13. Le baiser

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Les samedis après-midi sont devenus une habitude sacrée pour Claude et Monique. Chaque semaine, à la même heure, ils se retrouvent dans leur petit bistrot de l’île Saint-Louis. Ni l’un ni l’autre n’aurait manqué ce rendez-vous pour rien au monde. Ces moments leur sont précieux : une parenthèse dans le tumulte de leurs vies d’étudiants.

Pourtant, ces instants volés ne suffisent parfois pas à combler leur envie d’être ensemble. Quand leurs emplois du temps le permettent, ils s’organisent pour partager un bout de chemin après les cours en semaine. Tantôt ils marchent jusqu’à un arrêt de métro, tantôt ils s’attardent dans une ruelle près de la Sorbonne. Chaque minute supplémentaire passée ensemble semble nourrir cette connexion qui grandit entre eux.

Un samedi, après leur café habituel, ils décident de descendre sur les quais de la Seine. L’après-midi est douce et lumineuse, l’air chargé du parfum des marronniers en bordure du fleuve. La Seine reflète le ciel bleu, et quelques péniches passent lentement, laissant derrière elles de légères ondulations.

Leur promenade les mène jusqu’au pont Marie, l’un des plus vieux de Paris. Les pavés des quais renvoient la chaleur du soleil automnal, et des artistes de rue jouent des mélodies nostalgiques sur leurs instruments. Les rires des passants et le clapotis de l’eau forment un fond sonore presque hypnotique.

Monique s’arrête un instant, observant une scène anodine mais poétique : une petite famille nourrissant des canards au bord de l’eau.

— Tu sais, Paris a une façon particulière de rendre tout… beau, dit-elle, rêveuse.

Claude acquiesce, mais son regard n’était pas tourné vers la Seine. Il était rivé sur elle. Monique, avec sa passion pour les choses simples et sa manière d’en parler comme si elles étaient uniques, le fascine toujours un peu plus.

— Je crois que c’est toi qui rends tout beau, souffle-t-il presque malgré lui.

Monique rougit légèrement, mais ne se détourne pas. Elle lui sourit, un sourire discret mais chargé de tendresse. Ils continuent à marcher côte à côte, s’arrêtant parfois pour admirer les bouquinistes ou un détail architectural.

Sous une arche du pont Marie, Claude ralentit et finit par s’arrêter. Monique fait de même, se retournant vers lui.

— Monique… commence-t-il, hésitant. J’ai l’impression que tout ça… toi, nous… c’est différent de tout ce que j’ai connu.

Elle reste silencieuse, attendant qu’il poursuive. Il cherche ses mots, mais c’est inutile. Il la regarde, et tout ce qu’il veut dire est là, dans ses yeux. Doucement, il s’approche, hésitant, lui laissant la possibilité de reculer. Mais elle ne bouge pas. Au contraire, elle ferme les yeux.

Leur premier baiser, doux et timide, scelle cet après-midi magique. Quand ils se séparent, c'est avec un éclat de lumière dorée qui semble tout illuminer autour d’eux.

Ils restent un moment en silence, leurs mains entrelacées, avant de reprendre leur marche. Aucun mot n’est nécessaire. Ils savent tous les deux que quelque chose vient de changer. Ils continuent leur chemin, bercés par la Seine et leurs battements de cœur accordés.

Monique rentre chez ses parents adoptifs avec une lueur particulière dans les yeux. Sa mère est dans la cuisine, terminant la vaisselle du dîner, et son père lit le journal au salon.

— Alors, ma chérie, bonne journée ? demande sa mère en lui lançant un regard curieux.

Monique hésite un instant avant de répondre, mais la complicité qu’elle entretient avec ses parents l’incite à se confier.

— Oui… très bonne. J’ai vu Claude aujourd’hui, comme d’habitude.

Elle s’approche, s’appuyant contre le dossier de la chaise où son père est assis.

— On a pris notre café habituel, et puis on s’est promenés le long des quais. C’était magnifique, vraiment.

Son père baisse son journal et la regarde avec intérêt.

— Et ? Que s’est-il passé de si spécial aujourd’hui ? Tu sembles plus émue qu’à l’accoutumée.

Monique sent qu'elle rougit légèrement ce qui trahit son émotion.

— Il m’a embrassée… sous le pont Marie.

Sa mère pose une main affectueuse sur son épaule, son sourire empreint de tendresse.

— Et comment l’as-tu ressenti ? demande-t-elle doucement.

— C’était… comment dire… agréable, répond Monique en souriant. Ni trop, ni pas assez. Juste parfait.

Son père hoche la tête, un sourire approbateur sur les lèvres.

— C’est bon signe, alors. Vous semblez bien vous comprendre. Il te respecte, et c’est l’essentiel.

— Oui, papa, il est tellement différent. Il n’est ni pressé ni calculateur, et surtout, il est sincère. Je crois qu’il n’est pas du genre à jouer avec les sentiments.

— Tu sais que nous faisons confiance à ton jugement, ma fille, intervient sa mère, mais il faut toujours prendre le temps de connaître quelqu’un. Même les meilleurs peuvent décevoir parfois.

Monique acquiesce. Elle sait que leurs conseils sont pleins de sagesse, mais elle ne peut réprimer l’intuition qui lui dit que Claude est différent.

Elle sent que ses parents écoutent chaque mot avec une attention bienveillante. Sa mère, qui a posé son torchon, croise les bras, visiblement ravie de voir sa fille heureuse. Son père, toujours assis avec son journal à demi replié sur ses genoux, pose une question qui fait légèrement rougir Monique.

— Alors, ma fille, maintenant que vous avez franchi ce cap, ne serait-il pas temps de nous le présenter ? Après tout, si ce jeune homme est sérieux, il devra aussi savoir que nous veillons sur toi.

Monique esquisse un sourire, un peu nerveuse mais surtout heureuse de cette confiance.

— Vous voulez le rencontrer ? Mais… déjà ?

Sa mère pose une main rassurante sur son bras.

— Ne t’inquiète pas, ma chérie. Ce n’est pas pour le mettre mal à l’aise. On voudrait simplement le connaître, échanger quelques mots avec lui. Pourquoi pas samedi prochain ? Vous avez votre rendez-vous habituel, non ? Tu pourrais aller le chercher comme d’habitude et nous rejoindre à la terrasse d’un café tout proche. Nous serons là, tranquilles.

— Oui, c’est une bonne idée, ajoute son père. Cela lui laissera le temps de se préparer un peu. Pas question de prendre ce garçon au dépourvu.

Monique réfléchit un instant, son cœur battant légèrement plus vite. Elle imagine déjà le visage de Claude lorsqu’elle lui annoncera cette proposition. Elle sait qu’il a un caractère posé, mais cela représente une étape importante pour eux deux.

— D’accord, dit-elle enfin. Je lui en parlerai samedi. Je pense qu’il sera d’accord… enfin, j’espère.

Sa mère l’embrasse sur la joue, ravie de ce pas supplémentaire dans la relation de sa fille.

— Ne t’en fais pas. Si c’est quelqu’un de bien, il saura apprécier cette initiative. Et sinon, eh bien… ce serait un bon test, conclut son père avec un sourire amusé.

Dans leur chambre de bonne, Claude dépose son manteau soigneusement sur une chaise et retire ses chaussures, l’air encore flottant dans ses pensées. Michel, qui est en train de découper une miche de pain pour leur modeste repas, lève les yeux en remarquant l’expression de son ami.

— Eh bien, tu as l’air de quelqu’un qui marche sur un nuage, lance-t-il avec un sourire en coin. Dis-moi tout.

Claude attrape un bol pour se servir un peu de soupe et s’assied en face de Michel.

— Michel, c’était incroyable. On a pris un café comme toujours, mais aujourd’hui, après, on a décidé d’aller marcher le long des quais. On a parlé de tout, comme d’habitude… mais il y avait une ambiance différente.

Michel lui tend un morceau de pain, le regard taquin.

— Et alors, où est-ce que ça devient intéressant ?

Claude pose son bol et croise les bras, un sourire nostalgique apparaissant sur ses lèvres.

— Sous le pont Marie. On s’est arrêtés. Il y avait ce silence… et je l’ai embrassée.

Michel éclate de rire, un rire chaleureux et amical.

— Je savais bien que ça arriverait ! Alors ? Qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Elle m’a embrassé en retour, murmure Claude. Ce n’était pas comme dans les livres, avec des déclarations ou des gestes grandioses, mais c’était… vrai.

Michel hoche la tête, tout en mordant dans son pain.

— Tu sais, Claude, je te vois changer. Tu es un peu moins dans ta tête, un peu plus dans ton cœur. Et ça te va bien.

Claude sourit, touché par les paroles de son ami.

— Elle m’a donné rendez-vous samedi prochain, au même endroit. Je crois que… je suis en train de tomber amoureux, Michel.

Michel lève son verre d’eau pour trinquer.

— À Monique, alors. Et à toi, l’homme qui a enfin trouvé ce qu’il cherchait. Mais, si c'est si sérieux, qu'attends-tu pour me la présenter ?

— Le bon moment, mon ami ! Et, il est arrivé, ce sera chose faite dans la semaine ! Mais, ne t'avise pas de me mettre mal à l'aise, hein ? Je te connais, jamais avare de bons mots !

Ils rient ensemble dans la légèreté du moment. Puis ils terminent de manger en silence, l’un empli d’espoir, l’autre d’une sincère admiration pour son ami.

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