60. Préparatifs et inquiétudes.

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En ce mois d’août 1999, la ferme des Durieux s’anime d’un tourbillon d’activités et de retrouvailles. Contrairement aux étés précédents, où chacun partait pour des voyages lointains ou des croisières exotiques, cette année, tous ont choisi la simplicité et l’authenticité de la campagne. La priorité, désormais, est de réunir une famille qui s’est considérablement agrandie au fil des années.

Peu avant, Monique, épaulée par Thérèse, avait envoyé des invitations à chacun de ses frères pour ce week-end du 21 août. Avec une détermination teintée d’un brin d’inquiétude, elle avait lancé :

— S’ils tiennent à me revoir, s'ils m'ont conservé ne serait-ce qu'une once d'amour fraternel, ils n’auront qu’à ravaler leur orgueil déplacé.

Son ton, mélange de fermeté et de tendresse, avait impressionné. Les réponses n'avaient pas tardées à revenir. Mais, une incertitude persistait : Pierre et René, deux de ses frères, n’avaient pas donné suite. Mais Monique, ne voulait y croire ! Pour elle, cela ne valait pas refus et laisser planer le doute sur leur venue.

Madeleine, la mère adoptive de Monique, est déjà arrivée, fidèle à sa tradition estivale. Habituée à passer quelques semaines en famille, elle se retrouve cette fois dans un contexte inhabituel. Pas de visites touristiques ni d’excursions cette année, mais la chaleur simple et sincère des retrouvailles familiales. Assise dans le jardin, à l’ombre d'un vieux tilleul, Madeleine observe les préparatifs avec une expression pensive. Durant cet été, elle va devoir se confronter à des personnes qu'elle a haïes et des histoires si douloureuses, mais son soutien à sa fille reste inébranlable, comme il l'a toujours été depuis que Paul a scellé leur famille. 

Yohan, fidèle à son rôle d’invité permanent et compagnon indéfectible de Mathis, est lui aussi présent. Son enthousiasme et sa présence constante en font désormais un membre à part entière de cette famille haute en couleur. À ses côtés, Tom semble particulièrement enjoué : il a enfin présenté Juliette, sa petite amie, à tout le monde. Cette rencontre tant attendue se déroule sous les meilleurs auspices, et Juliette s’intègre avec une facilité déconcertante, charmant chacun par sa simplicité et sa gentillesse.

Jacques et Marie, les beaux-parents de Monique, savourent chaque instant de l’effervescence qui règne à la ferme. Pour eux, ces moments en famille sont d’une valeur inestimable. Voir leurs enfants, leurs petits-enfants, et même leurs premiers arrière-petits-enfants partager des repas sous le grand chêne, ou se promener ensemble dans les champs qu’ils ont cultivés avec tant de soin et d’amour, est une source de fierté infinie. La ferme, désormais gérée par leurs filles et leurs gendres, continue de prospérer et de se développer, enrichie même de nouvelles terres grâce à des mariages qui ont tissé des liens solides avec les familles du cru. Ainsi, cette terre ancestrale devient le véritable cœur battant de la famille, un symbole d’unité et de résilience à travers les générations.

Le soleil brille haut dans le ciel, et la chaleur estivale emplit l’air tandis que les rires des enfants, joyeux et insouciants, résonnent dans la cour. Le tumulte des derniers préparatifs, les éclats de voix et les allées et venues des adultes se mêlent harmonieusement, créant une atmosphère chaleureuse et vivante.

Toutes les tables sont disposées en un grand U, formant une unique tablée qui occupe une place centrale sous le grand chêne. Recouverte de nappes blanches impeccablement dressées, la grande table est ornée de bouquets de fleurs des champs, cueillies le matin même dans les prés alentours. Tout autour, les chaises attendent les convives, prêtes à accueillir rires et conversations.

Si tout le monde répond présent, ce sont 67 convives qui prendront place en ce lieu. La première génération — Jacques, Marie, Madeleine et Suzanne — sera bien représentée. La deuxième génération, celle de Claude, Monique, leurs frères et sœurs, ainsi que leurs conjoints, rassemble 26 personnes. Vient ensuite la troisième, avec 30 petits-enfants, parmi lesquels Mathis, Yohan, Tom, Juliette et tous leurs cousins et cousines du côté Durieux, sans oublier Quentin et son amie Mathilde. Enfin, la quatrième génération commence déjà à poindre, avec sept arrière-petits-enfants nés des grandes sœurs de Claude, dont la petite Cléa, amoureuse éperdue de son cousin Mathis, du haut de ses trois ans. C’est un tourbillon de voix et de sourires, un rassemblement de toutes les générations : une famille unie, prête à célébrer ce moment précieux ensemble.

— Tout est presque parfait, déclare Monique en vérifiant une dernière fois l’agencement de la table. Elle s’assure que chaque détail est en place : les nappes bien lissées, les assiettes soigneusement disposées. Mais ce qui la préoccupe le plus, c’est la disposition des invités.

Elle a méticuleusement placé ses frères à des endroits opposés de la longue table. Claude l’a bien compris, et il la soutient dans ce choix discret mais nécessaire : les frères de Monique ne doivent en aucun cas se retrouver côte à côte ou face à face. Elle ne sait pas exactement pourquoi ils se sont déchirés, mais Thérèse lui a parlé de querelles de famille, de vieilles rancœurs, de brouilles qui, bien que futiles aux yeux de tous, durent depuis des années. Des brouilles de pacotille, comme elle dit, mais qui ont suffi à fendre cette branche de leur famille. Monique, elle, ne veut pas de disputes aujourd’hui. Elle préfère garder le mystère des causes de cette animosité, et c’est en éloignant ses frères qu'elle cherche à éviter le pire.

Claude, d’ailleurs, la rassure parfois avec un regard bienveillant lorsqu’elle se perd dans ses pensées. Elle se dit que cette journée doit être une parenthèse, une chance de remettre les choses en place, même si, en toute lucidité, elle sait que certaines blessures ne pourront guérir en une seule rencontre.

Elle respire profondément en voyant les enfants courir dans la cour, rire sous le grand chêne où la table est dressée, et elle se sent quelque peu apaisée par cette atmosphère de convivialité, loin des drames familiaux qui semblent parfois peser comme une ombre qui pourrait s'inviter.

Quand elle croise le regard de Madeleine, qui semble avoir compris l’importance de ce rassemblement, elle lui adresse un sourire à la fois soulagé et nerveux.

— Tu as bien fait de tout organiser ainsi, lui dit Madeleine en posant une main sur son épaule, avec une douceur maternelle.

— Les émotions seront fortes, mais tu sais, la famille, ça se reconstruit, petit à petit, ajoute-t-elle ensuite.

Monique hoche la tête, reconnaissant dans les mots de Madeleine un soutien sans jugement. Elle sait que ce moment, aussi fragile soit-il, est une chance. Les bras tendus vers l'avenir, Monique se sent prête à accueillir cette journée avec tout l’amour et la patience dont elle est capable. Elle accorde une attention particulière à sa mère, Madeleine, dont elle ressent la crainte d'être remplacée. Elle comprend, même si elle sait qu'il n'y a pourtant aucun risque, alors elle l'entoure de tout son amour pour la rassurer.

Elle jette un regard vers la route qui mène à la ferme, espérant voir apparaître les silhouettes attendues. Même si la perspective d’une réunion complète semble incertaine, elle garde toujours espoir. Aujourd’hui, plus que jamais, elle est déterminée à rassembler les morceaux épars de son histoire familiale et à recréer un tout, riche et harmonieux.

Assise sur le banc à l’ombre d’un vieux tilleul, Madeleine continue d'observer les préparatifs.

— Tu sembles bien songeuse, maman, lance Monique en venant s’asseoir à ses côtés, un tablier encore noué autour de la taille.

Madeleine esquisse un sourire tendre à sa fille, mais son regard reste distant.

— Je me demande juste comment cette journée va se dérouler. Je ne sais pas si j’ai ma place ici, Monique.

— Mais bien sûr que tu l’as ! s’exclame Monique, prenant la main de Madeleine dans la sienne. C’est toi qui m’as élevée, qui m’a aimée inconditionnellement. Rien, ni personne, ne changera cela.

Le regard de Madeleine s’adoucit, bien qu’une ombre persiste dans ses yeux.

— Et pourtant, eux… ce sont ta mère, tes frères, tes sœurs. Moi, je ne suis qu’un chapitre parmi d’autres.

Monique secoue la tête, émue mais ferme.

— Maman, tu es bien plus qu’un chapitre. Tu es tout un livre à toi seule, dit Monique, les yeux brillants d’émotion. Aujourd’hui, je veux que tu sois là, avec moi, pour m’accompagner dans ce moment important, et ce, en tant que mère.

Elle prend la main de Madeleine, qui la regarde avec tendresse, sentant le poids de ces mots. Monique, dans ce moment intime, se laisse emporter par une émotion qu’elle a longtemps retenue.

— D'ailleurs, il y a une absence qui manque cruellement aujourd’hui, ajoute-t-elle, sa voix se brisant un instant. Celle de Paul, ce père si aimant, bien davantage que celle de Georges, ce père qui m’a abandonnée.

Madeleine serre doucement la main de sa fille, son cœur lourd mais rempli d’amour pour elle. Elle sait combien Monique a souffert du vide laissé par son père biologique. Un vide qu'aucune figure paternelle n’a pu combler complètement, bien que Paul ait toujours été là, fort et aimant.

— Paul t’aurait fièrement vue aujourd’hui, ma chérie, murmure Madeleine, sa voix douce et pleine de sagesse. Il t’aurait dit à quel point il est fier de la femme que tu es devenue. Mais tu sais, Georges… bien qu’il t’ait meurtrie, il n’a jamais pu effacer tout l’amour que tu as en toi. Et aujourd’hui, tu l’incarnes encore plus que quiconque.

Monique ferme les yeux un instant, son esprit bercé par les souvenirs des épreuves et des espoirs. Elle se sent forte, mais parfois la douleur du passé refait surface, surtout lorsqu’elle se rappelle la différence entre l’amour de son père adoptif et l’indifférence de l’homme qui lui a donné la vie. Mais, dans cette ferme, entourée de sa famille, elle trouve tout le réconfort qu'on puisse attendre des siens.

— Oui, dit-elle, les yeux brillant de détermination. Aujourd’hui, c’est ma famille qui est là pour moi. Et avec vous, je me sens plus forte que jamais.

Madeleine sourit enfin, sincèrement cette fois, et acquiesce.

Un peu plus loin, Yohan et Juliette, ravis de ce séjour à la campagne, s’activent pour aider à installer des tables et des chaises sous un grand barnum. Claude, en maître des lieux, supervise les opérations tout en plaisantant avec Mathis et Tom.

Bientôt, les premières voitures commencent à arriver. Thérèse, élégante et accueillante, s’occupe de recevoir les invités, tandis que Monique et Claude guettent, un mélange d’excitation et d’appréhension dans les yeux.

— Ce sera une journée mémorable, murmure Claude en serrant doucement la main de Monique.

— Oui, une journée où tout peut arriver, répond-elle avec un brin d'inquiétude, son regard fixé sur l’allée où des silhouettes familières commencent à apparaître.

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