, papa.

- Tu me tiendras au courant du déroulement du chantier ?

- Oui, bien sûr.

- Alors, allons manger : je pense qu'autrement, nous ne tarderions pas à voir ta mère rappliquer.

Je lui souris en retour et nous gagnons rapidement la salle à manger où maman nous attend.

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