Chapitre 110

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Alexis

En cette aube qui se lève à peine, je vois s'éloigner la voiture conduite par Serge. Il est arrivé hier soir à Aubenas et est venu chercher Layla et Maxime pour les emmener jusqu'à Montussan. Ils devraient arriver en milieu d'après-midi, en faisant quelques arrêts et notamment un à Lanarce dans une heure environ, pour prendre un petit déjeuner au café du col. Et pour que Layla emporte quelques provisions comme l'a judicieusement rappelé Serge, en souriant avec malice.

Layla va passer la semaine là-bas, pour être présente pour les réunions de rentrée à Libourne et pour préparer la transition pour la fabrication de la gamme de luxe : dans un mois normalement, les usines ardéchoises vont démarrer. Après le suivi du chantier, la voilà maintenant plongée dans les préparatifs de la phase de production. Puis elle ira une semaine à Paris, avant de revenir en Ardèche pour un bon mois, soit au-delà de l'inauguration. Je ne suis pas encore passé dans son bureau ici, mais nous avons convenu de le faire lors de son prochain séjour. Je ne voulais pas qu'elle se rende aux usines alors qu'elle était en vacances. Même si c'était tentant d'y faire un passage : je veux continuer à l'aider à cloisonner les choses. Et même si vivre et travailler au pays, ça commence à prendre tout son sens pour elle. Pour moi, c'est déjà une réalité au quotidien.

Une fois que le bruit de moteur s'est totalement effacé, je rentre dans la maison. J'ai un peu de temps devant moi avant de descendre à la maison médicale. Je me sers un café et retourne sur la terrasse. Nous sommes encore en été, je sais que septembre sera sans doute une des périodes les plus agréables de l'année. J'espère bien que lors des prochains séjours de Layla nous pourrons randonner.

Si mon amour va reprendre le rythme trépidant qui est le sien, je reprends aussi le travail. Quelques rendez-vous étaient déjà fixés cette semaine, cet après-midi, je vais passer à la maison de retraite et j'ai prévu aussi des visites à domicile jusqu'à mercredi, afin de reprendre le suivi de certains patients. Il y a eu un nouveau décès au cours du mois d'août, à la maison de retraite. Un des centenaires du village. Nous avions confié Maxime à Pauline ce jour-là pour être présents, Layla et moi, pour l'enterrement.

Je devrais aussi, dans le courant de la semaine ou de la semaine prochaine, avoir des nouvelles de Fabien, le jeune dentiste qui était intéressé par une installation ici, recommandé par Adèle. Il était passé en juillet, nous avions fait sa connaissance, Julie et moi, et lui avions montré le cabinet médical, les deux pièces qui demeuraient vacantes. Leur superficie est plus grande que celles que Julie et moi occupons, et toutes les deux possèdent une petite pièce adjacente : tant pour un kiné que pour un dentiste, cela peut s'avérer utile. Il nous avait dit qu'en effet, ce serait très pratique pour lui pour installer le cabinet de radiologie qui doit être isolé du reste du bâtiment, à cause des rayonnements. Il faudra sans doute prévoir une isolation supplémentaire, mais c'est réalisable. Et c'est là que la subvention qui avait été refusée à la commune pour ma propre installation pourra être utile.

Du côté de Pauline et Aglaé, tout se passe bien. Elles se sentent bien dans la maison, Julien passe les voir souvent. Aglaé se prépare aussi pour une toute nouvelle aventure : celle du collège. Elle est un peu inquiète parfois, se demande comment cela va se passer. Julien la rassure en lui racontant ses propres souvenirs : lui aussi avait été scolarisé à Vals pour le premier cycle du secondaire. Il avait ensuite suivi une voie professionnelle pour devenir boucher.

Alors que sa fille va franchir le cap symbolique de la sixième, Pauline va commencer sa formation pour travailler à Ucel. Elle et Layla en ont parlé durant un après-midi alors que nous étions à la baignade, avec les enfants. Pauline a opté pour l'usine d'Ucel pour plusieurs raisons, et la première était surtout pratique, car un peu plus proche d'Antraigues, d'autant que Layla envisage l'organisation de navettes entre les usines et les villages, comme ce qui se fait pour le ramassage scolaire : Pauline ne sera pas obligée d'acheter une voiture pour aller travailler et ne sera pas dépendante non plus des transports en commun, peu fréquents dans la vallée. Du co-voiturage pourra ainsi s'envisager, à l'occasion. Elle verra au fur et à mesure, en fonction de ses futurs collègues.

Elle préfère aussi travailler à Ucel, sur la fabrication des produits, plutôt que sur les emballages. La formation qu'elle va suivre devrait lui permettre de mieux appréhender le travail, le mélange des différents éléments, le choix des parfums, etc... Il y a un petit côté créatif dans ce travail qui lui plaît bien.

De belles perspectives s'annoncent donc pour nous tous et je me sens heureux d'avoir, indirectement, conduit Pauline et Aglaé ici. Nous serons proches à nouveau, et c'est important pour moi, comme pour elles.

J'ai fini mon café en contemplant la vallée, encore dans la fraîcheur de l'ombre. Je rentre dans la maison, range les affaires du petit déjeuner, fais la vaisselle. Les premiers rayons du soleil entrent par les fenêtres et font jouer de jolis jeux d'ombre avec la vigne. Elle est couverte de grappes de raisins et je pourrai bientôt m'en délecter.

Puis je prépare mes affaires, vérifie le contenu de ma mallette de soins. Je ferme la maison et j'entame le trajet jusqu'à Antraigues. En enfilant tranquillement les virages les uns après les autres, sur le flanc de la montagne, puis sur ceux du volcan, je me dis que quelques années plus tôt, je ne serais pas retourné aussi sereinement au travail. J'aurais même grandement appréhendé de me retrouver plongé dans ce bain-là, j'en aurais certainement mal dormi les nuits précédentes, enclenchant déjà le processus épuisant des insomnies.

Mon choix a été le bon. Pour moi, pour les habitants d'ici, pour Layla.

Et peut-être...

Layla

Le voyage jusqu'à Montussan se passe bien. Serge a prévu les arrêts et étapes en fonction de Maxime, pour lui permettre de se dégourdir les jambes. Il raconte, toujours à sa façon posée, son séjour au chauffeur et Serge l'écoute avec intérêt. Maxime a été ravi de découvrir la grotte Chauvet avec Aglaé et Pauline. Nous étions partis tous les cinq pour une journée dans les Gorges. Nous lui avons aussi montré le pont d'Arc, tout en choisissant la vallée de l'Ibie pour l'après-midi et les petits coins baignades agréables qu'elle offre. Il a cherché des fossiles avec Aglaé et en ramène deux dans ses bagages. Un pour son frère, a-t-il déclaré, et un pour lui.

Après le repas du midi, bien lesté avec un steak-frites et une glace à la fraise, il s'endort. Je prends le relais de Serge et nous échangeons tous les deux, après qu'il a fait une courte sieste réparatrice d'une dizaine de minutes.

- Maxime a vraiment bien profité de ses vacances avec vous, Mademoiselle, me dit-il. Il semble enchanté de son séjour !

- Oui. Ca s'est vraiment bien passé. Il est facile. Il faut juste lui trouver des activités qui conviennent à sa grande curiosité et à son intellect. La visite à Chauvet était tout à fait dans ses cordes. Il a même voulu visiter le musée Ferrat avec moi !

- Il ne l'a pas raconté, ça !

- Il n'a pas eu le temps, souris-je.

- Et cela l'a intéressé ?

- Oui. Bon, il a trouvé qu'il y avait beaucoup à lire, on ne s'est pas arrêté partout, mais il a bien aimé regarder les petits films, écouter les interviews de Ferrat. Il s'est amusé à reconnaître certains endroits aussi, sur les photos ou dans les films. Et en sortant, il m'a dit : "il écrivait des belles chansons, hein, tata ?"

- Et vous lui avez répondu que oui !

- Bien sûr. Et je lui ai raconté l'histoire de "La Montagne"... Ca lui a plu.

- Vous allez en faire un petit Ardéchois, plus tard.

- Je ne sais pas... dis-je en plissant légèrement du front. Ce dont je suis contente, c'est qu'il se soit plu aux Auches, qu'il ait passé de bons moments. Cela restera un bon souvenir pour lui. Et ça lui permet de découvrir ses autres racines. De savoir qu'il n'est pas seulement bordelais.

- Il vous est très attaché, il aimera toujours revenir en Ardèche.

Je souris. J'aime la philosophie simple de Serge. J'espère qu'il a raison. Que même sans vouloir y vivre comme Aglaé ou comme moi, Maxime et Jacob auront toujours plaisir à venir à Antraigues.

**

Nous arrivons en milieu d'après-midi à Montussan. Maxime s'est réveillé quand nous avons quitté l'autoroute. Il se précipite vers maman dès qu'il la voit, puis file au jardin où mon père s'est installé, à l'ombre d'un des grands arbres. Nous le suivons tranquillement. Un goûter nous attend et Serge accepte volontiers un petit café. Il ne s'attarde pas cependant et après m'avoir aidée à descendre les bagages, il repart pour Arcachon. Il reviendra me chercher demain matin pour me conduire à Libourne.

- Alors, ces vacances avec tata, Maxime, c'était bien ? demande papa.

- Oui, papi ! C'était génial ! J'ai fait plein de découvertes ! Tata m'a appris à plonger, avec Alexis et Aglaé, on a trouvé des fossiles, on a visité la grotte Chauvet...

- Oh, et cela t'a plu ?

- Oui ! Les hommes préhistoriques ont dessiné beaucoup d'animaux. Certains, on ne les trouve qu'à Chauvet ! explique-t-il avec une pointe de fierté. Tu as déjà visité la grotte, papi ? Et toi aussi, mamie ?

- Et non, Maxime... Nous ne l'avons pas visitée. Sa découverte est assez récente, la reproduction aussi et nous n'avons pas eu l'occasion de faire cette visite. Mais certainement qu'à notre prochain déplacement à Antraigues, nous y songerons, répond papa.

- Ce serait une très bonne idée, ajoute maman.

- J'espère que je serai avec vous ! s'écrie Maxime. Je vous montrerai ce que j'ai préféré...

Papa me sourit. Maman ajoute :

- Et donc, tu as joué avec Aglaé ?

- Oui, on l'a vue tous les jours, à la baignade, pour les promenades. Elle connaît plein de choses sur les volcans et les pierres. Elle m'a expliqué comment se formaient les roches, pourquoi il y avait des pierres différentes en Ardèche...

- Hé bien, fait maman. Et tu as compris ses explications ?

- Bien sûr, mamie ! C'était facile à comprendre.

- Ah...

Maman échange un regard avec moi.

- Aglaé connaît effectivement beaucoup de choses sur les volcans et les cailloux, elle a lu des livres pour enfants qui expliquent bien la formation de la Terre, les différents types de roches, etc... Elle a pu raconter tout cela aisément à Maxime.

- Et Alexis va bien ?

- Oui ! dit Maxime avant que j'aie pu répondre. Mais tata était un peu triste de partir...

Je le regarde avec tendresse et le rassure :

- Je retourne à la fin de la semaine prochaine à Antraigues, Maxime, tu sais, ça va passer vite pour moi. Mes journées sont bien remplies, je ne vois pas le temps passer. Parfois, je rentre à Paris et j'ai l'impression de me retrouver en Ardèche juste après, alors que toute une semaine s'est écoulée.

Maxime sourit, puis dévore un autre morceau de gâteau.

- Tata m'a fait goûter des tartes et des glaces à la myrtille. C'est tellement bon, mamie ! Il faudra en acheter pour quand on viendra, avec Jacob.

- Ah d'accord... Et je suis certaine qu'Aglaé a partagé du saucisson avec toi !

- Comment as-tu deviné, mamie ? s'étonne-t-il.

- Aglaé adore le saucisson...

- Elle aime aussi les myrtilles, tu sais, ajoute-t-il.

Il termine son gâteau, puis entraîne ma mère pour faire un tour de jardin. Je reste tranquille avec papa.

- Et donc Aglaé et Pauline vont bien, Layla ?

- Oui, papa. Pauline se prépare pour suivre une formation pour travailler à Ucel. Elle commence la semaine prochaine.

- Elle a donc choisi Ucel.

- Oui. Elle était tentée par le petit côté créatif de la fabrication des produits, plus que par les emballages. D'autant que selon les approvisionnements, nous varierons la gamme. Il y a une certaine saisonnalité sur ces produits, c'est aussi cela qui les rend intéressants à fabriquer.

- C'est bien. Et Aglaé se prépare pour le collège ?

- Oui. Elle en parle un peu, mais pas trop. Je pense que ça l'impressionne. Mais Julien lui a bien raconté comme cela se passait, d'autant qu'il a été élève à Vals.

- Elle aura peut-être des professeurs que lui a eus...

- C'est bien possible. Plusieurs sont encore en poste.

**

La soirée s'est passée tranquillement, nous n'avons pas traîné cependant. Maman a lu son histoire à Maxime, ou plutôt Maxime a lu une histoire à maman... Lorsque je gagne ma chambre, le soir s'avance, les premières étoiles s'allument dans le ciel. Je pense à Alexis qui vient de vivre sa journée de reprise. Nous nous sommes appelés tout à l'heure, tout va bien de son côté.

Je pense à lui et je nous revois sur la terrasse, samedi soir, dans la nuit. Après la fête à Craux. Et nos aveux...

L'émotion me monte aux yeux quand je repense à cet instant précis, quand j'ai compris qu'il me parlait d'avoir un enfant. Bien sûr, quand j'étais adolescente, je me suis imaginée moi aussi avec une famille à moi, deux ou trois enfants, une jolie fratrie. Comme la mienne, avec Gabin et Justine. Mais bien vite, la réalité m'a rattrapée et c'est quelque chose que j'ai mis de côté, comme j'avais mis de côté toute relation sérieuse, me disant que je verrais cela plus tard... Jusqu'à ce que je rencontre Alexis, qu'il entre dans ma vie et que notre relation se construise, s'ancre à Antraigues et aux Auches.

Hier, je ne pensais pas pouvoir entretenir une relation à distance, et encore moins avec quelqu'un installé en Ardèche où je ne me rendais qu'une fois par an, parfois deux. A la rigueur, à Bordeaux, cela aurait pu s'envisager... Mais avec quelqu'un de très différent de Mathieu. Et puis Alexis est arrivé. Il m'a amenée à revenir à Antraigues plus souvent, le projet de relance des usines a pris corps, me permettant aussi d'être présente là-bas très régulièrement et de faire, comme on dit, d'une pierre deux coups.

Aujourd'hui, je peux donc envisager plus sereinement une vie entre deux villes et un village. Et surtout entre une ville et un village, entre Paris et Aizac. Avec, de temps à autre, un déplacement à Libourne. Comment tout cela va s'articuler, je ne le sais pas encore. Sur un mois, j'imagine passer une semaine complète en Ardèche, faire mon déplacement mensuel à Libourne et le reste du temps à Paris. Ce serait à peu près autant que cette année, mais organisé différemment.

Alors, dans cette perspective, est-ce qu'on peut devenir parents, Alexis et moi ? Bien sûr, quand je pense à un enfant avec lui, mon coeur se gonfle de joie, mon ventre vrille d'envie. Mais comment articuler tout cela ? Le travail, les usines en pleine relance et une grossesse ? Bien sûr, j'ai toute confiance en Laurent et en mon équipe, auxquels je pourrais confier la direction de l'entreprise durant quelques mois. Mais après ? La grossesse elle-même n'est pas la phase qui me paraît la plus insurmontable ou la plus difficile à organiser. Non, c'est notre vie après... Laisser Alexis s'occuper d'un bébé à plein temps ? Même en le confiant à une nourrice dans la journée ? Avec ses journées bien remplies, tout seul au quotidien, ce sera difficile. Et moi, les voir seulement de temps en temps ? Prendre le bébé avec moi à Paris ? Le confier à la fille de Nadine qui est assistante maternelle agréée ?

Ce sont des questions bien compliquées et aucune solution n'est vraiment satisfaisante, du moins aucune ne se dessine vraiment.

Pour le moment.

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