Chapitre 100

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Alexis

- Voilà les clés, Maïwenn.

- Merci, Alexis. C'est vraiment une bonne idée ! Je remercierai Monsieur Duras par téléphone tout à l'heure, pour lui dire que nous avons fait le transfert et les relevés de comptes, que tout est en ordre.

- C'était aussi pratique, finalement. Vous êtes là quasiment en continu. L'hôtel, à force, c'est fatigant. On apprécie de se retrouver chez soi... même dans un gîte meublé.

- Oui, tout à fait. Vous avez pu récupérer toutes vos affaires ?

- Oui, j'ai terminé il y a trois semaines maintenant. Je n'ai fait que de courts passages ici ces derniers temps.

Ce jeudi midi, Maïwenn m'a invité à déjeuner à l'Enfer, pour régler les petites questions liées à la location. Quand j'ai annoncé à Monsieur Duras que je partais, il était bien embêté. Mais lorsque je l'ai rappelé un mois plus tard à peine pour lui dire que j'avais trouvé une locataire, si cela lui convenait bien sûr, il était enchanté. D'autant plus quand je lui ai expliqué qui était Maïwenn et que la location du gîte serait payée par l'entreprise Noury, au titre des déplacements professionnels de la jeune femme. Une garantie supplémentaire si tant était que le brave homme en avait besoin.

Maïwenn est très contente de cet arrangement, car en effet, vivre à l'hôtel presque en continu, et ce depuis la fin novembre, cela commençait à lui peser. Son collègue, Alban, s'en accommode bien mieux, apparemment. Il y est plus habitué aussi, faisant de nombreux déplacements pour l'entreprise depuis plusieurs années. L'avantage d'être célibataire...

Maïwenn s'était rendue chez ses parents la semaine passée et elle a rapporté quelques affaires, et notamment sa voiture qui lui sera bien utile au quotidien pour se rendre sur le chantier. Quand elle n'aura pas à faire de déplacements, elle travaillera depuis le gîte qui possède une bonne connexion internet.

- Mademoiselle Layla arrive bien ce soir ? me demande-t-elle.

- Oui. D'ailleurs, dis-je en jetant un coup d'œil à ma montre, elle ne devrait pas tarder à prendre le train. Serge sera avec elle. Lisa leur a réservé une voiture à Montélimar.

- Lisa était ravie quand je lui ai annoncé que j'aurais désormais un pied-à-terre stable à Antraigues, me dit-elle en riant légèrement. Cela lui fait moins de choses à gérer !

- Elle s'en est très bien sortie, je crois, alors que certains jours, je n'étais pas sûr de bien comprendre toute l'organisation prévue pour un de vos déplacements, souris-je en retour.

- C'est vrai que parfois, c'était un peu compliqué, surtout quand nous ne partions ou ne rentrions pas sur Paris aux mêmes dates ! Et qu'en revanche, il fallait que nous soyons les mêmes jours à Ucel et Labégude !

- Vous allez bien vous plaire ici, Maïwenn, dis-je. Avec le village à deux pas...

- C'est vrai. J'avais eu l'occasion d'y passer une fois au printemps dernier. Je vais pouvoir le visiter plus en détails. En tout cas, la vue est superbe ! Vous ne regrettez pas de partir ?

- Non, pas du tout. Je me suis senti bien ici, j'y ai passé de bons moments. Et de toute façon, j'ai une vue tout aussi superbe depuis les Auches !

Elle sourit, puis me propose une salade de fruits et un café. J'accepte les deux volontiers, j'ai le temps de savourer mon café. Le dernier depuis la terrasse de l'Enfer... A moins que Maïwenn ne m'invite encore à l'occasion. Mais dans mon esprit, c'est bien le dernier.

**

Les Auches.

J'y remonte ce soir-là, comme bien des fois depuis ces dernières semaines. A vrai dire, je ne vivais presque plus à l'Enfer, sauf quand les conditions de circulation s'annonçaient un peu difficiles, avec des chutes de neige et surtout des risques de verglas. En cette fin février, le risque s'éloigne et ma voiture est de toute façon équipée en pneus d'hiver.

Je connais désormais la route par cœur, de même que bien des petites routes des alentours. Dans deux semaines, cela fera un an que j'ai ouvert le cabinet. Un an de travail, déjà. Je n'ai pas vu le temps passer. Mon rythme quotidien est dense, mais sans être intense. Passionnant aussi. J'ai appris à connaître toute la population d'Antraigues et des hameaux de la montagne. Enfants, jeunes, vieux. Liens entre les uns et les autres. Métiers. Projets. Et surtout, problèmes de santé.

Bien sûr, j'avais été très touché par les messages de soulagement et d'encouragement qui avaient ponctué mes premières semaines d'exercice. Il m'en reste de nombreux en mémoire. Et il en est un, entendu récemment dans la bouche d'une jeune mère de famille, maman de deux enfants de six et trois ans : "Si vous n'étiez pas arrivés, on serait parti...". Ce n'est pas rien. Avoir contribué à garder une famille ici. Une famille, deux enfants. Deux places à l'école. Parfois, le maintien d'une classe tient juste à cela...

Il faisait déjà nuit lorsque j'ai quitté le cabinet médical. Les jours ont beau rallonger, nous sommes encore en hiver. Aux Auches, Layla doit être arrivée : elle prenait le train en début d'après-midi avec Serge et il l'a conduite jusqu'ici, avant de retourner à Aubenas. Il reviendra la chercher demain matin pour l'accompagner aux usines, pour sa visite de chantier habituelle.

A travers les branches nues des châtaigniers, après avoir passé l'église, je vois les lumières de la maison. J'en souris bêtement, heureux de retrouver Layla. La semaine passée, elle était repartie dès le lundi après-midi. Nous avions déjeuné ensemble le midi, avant que Serge ne l'emmène à Montélimar. Un dernier repas ensemble à l'Enfer, d'ailleurs.

Désormais, cette maison va devenir mon lieu de vie au quotidien. Et avec Layla, autant qu'il lui sera possible. Et même si nous y avons passé beaucoup de temps, que nous y vivions à chacun de ses séjours - hormis quelques exceptions lorsque nous passions une ou deux nuits à Antraigues -, ce soir est le premier soir de notre nouvelle vie.

J'ai procédé aux changements nécessaires : adresse postale, abonnements divers. La période de transition, chez Monsieur Duras, s'achève.

Layla

Comme à chaque fois que je vais retrouver Alexis, je ressens une pointe d'impatience. Je suis arrivée aux Auches en fin d'après-midi, Serge n'y a fait qu'une petite pause. J'ai trouvé la maison chaude, accueillante, parfumée. Cela se ressent qu'Alexis y vit au quotidien désormais. Depuis le début du mois de janvier, il a été très peu à l'Enfer. Certains soirs quand il terminait plus tard, que du verglas était annoncé pour le lendemain. Mais c'était anecdotique. Il a pris le temps aussi de ranger ses affaires ici et, lors de mon dernier passage, j'ai bien senti que c'était important pour lui : même si j'ai choisi le mobilier, que j'ai conservé quelques éléments de ma Tantine, il se sent chez lui, ici. Et plus qu'à l'Enfer où "il n'était pas dans ses meubles", comme il l'a dit lui-même.

Il y avait de la place dans l'armoire de la chambre pour ses vêtements, dans les placards et buffets pour sa vaisselle, sur les étagères du salon pour ses livres. Il reste quelques cartons avec des papiers et des affaires de son père, qu'il a glissés à l'étage. Nous verrons cela dans les prochains mois, quand les ouvriers entameront les travaux du grenier. Je n'ai pas le temps d'y réfléchir, mais j'envisage au moins trois chambres, voire quatre, si on les fait plus petites, et une salle de bain.

J'ai savouré mon arrivée. Dans la cheminée demeuraient des braises, j'ai relancé un bon feu : Alexis avait prévu, la réserve de bois et le panier étaient remplis, je n'ai eu qu'à y piocher. Puis j'ai fait un petit tour, d'abord au dehors : le tour de la maison, de la terrasse. J'ai rempli le panier à bois. J'ai cherché les traces des premières fleurs, crocus, muscaris. Seuls les perce-neige commencent à pointer. L'hiver recule, même si ce n'est pas encore flagrant.

Le volcan est là, masse sombre et protectrice. Immuable, immobile. A moins que les mystères de la Terre ne le remettent en activité. Je ne me suis pas attardée, car le fond de l'air était froid et j'ai retrouvé avec plaisir l'intérieur de ma maison.

Enfin, non. Notre maison.

Puis j'ai rangé mes affaires, jeté un œil dans le frigo. Alexis a prévu. Ce soir, ce sera omelette aux cèpes, plateau de fromage et compote. J'ai pris le pain en passant à Vals, et une pogne toute fraîche.

Je m'installe un instant dans un des fauteuils, près de la cheminée, mais je me relève bien vite pour regarder par la fenêtre et surveiller la petite route qui serpente sous les châtaigniers, y guetter les phares d'une voiture.

Je les distingue au bout d'un petit quart d'heure, trouant l'obscurité, masqués à intervalles réguliers par les virages et les troncs des châtaigniers. Puis la voiture s'arrête sur le côté de la maison, Alexis en descend. Je suis déjà sur la terrasse, à l'attendre.

Il grimpe rapidement les quelques marches, m'enlace et m'embrasse. Son impatience vaut bien la mienne et nous nous retrouvons bien vite dans la salle, nos premiers vêtements tombant à terre. Nos bouches se sont à peine séparées, nos mains ne cessent de parcourir le corps de l'autre, de retirer ces pans de tissus devenus inutiles. Un long frisson me saisit alors qu'Alexis m'étend sur le canapé, que ses lèvres abandonnent les miennes, dévorent mon cou, ma poitrine, mon ventre et viennent se perdre entre mes cuisses.

Je me cambre, halète, supplie. Le feu du désir m'est insoutenable. Alexis se redresse, plante son regard dans le mien et vient en moi. Ses iris flamboient d'un feu plus brûlant et plus vivant que celui qui crépite dans la cheminée.

Notre étreinte est rapide, intense. Le plaisir m'emporte à m'en couper le souffle et Alexis m'y rejoint l'instant d'après, aussi puissamment.

Je ferme les yeux et savoure. Le retrouver. Le retrouver ici, chez nous.

Mon amour.

Aux Auches.

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