61. Pierre et René ?

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Ici, au cœur de la bâtisse, entourée de champs dorés et bercée par le chant des cigales, c’est la pleine effervescence. L’air est chaud, l’odeur de la terre se mêle à celle des plats qui se préparent, et le grand chêne semble prêt à accueillir les rires et les conversations qui s’élèveront autour de la table. Les premières voix arrivent, des voix familières, celles de la branche Durieux. Leurs présences rassurent Monique, qui ressent un mélange d’excitation et de nervosité face aux retrouvailles à venir. Chaque poignée de main, chaque baiser sur la joue, chaque sourire échangé est un plaisir simple, mais précieux, offert par la vie entre ces membres soudés de la famille. Mais, en elle, une vague de nervosité monte, car rien n’est jamais acquis dans les histoires de famille. La réconciliation entre les membres du passé est un chemin semé d’embûches, et Monique le sait : elle doit l’empreinter sans savoir exactement où il la mènera. Elle choisit de croire en ce nouveau départ. Son cœur s'ouvre doucement, même si, au fond d'elle, elle porte des plaies de l’histoire familiale.

Les premiers à arriver sont Roger et son épouse, suivis de Maurice, Louis et leurs conjointes. André et sa femme arrivent ensuite, puis Odette et son époux, accompagnés de Suzanne. Chaque arrivée se fait avec une certaine retenue. Les gestes sont mesurés, les voix calmes, mais une chaleur indescriptible émane de ces retrouvailles, comme si, après des décennies de séparation, le temps se déployait en arrière, ramenant les souvenirs partagés à la surface.

Les retrouvailles entre Monique et ses frères et sœurs sont déchirantes. Lorsqu’elle tend les bras pour les accueillir, l’émotion les submerge tous. Les gestes sont maladroits, les paroles se bousculent dans la confusion de l'instant, puis un sourire, timide mais plein de soulagement, s'esquisse sur les visages. La situation est tellement émouvante que, pour la première fois depuis des années, les frères semblent oublier leurs querelles idiotes. Ils se regardent, hésitent, puis, d’une manière ou d’une autre, le passé s’efface. La joie de retrouver cette sœur qu’ils croyaient perdue depuis si longtemps éclaire leurs visages, rien n'est plus fort que ce pont tendu entre leurs cœurs.

Pourtant, Monique, qui savoure les retrouvailles, ne peut s'empêcher de se demander, avec un fond d’appréhension, si Pierre et René oseront briser cette longue séparation.

Ses regards se portent sur les visages des uns et des autres, cherchant un indice, un signe qui pourrait la rassurer. Mais l’angoisse est toujours présente, latente, guettant la possibilité de voir ses deux frères absents de cette réconciliation. Monique attend, le cœur serré, sachant que si Pierre et René ne franchissent pas le seuil de ce rapprochement, une part de la guérison familiale restera inachevée.

À mesure que la matinée avance, les sourires se multiplient, les enfants courent dans le jardin, les discussions se font plus légères. Pour Monique, l’inquiétude demeure. Elle attend, avec impatience et appréhension, ces frères. Elle veut faire tomber ce dernier mur et retrouver leur place dans cette famille enfin réunie. C'est alors que le portail est franchi de nouveau. D'abord par Pierre et son épouse puis par René et la sienne. Tout le monde est là.

Elle regarde autour d’elle, son cœur battant un peu plus vite, mais avec une sérénité qu’elle n’a pas ressentie depuis longtemps. Elle se sent prête à tout affronter, prête à accueillir l’inconnu, prête à réparer les fissures de la famille, à bâtir des ponts là où il n’y avait plus que des murs. Car, aujourd’hui, elle le sait : c’est encore un autre chapitre qui s’écrit ici, à la ferme des Durieux.

Claude, debout devant l'entrée, agite alors vigoureusement la cloche suspendue à l'extérieur de la maison, juste à côté de la porte d’entrée, un geste familier, presque solennel. Le son clair et vibrant résonne dans l'air chaud de l'été, un appel à se rassembler. Claude se redresse, prend une grande inspiration, et regarde autour de lui, appréciant le moment qui s’est installé dans cette grande ferme familiale. Le bourdonnement des conversations s’estompe, les regards se tournent vers lui tandis qu'un calme solennel envahit l’assemblée.

Avec une voix claire et posée, Claude commence son discours :

— Chers amis, chers membres de cette belle et grande famille réunie aujourd’hui, il est difficile de trouver les mots pour exprimer tout ce que nous avons traversé, tout ce que nous avons vécu pour arriver jusqu’ici. Si vous me le permettez, j’aimerais vous parler de ce bouleversement qu’a été, pour nous tous, la découverte d’une partie insoupçonnée de notre famille… Cette famille que nous ignorions, et qui pourtant a toujours été là, à quelques pas de nous.

Il marque une pause. Son regard se tourne vers Monique, qui lui sourit avec tendresse et émotion, avant qu’il ne reprenne :

— Cela n’a pas été facile. Il y a eu des échanges longs, parfois douloureux. Le doute, la peur, la colère même, se sont invités dans nos discussions. Quarante ans plus tard, fallait-il vraiment rouvrir cette porte ? Fallait-il faire ce pas vers une famille déchirée ? C’était une question légitime. Mais après tout, vous n’étiez que des enfants, à l’époque. Des victimes d’une histoire qui vous dépassait. De blessures, de silences, de malentendus que vous n’aviez pas choisis.

Claude laisse le silence s’installer, pour que ses paroles trouvent leur écho. Il regarde de nouveau Monique, puis les visages qui l'entourent :

— Et pourtant, la réponse est là, claire. Notre famille est une famille soudée, qui grandit au fil des rencontres. Avec le temps, nous avons compris que l’amour familial ne se mesure ni en années, ni en absences, ni en fautes passées. L’amour se partage. Il se réinvente. Aujourd’hui, nous avons choisi d’ouvrir les bras. Nous sommes heureux de vous accueillir. Il ne s’agit pas de juger, encore moins de revenir en arrière. Il s’agit de faire connaissance, de redonner sens à un lien qui, malgré tout, n’a jamais tout à fait disparu.

Tous les regards sont tournés vers Claude, impressionnés par la sincérité de ses mots. Il poursuit, la voix plus chaude encore :

— Un mot particulier, maintenant, pour Madeleine. Sans elle, rien de tout cela n’aurait été possible. Elle qui a recueilli Monique, qui lui a offert avec notre regretté Paul un foyer aimant. Elle qui a fait preuve d’un courage immense, d’un amour infini, en acceptant d’ouvrir la voie à cette réconciliation. Ce moment, nous le lui devons, et j’espère qu’il marque le début d’un nouveau chemin.

Claude fait un petit geste vers Madeleine, comme pour souligner l’importance de cette reconnaissance, puis se redresse, le regard chargé d’espoir :

— Mais il est temps, mes chers amis, que j’arrête de parler… Prenez place. Que cette fête commence ! La famille est réunie, le passé derrière nous, l’avenir devant. Faisons de ce jour un souvenir inoubliable, et célébrons ensemble la joie d’être là, ensemble.

La famille s’installe peu à peu. Des regards s’échangent, des sourires se dessinent, et l’atmosphère se transforme peu à peu en une fête où l’émotion et la réconciliation sont les invités d’honneur.

Monique s’imprègne de ce moment, un sourire serein flottant sur ses lèvres alors qu’elle observe la scène autour d’elle. Les sons résonnent dans l’air, des éclats de voix, des rires partagés et des discussions animées entre les générations. Les plats s’enchaînent, les verres se remplissent, le vin coule à flots, et contre toute attente, l’atmosphère reste douce et bienveillante. Rien de ce qui aurait pu troubler cette réunion familiale ne semble vouloir s’inviter à la table.

Les enfants jouent autour de la ferme, les adultes échangent des anecdotes, de longues discussions s’étendent entre ceux qui ne s’étaient pas vus depuis si longtemps. Les musiques s’élèvent lors des pauses entre les plats, et certains ne peuvent s’empêcher de danser, un air léger de fête qui emplit l’espace. Les visages sont ouverts, les sourires sincères, et tout se passe avec une telle fluidité que Monique se laisse enfin emporter par la magie du moment.

Elle se glisse de place en place avec Claude, allant à la rencontre de ses frères et sœurs, cherchant à savoir ce qu’ils sont devenus. Leurs vies, leurs parcours, les chemins qu’ils ont empruntés depuis cette séparation de quarante ans… La curiosité de Monique est sincère, et au fond d’elle, c’est une forme de soulagement qui domine. Elle se sent plus légère, comme si, petit à petit, les lourdes chaînes de l’histoire familiale se brisaient.

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