13bis. Michel.
Le samedi suivant, Claude arrive au bistrot un peu plus tôt que d’habitude. Son cœur bât la chamade, il n’arrête pas de vérifier si son col est bien en place, si ses cheveux n’ont pas pris une forme étrange, si ses mains ne sont pas moites.
Monique, elle, arrive comme toujours, un sourire discret aux lèvres, les cheveux attachés dans un chignon flou qui laisse entrevoir une nuque sublime.
— Tu es là depuis longtemps ? demande-t-elle en déposant une main légère sur son bras.
— Non, non… à peine, répondit-il, visiblement nerveux.
Elle le regarde, intriguée.
— Tout va bien ?
— Oui… enfin… Tu te souviens de ce dont on avait parlé ? Mes amis, enfin… surtout Michel ? Il est là, pas loin. Je… je lui ai dit qu’il pourrait te rencontrer aujourd’hui.
Elle paraît hésiter une seconde, mais son sourire revient aussitôt.
— C’est une bonne chose, non ? Si c’est ton meilleur ami, nous devions bien finir par nous rencontrer.
Claude acquiesce, soulagé. Il prend sa main doucement et l’entraîne à travers les rues du quartier. Pour un instant, ils quittent la terrasse familière pour une autre, un peu plus discrète, à quelques ruelles de là, où Michel les attend déjà, installé à une table sous les branches d’un platane.
Michel les voit arriver et se lève d’un bond. Il est vêtu de sa veste en velours élimée et prend son air faussement nonchalant.
— Voilà donc la célèbre Monique ! s’exclame-t-il avec un sourire complice.
Monique tend la main avec une élégance simple. Michel la serre avec chaleur.
— Claude parle beaucoup de toi, dit-elle.
— Et bien, j’espère qu’il exagère un peu, sinon je risque de ne pas être à la hauteur, répond Michel, un éclat moqueur dans les yeux.
Claude roule des yeux, inquiet et lui glisse à l’oreille.
— Michel, tu m’avais promis
Ils s’assoient tous les trois. Le serveur apporte les cafés sans qu’on ait besoin de commander : Michel a déjà tout prévu.
La conversation démarre sur des sujets anodins — la fac, le temps, les bouquinistes qui ferment trop tôt — mais très vite, Michel fait ce qu’il sait faire de mieux : mettre les gens à l’aise.
— Dis-moi, Monique, as-tu seulement idée à quel point Claude est devenu fou ? Fou de toi ? Il ne me parle plus que de sa rencontre avec toi.
— Oh, je crois que je n’ai rien fait de spécial… dit-elle en rougissant.
— Michel, arrête s’il te plaît, tu vois bien que tu l’ennuies avec tes questions !
— Non, Claude, laisse le dire, ses paroles bien que troublantes sont très flatteuses et te vont si bien.
Claude lève les yeux au ciel mais ne peut s’empêcher de sourire. Il y a dans l’échange une fluidité naturelle, comme si les deux s’étaient déjà connus dans une autre vie.
Michel, derrière son humour, observe Monique avec une attention sincère. Il ne cherche pas à la piéger, ni à la juger. Il veut simplement sentir si elle rend son ami heureux. Et tout, dans la posture de Claude, dans sa façon de la regarder, dans les silences qu’ils partagent, le lui confirme.
Après une bonne heure, Monique se lève.
— Il faut que je vous laisse, mes parents m’attendent. Mais je suis ravie de t’avoir rencontré, Michel.
— Le plaisir était pour moi, dit-il en se levant à son tour. Claude a toujours eu bon goût en littérature. Je vois qu’il est aussi bien inspiré en amour.
Claude raccompagne Monique jusqu’à sa porte. Il ne raterait pour rien au monde ce baiser sur les bords de Seine.
— Merci Claude. Ton ami est taquin, mais j’ai senti la force de son lien avec toi. Il est plein de malice mais il n’est pas déplaisant. Je comprends que tu tiennes tant à lui.
— J’avais si peur, si peur que ces gamineries ne te blessent et t’empêchent de voir qui il est. Je suis vraiment soulagé. Merci d’être… tout simplement comme tu es !
— Charmeur ! Allez je rentre, à samedi prochain, même heure même lieu.
Claude s’en retourne rejoindre la table où Michel l’attend encore, les bras croisés et le regard malicieux.
— Sacré Michel, tu n’as pas pu t’en empêcher, c’est plus fort que toi, hein ?
— Rhhho, c’est bon, mes excuses, mais elle te l’a dit elle a apprécié mon franc parler.
— Oui, tu as de la chance sinon… Bon alors ? Demande Claude.
— Alors quoi ?
— Alors ton avis, elle est comme je te l’ai décrite ?
Michel se redresse, sérieux tout à coup.
— Mieux, elle est bien, Claude. Vraiment. Elle a ce truc rare : la clarté. Elle ne cache pas ce qu’elle pense, mais elle le dit doucement. Et toi, mon vieux… tu es fichu.
Claude sourit, presque gêné.
— Je sais.
Michel hoche la tête.
— Prends soin de ça. C’est fragile, ces choses-là. Et précieux.
Claude hoche la tête à son tour, il sait que sa vie ne se fera pas sans celle qu’il aime si fort.
Ils restent là encore un moment, en silence, à regarder les passants défiler. Ce samedi n’est pas tout à fait comme les autres. Et pour Claude, il marque le début d’une nouvelle évidence : celle d’un avenir qui s’écrit désormais à deux.
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