42. Pour lui...
Les semaines passent, et les liens entre Mathis et Yohan continuent de se resserrer. Au lycée, ils sont inséparables. Leur complicité, naguère évidente et sans équivoque, prend une densité nouvelle. Quelque chose est en train de changer, mais aucun des deux n’ose encore le nommer.
Un après-midi, après une séance de sport particulièrement éprouvante, ils s’effondrent côte à côte sur les bancs du gymnase. Leurs souffles courts emplissent l’espace, leurs corps épuisés marquent une trêve bienvenue.
— Tu gères, Yohan, t’es impressionnant, lance Mathis, la voix encore haletante. La sueur perle sur son front, et son sourire sincère illumine son visage.
— C’est grâce à toi, mec, tu m’as poussé à tenir, répond Yohan en riant doucement. Mais, sérieux vingt-deux tours de pistes en endurance, t'es un grand malade, c'est une sacré performance.
Mais dans son rire, il y a une nuance, une ombre imperceptible. Ses yeux cherchent ceux de Mathis, et ce qu’il y laisse entrevoir dépasse de loin la simple gratitude. Une reconnaissance, oui, mais aussi une intensité nouvelle, troublante.
Ils se regardent, et le silence qui s’installe n’a rien d’innocent. Mathis sent une chaleur monter en lui, un mélange de gêne et d’excitation qu’il n’arrive pas à chasser. Il est pris au dépourvu par l’éclat dans les yeux de Yohan, un éclat qu’il ne sait pas interpréter, mais qui semble le retenir en place.
Le temps semble ralenti. Mathis voudrait détourner le regard, briser cette tension étrange, mais il n’y parvient pas. C’est comme si quelque chose d’invisible le liait à Yohan à cet instant, quelque chose qu’il ne comprend pas encore, mais qui le fascine autant qu’il l’effraie.
— On rentre direct chez moi ou tu repasses chez toi avant ? demande Yohan, rompant enfin le silence, mais sa voix est plus grave qu’à l’accoutumée, presque hésitante.
Mathis sursaute légèrement, ramené brusquement à la réalité.
— Je vais rentrer prendre une douche et chercher des affaires avant de te rejoindre, répond-il rapidement. Mais… c’était bien, aujourd’hui. C’est toujours sympa … de passer du temps avec toi.
Il baisse les yeux en terminant sa phrase, le cœur battant. Les mots sonnent simples, mais ils portent un poids qu’il ne voulait pas leur donner. Pourquoi a-t-il dit ça ? Il ne sait pas, et pourtant, il le pense sincèrement.
Un silence plane à nouveau, mais cette fois, Yohan ne le brise pas. Il se contente de hocher la tête avec un sourire discret, presque imperceptible. Puis il se lève brusquement.
— Bon, je vais y aller. Alors, on se voit tout à l’heure, dit-il.
Mathis reste assis, surpris. Ils font toujours le chemin du retour ensemble, c’est une règle tacite, une habitude immuable. Mais pas aujourd’hui.
— Tu… tu veux qu’on rentre ensemble ? propose Mathis, sa voix teintée d’un léger désarroi.
— Non, c’est bon. Je dois passer chez moi aussi, répond Yohan sans le regarder.
Mathis reste figé sur le banc, le cœur serré sans qu’il sache vraiment pourquoi. Il observe Yohan s’éloigner, ses gestes brusques, comme s’il fuyait quelque chose. Ce n’est qu’une séparation anodine, mais cela n’a rien d’anodin pour Mathis.
Sur le chemin du retour, il marche seul pour la première fois depuis des mois. L’absence de Yohan à ses côtés se fait presque douloureuse, comme un vide qu’il ne parvient pas à combler. Les bruits familiers de la rue, les voix des passants, tout semble lointain. Sa bourde l'obsède. Il se tourmente sur le trajet du retour :
Pourquoi ai-je dit ça ? Est-ce la raison de la fuite de Yohan ? Et, si ces simples mots l'avaient effrayé ? S'il les avaient compris de travers ? D'ailleurs, moi, quel sens je leur donne ? Tout était si bien ? Et si j'avais tout fait foiré ?...
Chez lui, seul sous l’eau chaude de la douche, Mathis ferme les yeux. La journée défile dans sa tête comme un film qu’il n’arrive pas à éteindre. Il sent encore la main de Yohan sur son épaule, il revoit ce regard, il entend cette voix un peu trop douce. Une question, enfouie au plus profond de lui, commence à remonter.
Et si ? Et si ce n’était pas que dans sa tête ? Et si cette tension qu’il ressentait, Yohan la ressentait aussi ? Mais alors, qu’est-ce qu’ils feraient ?
Mathis inspire profondément, mais son souffle reste saccadé, prisonnier d’une cage invisible. Non, c’est absurde, tente-t-il de se convaincre. Pourtant, le doute persiste, s’installe, comme une ombre qu’il ne peut chasser. La vapeur envahit la salle de bain, mais l’air semble encore plus lourd, oppressant. Cette journée, qu’il pensait anodine, l’enserre maintenant dans un étau de souvenirs trop vifs, trop puissants.
Il laisse l’eau couler sur son visage, espérant qu’elle emportera avec elle ce trouble, cette obsession naissante. Mais rien n’y fait. Chaque goutte semble au contraire raviver ces sensations. Lorsqu’il éteint enfin le robinet et sort de la baignoire, ses gestes sont mécaniques. Se sécher, enfiler un t-shirt, ces actions quotidiennes lui paraissent étrangères, presque irréelles.
Devant le miroir embué, il s’arrête. Ses yeux cherchent quelque chose dans son reflet, un indice, une réponse à des questions qu’il n’ose pas formuler. Sans réfléchir, il ajuste ses cheveux, tire sur son col, lisse les plis de son vêtement. Une envie incontrôlable de perfection le pousse à soigner son apparence, à chercher une harmonie qu’il ne comprend pas totalement.
C’est seulement lorsqu’il finit qu’il en prend conscience. Ce qu’il veut, c’est lui plaire. À lui...
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