46. Un tour à vélo.

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Ce matin-là, Marie-Hélène, la maman de Yohan, frappe doucement à la porte. Sa voix claire perce le calme de la pièce, résonnant comme un écho doux et familier :

– Les garçons, il est déjà 9 heures ! Le soleil brille et la journée promet d’être chaude. Vous devriez vous préparer rapidement pour ne pas trop souffrir de la météo.

– Oui, m'man, on se lève ! On se prépare et on file ! répond Yohan, la voix encore marquée par le sommeil.

Sans attendre, Yohan tire les rideaux, laissant entrer un flot de lumière vive qui inonde la chambre. Le soleil éclaire les traits de Mathis, encore allongé, sa silhouette athlétique dessinée par la lumière. Yohan sourit, un sourire espiègle mais tendre, et lui donne une tape sur l'épaule. Il choisit de faire comme si de rien n'était.

– Allez, debout, Mathis ! On s’habille, on prend un petit déj’, et on est partis !

Mathis, les yeux à moitié ouverts, émet un grognement léger avant de répondre, un sourire à peine visible au coin des lèvres :

– Ok, mais on ne se douche pas avant ?

Yohan secoue la tête, son rire léger perçant l’air un instant :

– Inutile ! Avec cette chaleur, on va transpirer dès qu’on sera en selle. La douche sera bien plus agréable ce soir !

Mathis acquiesce, un sourire furtif se dessinant sur son visage. Ils se lèvent, encore un peu engourdis, mais leurs gestes sont déjà décidés, presque synchronisés. En quelques instants, ils enfilent leurs cuissards et leurs maillots de cyclisme, ces tenues moulantes qui épousent leurs corps et mettent en valeur chaque muscle, chaque courbe travaillée par des mois d’efforts.

L’atmosphère est chargée de quelque chose qui va au-delà de l’amitié. Ils sont prêts, prêts à affronter la journée, mais surtout prêts à se retrouver dans cet espace entre eux qui est devenu plus qu'une simple connexion.

Ils avalent rapidement un bol de chocolat chaud et de corn-flakes, préparent un sac avec de quoi pique-niquer, et s’engouffrent dans l’ascenseur. La descente jusqu’aux sous-sols, là où sont rangés leurs vélos, semble presque irréelle, comme une mise en scène.

– Tu as une préférence pour la direction aujourd’hui ? demande Yohan en ajustant son casque.

– Honnêtement, la nuit a été courte, admet Mathis avec un sourire gêné. Je partirais bien du côté du pont de Witry pour prendre la nationale. C'est plat par là, ça nous permettra de rouler tranquille. Qu'en dis-tu ?

– Excellente idée ! approuve Yohan. En plus, on pourra bifurquer sur des départementales plus calmes si besoin.

Sans plus de mots, ils enfourchent leurs vélos, remontent le parc des Arènes du Sud, passent la place des Droits de l’Homme, empruntent les boulevards Lambert, Hugo, et de la Paix pour rejoindre la rue Jean-Jaurès. Le marché du dimanche les oblige à slalomer dans les petites rues adjacentes avant d’atteindre le pont de Witry. Dès qu’ils rejoignent la RN51, ils filent en direction des Ardennes.

Les kilomètres défilent dans un rythme lent et régulier. Leurs muscles s’échauffent, leurs corps se synchronisent avec la cadence, et l’air frais du matin leur caresse le visage. La route, baignée par la lumière dorée du soleil, semble les envelopper dans une bulle de tranquillité. Ils traversent Witry-lès-Reims, puis Isles-sur-Suippe, et bifurquent enfin sur la D20 en direction de Pontfaverger. Yohan, en tête, prend un virage à la D980 vers Époye. Là, il ralentit et fait signe à Mathis de le rejoindre.

La route est calme, bordée de champs, et le soleil semble encore plus doux sous la canopée des arbres. Ils roulent côte à côte, leur conversation d'abord légère, mais une tension subtile s’installe entre eux, comme une fine pellicule qui recouvre l’air.

– Pas mal, notre performance ce matin, non ? lance Yohan, un sourire en coin.

– Oui, sourit Mathis. Seulement 30 kilomètres en 1h15 sur du plat. On peut dire qu’on se ménage !

Yohan, semblant plus sérieux soudainement, ralentit davantage, comme s’il cherchait une manière de dire ce qu’il a sur le cœur. La forêt autour d’eux semble les protéger de l'extérieur.

– Justement, propose Yohan. Ça te dirait qu’on fasse une pause dans le sous-bois, entre Époye et Berru ? Avec ce soleil, l’ombre serait agréable. Et puis, il y a une clairière sympa où mes parents m’emmenaient chercher du muguet au printemps.

Mathis acquiesce silencieusement. Ils ralentissent tous deux, leur cadence diminue progressivement. L’anticipation plane dans l’air, comme une promesse de quelque chose de plus, de ce qu’ils n’avaient pas encore osé évoquer.

Leurs voix deviennent plus timides, presque retenues. Yohan hésite, puis se lance enfin :

– Pour hier soir… j’espère que ça ne t’a pas mis mal à l’aise… lance-t-il, un peu hésitant.

Les mots ou plutôt ces mots voire même ses mots sont lourds de signification. Yohan prend le risque. Il veut savoir. Il doit savoir. Mathis représente tellement pour lui.

– T’inquiète, tu m’as surpris, c’est sûr, mais je ne vais pas prétendre que je suis resté indifférent, répond Mathis, un sourire en coin, mais les yeux plus profonds qu’à l’habitude.

– Vraiment ? Moi, depuis ce jour où Monsieur Grignon m’a installé à côté de toi, je rêvais en secret de ce moment, avoue Yohan, d’une voix plus basse, mais pleine de cette sincérité qui semble faire vibrer l’air autour d’eux. Mais tu semblais si loin de partager mes sentiments… Je ne voulais pas… je ne savais pas si ça te ferait peur.

Mathis, se sentant soudainement plus vulnérable, lève les yeux vers lui. Les mots ne viennent pas tout de suite, mais il les laisse s’installer, se poser dans l’espace entre eux. La chaleur du soleil devient plus intense, plus présente, tout comme cette confession qui, malgré l’ombre des arbres, les éclaire plus que tout.

– Moi aussi, je crois que j’ai eu peur. Mais je crois aussi qu’au fond… j’ai toujours su, répond Mathis, sa voix plus rauque, plus honnête. Et pour hier soir… je n’ai plus voulu ignorer ce qu’il y avait entre nous. Alors je te dis merci. Merci pour ça...

Un silence, si lourd de sens, s’installe. Les deux amis se tiennent dans cette demi-lumière, suspendus dans un équilibre fragile. Le monde autour d’eux semble ralentir. L’ombre des arbres se fait plus épaisse, plus intime. Et pourtant, leur complicité est plus évidente que jamais. Les mots sont là, enfin, brisés, et ils sont partagés. Tout est plus clair maintenant. Mathis ajoute alors :

— Tu rigoles, toi ! Tu n’avais pas remarqué à quel point j’étais troublé quand tu t’es assis pour la première fois à côté de moi ? Bon, je suppose que je n’en avais pas vraiment conscience… ou peut-être que je me voilais la face, admet Mathis, un peu rouge de s’ouvrir ainsi.

— Justement, j’ai pris ça pour de la timidité. C’était tellement… charmant, ajoute Yohan en riant. D'ailleurs, je crois que c'est cette fragilité chez toi qui m'a attrapé...

— Arrête, tu vas me faire rougir !

Ils éclatent de rire, à l’aise, complices, comme si ces confidences avaient dissipé la tension entre eux. L’échange se prolonge, glissant sur les non-dits, les regards volés, les moments d’hésitation et d’envie partagée dans le vestiaire.

— Mais ça veut dire aussi qu'on empreinte un chemin qui n'est pas simple… celui de la différence… ajoute Mathis, d'un ton inquiet.

— M'en parle pas, on risque des insultes, le rejet d'une part de nos proches…

— Pour l'instant, la question ne se pose pas, c'est notre secret… d’ac ?

— D’ac, du moment qu'on trouve des instants pour nous, ça me va…

Leur conversation les porte au-delà d’Époye, et bientôt, les contours du sous-bois apparaissent à l’horizon.

— Arrêtons-nous ici, on va poursuivre à pied en poussant nos vélos. Ces sentiers sont trop caillouteux, on risquerait d’abîmer nos boyaux.

— T'as raison, mieux vaut être prudent, répond Mathis.

Les deux amis s’enfoncent alors dans le sous-bois, guidant leurs vélos avec précaution jusqu’à une petite clairière baignée de lumière. Le sol y est parsemé de coucous dorés qui embaument l’air d’un parfum doux et sucré.

Yohan pose son vélo contre un arbre et admire l’endroit en soupirant :

— C’est pas un lieu parfait ici ? Écoute comme c’est calme. Le parfum des fleurs, le chant des oiseaux... Tout invite à se détendre.

— Oui, tu avais raison, c’est idéal. On peut s’installer, se reposer un peu, et même pique-niquer avant de reprendre la route.

Yohan ouvre son sac et en sort une couverture qu’il déploie d’un geste ample avant de l’étendre sur le sol. Après avoir retiré ses chaussures et entrouvert la fermeture de son maillot, il s’assoit et tapote la couverture à côté de lui pour inviter Mathis à le rejoindre.

— Viens, installe-toi.

Mathis obtempère, s’allongeant sur le flanc pour observer son ami, qui, à demi-allongé, mâchonne distraitement un brin d’herbe. La lumière joue entre les branches, éclairant leurs visages avec douceur.

Après un moment de silence, Mathis se lance, son regard fixé sur Yohan :

— Hier soir... autant j’étais maladroit, autant toi, tu avais l’air de savoir exactement où tu voulais en venir. D’où t’es venue cette assurance ?

Yohan se redresse légèrement, laissant son brin d’herbe tomber au sol. Ses yeux pétillent d’une sincérité touchante :

— Je sais pas si on peut appeler ça de l’assurance. Disons que c’était plus... une évidence. Comme si, tout d’un coup, c’était le bon moment, et qu’il ne fallait pas le rater.

Mathis le fixe, intrigué :

— Mais pourquoi hier soir, alors ? Pourquoi pas un autre jour ?

Yohan détourne le regard un instant, mâchouillant toujours son brin d’herbe. Il hésite avant de répondre, comme s’il cherchait les bons mots :

— Je crois que c’est à cause de toi. Ton sourire, ta façon de parler, tout en toi me disait que tu étais prêt, même si tu ne t’en rendais pas compte. Et puis, honnêtement, je n’avais plus envie de t’attendre.

Mathis rougit légèrement, mais un sourire se dessine sur ses lèvres :

— Eh bien, bravo. Tu m’as fait perdre tous mes moyens hier… mais t'avais raison. Quelque chose en moi a changé, ou peut-être que ça dormait depuis longtemps, mais tu l’as réveillé.

Yohan s’assied en tailleur et tend une main pour effleurer doucement l’épaule de Mathis :

— Alors, on peut dire qu’on se réveille ensemble.

Les deux amis, plus proches que jamais, savourent l’instant, un mélange d’apaisement et de nouvelles promesses, imperceptibles mais déjà présentes dans l’air.

Soudain, Yohan, le regard plongé dans celui de Mathis, prononce ces mots d’une voix plus grave, chargée de sens :
– Il faut que je te dise quelque chose, quelque chose que je n’ai jamais révélée à personne.

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