Chapitre 109

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Layla

La fête de Craux annonce toujours plus ou moins la fin des vacances, même si la rentrée scolaire n'est pas encore pour demain. Pour ma part, c'est mon dernier week-end de vacances, mais je ne remonte sur Paris que la semaine prochaine : pour ma reprise, je me rends à Libourne. Serge va nous emmener à Montussan, Maxime et moi. Il va falloir préparer les évolutions de la production puisque normalement, à partir d'octobre, la fabrication des produits de luxe se fera à Ucel et qu'à Libourne, nous ferons monter en puissance la fabrication de la gamme biologique. C'est une transition à préparer, à accompagner.

Nous sommes montés jusqu'au château avec Pauline, Aglaé, Julien et Maxime. Ce dernier s'est fait aussi facilement quelques copains qu'Aglaé s'était fait des amies. Très vite, les enfants nous abandonnent et commencent à cavaler un peu partout. Nous essayons de garder l'œil sur eux. Aglaé a pour consigne de ne pas laisser Maxime tout seul. Ils s'entendent bien et je ne suis pas trop inquiète. Nous leur avons montré à quel endroit nous nous installerions pour le repas. Ils viendront certainement picorer.

Nous entamons un petit tour des stands, faisons quelques achats. Comme à chaque fois, je croise de nombreuses connaissances ; désormais, pour la plupart, ce sont des gens que j'ai revus récemment, au cours de mes déplacements des derniers mois, pas des personnes que je n'avais pas vues depuis des années. Beaucoup me demandent quand les usines vont démarrer et se réjouissent d'apprendre que c'est pour très bientôt.

Je note aussi qu'Alexis est autant interpellé par les uns et les autres que moi-même ou Julien. Lui aussi, maintenant, fait partie de ce pays et à chaque fois que j'ai l'occasion de le constater, cela me réjouit et me réchauffe le cœur. Je suis très bien placée pour savoir qu'Alexis est une personne formidable, qu'il est généreux, attentif, empathique. Il donne pleinement satisfaction en tant que médecin, et pas seulement parce qu'on a enfin un médecin ici. Un mauvais professionnel aurait limité la casse... mais sans satisfaire les gens, surtout après avoir été suivis par le docteur Lambert durant plusieurs décennies. Alexis a bien pris le relais, avec sa façon à lui d'aborder les gens, d'apprendre à les connaître et tout simplement d'exercer son métier.

Ce n'est pas du vent, ni pour faire juste plaisir que j'entends souvent dire "on est content que le docteur Perrin soit là" ou "c'est un bon médecin, on a de la chance de l'avoir". Non, ici, on dit les choses comme on les pense. Pas de faux-semblants. Et cela me rend heureuse pour les miens comme pour Alexis.

**

Nous mangeons avec Emilie, Véronique et Sébastien. Comme toujours, Hugo ne fait que de brefs passages. Et c'est un peu comme si la petite bande de mon enfance se reformait.

- Tu vas continuer à venir régulièrement, Layla ? me demande Véronique alors que Sébastien, Julien et Alexis font la queue aux différents stands pour nous ramener saucisses grillées et boissons.

- Oui, dis-je. D'ici Noël, je vais garder à peu près le même rythme de déplacements qu'en début d'année, pour suivre la relance des usines, la production et organiser le relais entre les usines à l'étranger et Labégude, et entre celle d'Ucel et Libourne. Nous comptons pouvoir trouver un rythme optimal de production dans le courant du premier semestre de 2020.

- Et pour la suite ?

- Je commence à y réfléchir sérieusement, dis-je. Ces derniers mois m'ont aussi appris à jongler entre différents lieux. Bien sûr, maintenant que le chantier s'achève, ce sera moins soutenu. Mais je vais avoir besoin de suivre tout ce qui s'engage ici.

- Tu penses venir travailler à Ucel ?

Je marque un petit temps de silence :

- J'aimerais oui.

Emilie hoche la tête : nous avons eu l'occasion d'en discuter une fois au printemps, toutes les deux, lors d'un de mes séjours ici. Elle sait ce que j'envisage et espère.

- Mais je devrai quand même vivre à Paris une partie du temps. J'avoue qu'entre ce que j'aimerais et ce qu'il sera possible de faire, il y a un écart. Mais je vais m'efforcer de le combler.

- Ce n'est pas trop dur pour toi et Alexis, d'être toujours ainsi ?

- Par moment, je reconnais que ce n'est pas évident. Mais par rapport à nos débuts, quand on se voyait à peine une fois par mois... C'est quand même autre chose. Et puis, maintenant, il habite aux Auches depuis plusieurs mois, ça change les choses aussi. Pas qu'on se voie plus, mais dans ma tête, c'est différent.

- Il se plaît bien ici, sinon ?

- Oui, tout à fait. Je crois qu'il n'aimerait pas du tout partir... L'Ardèche et vous tous l'avez séduit, avant même que je ne fasse partie de sa vie. Il est sensible aussi à toutes ces questions de déserts médicaux, de désertification rurale... Il espère que le jeune dentiste va faire le choix de s'installer à Antraigues. Ce serait vraiment un plus.

- Ah ça oui ! Il faudrait qu'il rencontre une fille du coin, sourit Véronique. Ca le ferait rester...

- Oui, dit Emilie. Et des fois, c'est le contraire ! C'est un gentil garçon qui fait venir une gentille fille, n'est-ce pas Pauline ?

Cette dernière a suivi avec attention notre conversation et sourit à Emilie.

- C'est vrai, Emilie. Des fois, c'est aussi dans ce sens que ça se passe...

- Tu te plais bien dans la maison, à Antraigues ? demande Véronique. Ce n'est pas très grand, je crois, mais c'est une jolie maison.

- Oui, tout à fait. Elle est confortable et suffisante pour Aglaé et moi. Et ma fille est ravie de voir le volcan tous les jours, matin, midi et soir. Elle a même commencé à faire des photos et des dessins pour montrer les changements au fil de la journée et je crois qu'elle a dans l'idée de faire la même chose au fur et à mesure que les saisons vont passer.

- La "petite demoiselle du volcan !" sourit Emilie. Son surnom lui va si bien ! Julien avait eu une bonne idée de l'appeler comme ça !

- Oui, renchéris-je. Parce que tout le monde l'appelle ainsi, maintenant !

Le sourire de Pauline s'élargit : savoir sa fille si bien intégrée ici, connue déjà de tous ou presque, la touche.

**

La soirée se passe très agréablement. Aglaé et Maxime sont inépuisables, comme tous les gamins. Ils s'amusent beaucoup, passent nous voir de temps à autre. Leur joie de vivre est si pure, si franche ! Cela fait plaisir à voir. C'est du petit bonheur comme je le glisse à Pauline à un moment.

A l'heure du bal, nous nous relayons pour continuer à veiller sur nos loustics. Julien entraîne Pauline sur la piste. Je les regarde tourner avec bonheur alors qu'Alexis, assis à côté de moi, joue avec les mèches de mes cheveux, en regardant Aglaé et ses copines se dandiner sur la piste. Maxime, un peu fatigué, s'est assis près de nous et dévore sa part de dessert - une tarte aux myrtilles - à laquelle il n'avait pas encore goûté.

- C'est bon, tata, la tarte à la myrtille.

- C'est ma préférée, lui glissé-je.

- Alors, c'est ma préférée aussi, me dit-il avec un sourire complice.

Je dépose une bise sur son front, touchée par son naturel et cette entente qui existe entre nous. Je suis vraiment heureuse que mon frère nous l'ait laissé pour cette dizaine de jours. Cela n'a été que du bonheur de l'avoir avec nous. Et Alexis était tout à fait partant pour s'en occuper. Il a lui aussi développé une bonne entente avec mes deux neveux, et je n'en suis pas étonnée : quand je vois combien Aglaé lui est attachée et réciproquement.

Je glisse ma main derrière sa taille, son bras passe par-dessus mon épaule.

Je suis bien.

Alexis

C'est un Maxime tout endormi que nous ramenons aux Auches : c'est certain que demain matin, il se réveillera tard. Nous avons encore passé une bonne soirée. J'aime ces fêtes de village, et quand je le peux, à la belle saison, je profite aussi des marchés estivaux et notamment de celui d'Antraigues. Même s'il ne se termine pas par une fête, il y a toujours de l'ambiance, on s'attarde en terrasse, on flâne entre les stands. On croise les uns, les autres. Tout cela est simple et bon enfant. Je suis vraiment à mille lieues de l'anonymat de la région parisienne.

Layla a passé un bon moment avec ses amies, nous formions une tablée joyeuse, entre les plaisanteries des adultes et les rires des enfants. Et, comme à chaque fois que Layla se retrouve avec ses proches, je constate avec le même plaisir et le même étonnement combien les frontières s'effacent : ici, elle est Elle. La Layla qui, malgré l'exil bordelais, a su entretenir ses racines, les préserver de l'éloignement et leur redonner vie à chaque fois qu'elle foulait la terre ardéchoise. Elle est la Layla qui s'emplit les yeux et le cœur de son pays, de ses parfums, de ses beautés, de ses secrets.

Je conduis alors que Maxime dort à l'arrière et que Layla contemple les étoiles. En arrivant, elle ouvre par le salon alors que je porte Maxime. Nous le couchons dans le petit lit installé là pour l'occasion, pour lui. Il ne voulait pas dormir à l'étage, il avait un peu peur d'être tout seul et loin de nous.

Je laisse Layla s'en occuper, pendant que je range les affaires du petit garçon. Elle lui fait un bisou sur le front, puis nos regards se croisent. Je souris et tends la main vers elle :

- J'irais bien regarder les étoiles. Ca te dit ?

- Volontiers ! me sourit-elle en écho en prenant ma main.

Nous ressortons et gagnons la terrasse. Un souffle très léger descend de la montagne, apportant juste la touche de fraîcheur qu'il faut pour cette fin août.

Nous nous asseyons sur le muret et contemplons la vue. Immuable, rassurante, magnifique. Je tiens Layla contre moi, elle a appuyé sa tête contre mon épaule et nos doigts sont enlacés.

- Layla ?

- Hum ?

- J'ai une question à te poser...

- Vas-y, fait-elle avec un petit sourire.

- Est-ce que...

Je m'arrête un instant, saisi par une émotion profonde, puis je reprends :

- Est-ce que tu as déjà imaginé avoir un enfant ?

Son sourire s'est figé, son regard demeure fixé sur une étoile et j'ai bien senti le rythme de son cœur manquer un battement avant de repartir de plus belle. Au bout de quelques longues secondes, elle dénoue nos mains et se tourne vers moi. Son regard est magnifique, voilé par une émotion au moins aussi intense que la mienne :

- Avant toi, non, jamais.

Et elle noue ses bras autour de mon cou et m'embrasse profondément. Nous faisons durer ce baiser, même quand des larmes ruissellent sur nos joues.

- Tu voudrais... ? me souffle-t-elle alors que nos lèvres se sont à peine séparées.

- Oui...

Elle niche sa tête au creux de mon cou. Nous n'ajoutons rien. Toutes les questions que nous pourrions envisager n'ont pas leur place, pas là, pas maintenant. Seule compte cette envie, seul compte ce rêve.

Seule compte cette espérance.

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