Chapitre 101

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Layla

En ce tout début de mars, après une semaine de redoux de ce que m'en a dit Alexis, l'hiver revient en force. Il fait froid, le ciel est bas, les nuages bien chargés. Nous profitons cependant de la matinée, avec un temps encore clément pour descendre à pied à Antraigues, par le chemin du Bouchet, pour y faire quelques courses. C'est la petite sortie rando qui m'aère l'esprit, me vide la tête et me permet de mettre de côté tout ce qui a trait à l'entreprise comme au chantier en cours.

Aucun signe de renouveau printanier encore, à peine voyons-nous émerger quelques timides perce-neige et les petites corolles des coucous. Le chemin est couvert de feuilles mortes qui crissent sous nos pas. Devant nos bouches se forment des petits nuages de vapeur. Mais la marche nous réchauffe vite, d'autant qu'une fois dans la châtaigneraie, nous sommes à l'abri du vent. Nous le sentons seulement lorsque nous franchissons le pont de l'Huile et traversons la vallée de la Volane dans lequel il s'engouffre en descendant du plateau.

- C'est un temps à neige, dis-je à Alexis.

- Tu crois ? Il est déjà tard dans la saison...

- C'est vrai. Mais le vent vient du nord, regarde les nuages !

Il lève les yeux au ciel, observe et en convient :

- Tu as raison. Et c'est vrai qu'il ne fait pas chaud. Je t'avoue que je n'ai pas la connaissance des anciens d'ici pour ce qui est de prévoir la météo sans avoir besoin de regarder la télévision ou de consulter une application sur son téléphone.

- Ce sont des outils parfois utiles, souris-je. J'ai toujours aimé cette connaissance que les gens ont acquise, au fil de leur vie, de l'expérience. Comme j'aime les entendre te parler du pays, des saisons, des cultures. Ils savent reconnaître le passage d'un lièvre, d'un renard, d'une fouine. Alors que nous, nous ne voyons rien. Rien qu'un tas de feuilles dispersées.

- De même qu'ils savent dénicher les cèpes...

- Aussi !

- Bien. Que prenons-nous pour aujourd'hui ?

- On va voir ce que Julien propose à son étal. Et ce qu'il y a comme légumes à l'épicerie.

- Oui, parce qu'il n'y a plus grand-chose à la maison... Le samedi, en général, c'est "Waterloo, morne plaine" dans le frigo.

- Et le dimanche, c'est Byzance ! ris-je en complément.

- Exactement, me sourit-il.

Nous montons vaillamment la côte d'Antraigues, jusqu'à la place. On passe d'abord voir Julien. Il y a quelques clients devant nous, ce qui fait qu'Alexis me laisse là et file acheter le pain. Quand il me rejoint, je n'ai pas beaucoup avancé. Une seule personne a été servie. Il faut dire que chacun profite de son passage pour faire les provisions pour plusieurs jours. Et je songe que le boucher de Vals, qui propose lui aussi de très bons produits, a dû voir sa clientèle diminuer depuis que Julien fait sa tournée. Après tout, il avait bénéficié durant quelques temps de la fermeture de la boucherie de son père... Julien retrouve essentiellement une clientèle qui venait à Antraigues auparavant.

Quand arrive notre tour, nous échangeons un peu avec lui. Il a le sourire, me glisse :

- Layla, je monte à Paris dans deux semaines. Si tu veux, on prend le train ensemble.

- Tu partirais quand ?

- Le dimanche en début d'après-midi : le matin, il faut que je nettoie le camion.

- Ca peut s'envisager, réponds-je. Je reviens de toute façon dans deux semaines pour la réunion de chantier du vendredi. Dans ce cas, je vais essayer de m'organiser pour arriver ici le mercredi soir. Ca irait pour toi ? fais-je en me tournant vers Alexis.

- Oui, bien sûr. Tu arrives quand tu veux. Et surtout, quand tu peux, je sais bien.

- J'y réfléchis, je vois comment je peux m'organiser et je t'envoie un message dans la semaine, Julien.

- Ca marche ! Vous prenez quoi ?

- Godiveaux, dit Alexis.

- Ah ?

- On évoquait sans la nommer Aglaé, non ? fait-il en souriant légèrement. Du coup, ça m'a donné envie de manger des godiveaux. Pour ce midi.

- Et ce soir ?

- Soupe avec le reste des légumes. Et un beau morceau de lard, Julien, pour accompagner. Et pour lundi... Tu préfères quoi, Layla ? Je cuisinerais bien un plat en sauce pour avoir de quoi manger pour mes repas de début de semaine, au moins ceux du midi. Vite réchauffé, avant d'aller faire mes visites.

- Une petite blanquette ? Si on achète les légumes demain à Vals, on peut la préparer demain après-midi...

- Bonne idée. C'est un plat de saison.

- Il me reste juste deux morceaux avec os, dit Julien. Et je peux vous en mettre plusieurs sans os.

- D'accord, dis-je. On prend les deux qui te restent et puis... Six autres ? Ca ira ?

- Ca ira, dit Alexis.

Julien prépare notre commande, puis nous gagnons l'épicerie. Quelques menus achats, quelques échanges avec les clients présents. Une petite grand-mère me dit :

- Tu as bonne mine, Layla !

- Merci, Madame Rougier !

- Faut dire que le docteur, il doit bien te soigner, non ?

- Il prend bien soin de moi, oui ! ris-je.

- Il est bon pour ça ! ajoute-t-elle en me faisant un petit sourire. On est bien content de l'avoir ! C'est un bon médecin !

- Merci, dit Alexis. C'est gentil. Je vous rappelle que je suis content de m'occuper de vous aussi. Vous allez bien ?

- Comme me le permettent mes artères, jeune homme ! Ce temps me va bien. Mais... Il va neiger, c'est sûr.

Je lance un petit regard à Alexis, l'air de lui dire "tu vois...". Puis c'est notre tour de passer à la caisse. Eric demande :

- Combien de fromages, Alexis ? J'en ai d'autres en réserve...

- Merci pour la réputation ! rit-il. On va croire que je te dévalise à chacun de mes passages... Il faut dire que je n'ai plus guère le temps de monter à Bise le jeudi soir... Va pour quatre. On fera un peu de provisions à Vals demain, et je repasserai dans la semaine de toute façon. Il me faudra sûrement quelques bricoles.

- N'hésite pas à m'appeler. Tu laisses un message et je te prépare tout ça, dit Eric. Comme cela, tu ne perds pas de temps. Tu passes et hop, tu n'as pas besoin d'attendre.

- Merci, Eric. Je te redirai. Bon week-end !

- Bon week-end à vous deux ! A la prochaine, Layla !

- Dans deux semaines, souris-je.

- Ca marche !

En sortant, nous retournons sur la place et entrons à "La Montagne". Il y fait bon, il y a un peu de monde dont quelques "champions" attablés autour d'un café. Nous les saluons et nous installons au comptoir. Bertrand s'active déjà en cuisine, Mariette tourne entre le comptoir et la salle. Deux cafés fumants arrivent bien vite devant nous. Nous les savourons en échangeant avec les habitués. Depuis que je reviens très régulièrement ici, les gens ont repris l'habitude de me voir, cela ne les surprend plus. Je crois que la plupart en sont même contents. Bien sûr, à chaque fois, on me demande "comment ça avance ?". Et je peux voir la satisfaction s'afficher sur les visages quand je réponds que "ça avance bien".

Alexis

Au retour d'Antraigues, la pluie nous cueille alors que le vent a forci. Je commence à me dire que Layla a raison : il va très certainement neiger. Le risque qu'il y ait du verglas est même important, avec cette pluie. Heureusement que Layla ne repart que lundi soir...

La marche a creusé notre appétit et alors que Layla nous prépare un plat de légumes sautés, pour accompagner les godiveaux, je relance le feu dans la cheminée, puis je descends dans le salon, remets aussi quelques bûches pour alimenter le poêle : il fera bon aussi dans les pièces du bas. Remarquant que la réserve de bûches a bien diminué, je sors et j'en profite pour refaire le plein, que ce soit pour le poêle ou pour la cheminée. Ainsi, je n'aurai pas besoin de recommencer avant demain.

Layla a mis la viande à cuire, ça sent terriblement bon et mon estomac se creuse. Je dresse la table et nous mangeons sans tarder.

- Veux-tu faire une sortie en particulier cet après-midi ? lui demandé-je.

- Non, pas spécialement. On ira à Vals demain matin, répond-elle. J'ai prévu un tout autre programme pour cet après-midi !

- Ah bon ?

Elle me sourit, mutine. Et n'a pas besoin de développer son idée. Ca tombe bien, j'avais la même en tête.

**

Avant la fin de l'après-midi, les sommets se couvrent d'une fine pellicule blanche. La neige tombe d'abord sur la montagne, puis les premiers flocons font leur apparition dans la vallée. Ils tombent lentement, de façon presque hypnotique. Mais Layla et moi n'y portons guère attention.

Je suis couché sur elle et la tiens tendrement dans mes bras. Son regard est encore voilé de plaisir. J'aime ce que je lis dans ses yeux, son amour, sa confiance, sa joie, sa tendresse. J'aime tout d'elle : sa personnalité, sa beauté, son courage, sa volonté, son empathie, son intelligence.

Je la sens plus sereine aussi : maintenant que le chantier avance, une partie de ses préoccupations est désormais derrière elle. Sans compter le fait qu'elle revient désormais très régulièrement à Aizac, que nous nous voyons plus souvent, le suivi du chantier l'amenant à être ici un week-end sur deux.

Je la fixe avec amour. Ces fins de semaine qu'elle passe ici nous permettent de nous retrouver, mais aussi d'installer déjà un rythme plus régulier entre nous et peut-être, de poser les bases de ce que pourrait être une façon de vivre un peu différente à l'avenir. Quand les usines tourneront. Car même si elle ne l'évoque pas encore, je suis certain que Layla voudra être sur place, régulièrement, suivre la production ici. Il y aura certainement des écueils, des choix à faire, des décisions à prendre. Et sans doute s'estimera-t-elle plus à sa place ici qu'à Paris. Mais je m'abstiens de tirer encore des plans sur la comète : les choses se feront comme elles devront se faire.

Comme Layla pourra les faire.

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