Ce matin-là, Claude se réveille tôt, l’esprit agité par une invitation inattendue : son grand patron l’a convié à déjeuner à La Tour d’Argent. Loin des brasseries habituelles, ce restaurant emblématique, perché au-dessus de la Seine, respire le luxe et la solennité. Un tel choix ne peut être anodin. Claude pressent un moment décisif, peut-être un tournant professionnel. Quelle nouvelle justifie ce cadre si prestigieux ?

Résigné à l’insomnie, il se lève pour profiter du temps et soigner sa présentation. Il s’occupe aussi de Tom avec une douceur appliquée, l’habille, lui sert le petit-déjeuner, profitant pleinement de cette routine qu’il chérit. Puis, prêt à partir, il se penche pour embrasser son épouse une dernière fois.

— Bonne journée mon amour, lui glisse-t-il dans ce moment.

Elle lui répond :

— A toi aussi mon chéri, tu es magnifique, ton patron sera sous le charme !

Claude part pour la crèche avec Tom dans les bras, profitant de ce moment de complicité. Il presse le pas sans se hâter, absorbé par l’invitation qui occupe toutes ses pensées. À la crèche, les éducatrices remarquent son allure plus soignée qu’à l’accoutumée. Malgré sa prestance, une nervosité discrète le trahit.

Il s’agenouille devant Tom, lui murmure un tendre :

— Passe une bonne journée, mon chéri. Maman viendra te chercher après ses cours, et moi, je vous retrouve ce soir.

L’attachement entre eux est attendrissant, une parenthèse douce dans une matinée tendue.

Au bureau, Claude tente de se concentrer sur ses dossiers, mais l’invitation de son patron s’impose comme une énigme lancinante. Le déjeuner approche. Plus moyen de reculer : il va savoir.

Il se rend à La Tour d’Argent, lieu emblématique où ne se jouent que de grandes décisions. Son patron, réputé pour sa discrétion, ne convoque jamais à la légère. Promotion ? Mutation ? Réorganisation ? Claude ignore ce qui l’attend.

En franchissant le seuil du restaurant, il inspire profondément. L’atmosphère raffinée tranche avec la routine. Les convives arrivent peu à peu, mesurant leurs mots, pesant leurs gestes. Claude, lui, reste suspendu à une question sans réponse : que va-t-on lui annoncer ?

Assis face à son patron dans le cadre solennel de La Tour d’Argent, Claude ressent un mélange d’honneur et de nervosité. Le décor raffiné souligne l’importance du moment. Le grand patron, décontracté mais fidèle à ses habitudes, savoure chaque bouchée avant d’entrer dans le vif du sujet.

Claude tente de lire entre les lignes, jusqu’à ce que le patron repose son verre, un sourire aux lèvres.
— Alors, Monsieur Durieux, que pensez-vous du lieu ?
— Impressionnant, Monsieur le Président. Idéal pour marquer les esprits.
Le patron acquiesce, amusé.
— Prestigieux, oui. Mais l’essentiel, c’est l’expérience. Savoir goûter aux choses, simples ou grandioses. Vous êtes d’accord ?
Claude hoche la tête, devinant qu’il y a un sens caché derrière ces mots.

Puis, le ton change.
— Vous êtes ambitieux, non ?
Claude hésite.
— Je pense, oui. J’aime relever les défis.
— C’est ce que j’apprécie chez vous, reprend le patron, le regard plus perçant. Vous ne fuyez pas les responsabilités.

Un silence. Claude s’interroge. Le serveur apporte le plat, et la conversation dérive brièvement vers les effectifs avec le DRH. Claude reste en suspens, concentré sur l’attente.

Lorsque le patron repose ses couverts, il se tourne de nouveau vers lui.
— Claude, je peux vous appeler ainsi ?
— Bien sûr, Monsieur le Président.
— Je suppose que vous êtes curieux de connaître la raison de ce déjeuner...

Claude se redresse imperceptiblement.

— Voilà. J’ouvre une nouvelle succursale à Reims. Une ville en pleine mutation. Et j’aimerais que vous la dirigiez.

Le choc est immédiat. Claude reste un instant silencieux.

— Le secteur est stratégique, poursuit le patron. Il faut quelqu’un de solide, proche du terrain. Et selon mon DRH, c’est vous.

Claude sent le poids de l’enjeu. C’est une opportunité majeure, un tremplin... mais le prix est élevé. Reims, c’est l’éloignement, les sacrifices. Monique, Tom. Leur équilibre patiemment construit à Paris. Et cette pensée amère : il ne peut pas demander un délai. Ce monde ne tolère pas l’hésitation, encore moins la consultation d’une conjointe.

Il garde son calme, dissimulant le tumulte intérieur. Monique comprendra, il veut y croire. Il agit pour eux, pour leur avenir.

— Je suis honoré, dit-il enfin.
— Je savais que vous comprendriez, répond le patron. Ce ne sera pas simple, mais je vous fais confiance.

Claude acquiesce, plus sûr de lui.
— Comptez sur moi pour me montrer à la hauteur.

Ils se serrent la main. Un pacte est scellé. Une nouvelle page s’ouvre. Claude le sait : ce défi dépasse le cadre professionnel. Le vrai test l’attend ce soir, quand il devra en parler à Monique...