66. Avec toi toujours.
Au petit matin, à la campagne, le chant du coq annonce le début d'une nouvelle journée. La maisonnée, encore enveloppée par la quiétude nocturne, s’éveille doucement. Les premiers levés sont, comme toujours, les anciens. Jacques s’affaire déjà dans la cuisine, surveillant le lait qui chauffe doucement sur le feu et préparant l’eau pour le thé et le café. À ses côtés, Marie enfourne avec soin les croissants qu’elle a façonnés la veille, la pâte ayant levé tranquillement toute la nuit.
Un peu plus tard, Monique et Claude se lèvent, encore engourdis de sommeil mais déjà prêts à se rendre utiles. Une toilette rapide, et les voilà parmi les premiers à gagner la grande cuisine, où le jour commence à s’installer. Peu après arrivent Madeleine, puis Suzanne, Thérèse et Francis. Tom et Juliette les rejoignent, l’air encore un peu vaseux, suivis de près par Quentin et Mathilde.
Autour de la longue table, les premiers échanges se font en sourdine, chacun conscient du malaise laissé par la soirée précédente. Mais la conversation finit par s’animer, et, naturellement, le sujet central s'impose : Mathis, Yohan, et ce qui s’est passé avec Bernard.
— On est tous d’accord, commence Monique d’une voix posée mais ferme. Inutile d’embarrasser davantage Mathis et Yohan. Laissons-les venir à nous s’ils souhaitent parler.
Claude hoche la tête en signe d’approbation, et Marie, qui verse un café fumant à Thérèse, ajoute avec douceur :
— Mathis est le même, non ? Rien de ce qui s’est passé hier ne change ça. Il est notre neveu, notre petit-fils, notre cousin. On l’aime, c'est tout… je ne veux rien entendre de plus !
Un murmure d’assentiment parcourt la table. Madeleine, les mains croisées devant elle, conclut avec un sourire tendre :
— Sa vie intime ne regarde que lui.
Jacques, habituellement silencieux, décide de se joindre à la discussion, une pointe d’humour dans la voix :
— Et Bernard, hein ? Ce gros lourdaud a encore trouvé le moyen de mettre les pieds dans le plat ! Nicole a eu le nez fin de nous le dégoter c'lui là ! J'savais bien qu'un Vendéen nous ramènerait rien de bon !
Claude, plus sérieux, prend le temps de répondre :
— Ce n’est pas un mauvais bougre. Je pense même qu’il est d’accord avec nous, au fond. D'ailleurs, il a essayé de le dire avec sa maladresse. Son éducation chez les intégristes catholiques y est pour beaucoup, mais il est loin de partager leur vision. D'ailleurs, il a coupé les ponts avec cette famille si néfaste, non ? Il ne voulait pas de mal, juste… il ne réfléchit pas avant de parler.
— Comme toujours, ajoute Jacques avec un sourire forcé, avant de se reprendre : oui tu as raison, il a de la chance d'avoir un beauf si compréhensible. Et, je dois bien avoué que je me range à ta vision des choses.
La table éclate d’un rire bref mais sincère. Malgré tout, chacun sent que les choses sont plus claires, plus apaisées. Les tensions de la veille semblent déjà s’estomper, remplacées par une détermination commune : préserver l’harmonie de la famille et offrir à Mathis et Yohan tout le soutien qu’ils méritent, dans le respect et l’amour.
Les croissants sortent du four, embaumant la pièce de leur parfum chaleureux, et les conversations bifurquent doucement vers des sujets plus légers. Mais chacun garde à l'esprit que le plus important sera d'épauler Mathis et Yohan dès qu’ils seront prêts.
Le soleil se glisse délicatement entre les rideaux, et un rayon vient caresser le visage de Mathis. Clignant des yeux, il est le premier à s’éveiller. Encore enveloppé dans la chaleur du lit, il tourne la tête et laisse son regard se poser sur Yohan, toujours profondément endormi.
Le visage de son amoureux est paisible, presque angélique, et cette image le rend heureux tout simplement. Il sourit, ne le réveille pas, pas tout de suite, il veut en profiter, s'imprégner encore davantage de la sensation de bien-être qu'il ressent en l'observant, si vulnérable, si beau et si attendrissant dans ce sommeil paisible.
Avec une tendresse infinie, il finit par se résoudre à tendre la main. Il attrape une mèche des cheveux de Yohan, qu'il enroule doucement autour de ses doigts. La texture douce, familière, éveille en lui une sensation de calme et de bonheur. Il apprécie ce contact si délicat, il n'ose le réveiller et continue de savourer pleinement l'instant.
Peu à peu, Yohan commence à remuer. La sensation de Mathis jouant avec ses cheveux le tire doucement de son sommeil. Encore engourdi, il se frotte les yeux et la silhouette de Mathis se précise devant lui. Un sourire instinctif éclaire son visage alors qu’il croise le regard attendri de son amant.
— Bonjour, mon cœur, murmure Yohan d’une voix encore chargée de sommeil. T'as bien dormi ?
Mathis répond par un sourire radieux.
— Oui… Et toi ?
Yohan s’étire doucement, ses bras venant naturellement entourer Mathis, le ramenant contre lui.
— Comme un bébé, souffle-t-il avant de déposer un baiser léger sur son front.
Leurs regards s’accrochent, et pendant un instant, ils restent là, à savourer le silence du matin, le chant lointain des oiseaux et, surtout, la chaleur rassurante de l’un contre l’autre. C’est un nouveau jour qui débute de la plus belle des façons : ouvrir les yeux et voir celui qu’on aime.
Soudain, une pensée traverse l’esprit de Mathis et le fait tressaillir. Il baisse la tête, son visage revêtant une légère rougeur.
— Yohan, tu vas te moquer de moi, mais ton chevalier est en fait un froussard. Je… je … n’ose pas ... descendre … et affronter ... le regard des autres.
Sa voix est basse, presque un murmure, tandis que ses doigts s’attardent nerveusement sur les draps. Yohan, toujours allongé, l’observe avec une douceur infinie. Il tend la main, effleure sa joue et l’incite doucement à relever le visage pour croiser son regard.
— Mathis, tu n’es pas plus froussard que moi alors. Ce que tu ressens, c’est simplement être humain, rien de plus. L’embarras que tu ressens… je le partage avec toi.
Il marque une pause, cherchant les bons mots, ses doigts toujours posés avec tendresse sur le visage de Mathis.
— Ce n’est pas facile. Ce ne sera peut-être jamais complètement facile. Mais tu n’es pas seul, mon amour. Moi, je suis là. Et même si le monde entier te tourne le dos, sache que je serais à tes côtés.
Mathis laisse échapper un soupir, mêlé de soulagement et de tristesse.
— Tu es trop parfait, murmure-t-il, ses lèvres esquissant un sourire timide.
Yohan rit doucement, son rire résonnant comme une mélodie apaisante.
— Je ne suis pas parfait, Mathis. Je suis juste quelqu’un qui t’aime, profondément. Alors, que dirais-tu qu’on affronte cette journée ensemble, l’un avec l’autre ? Si tu n’es pas prêt maintenant, ce n’est pas grave. Mais rappelle-toi, j'suis là.
Mathis sent son cœur se gonfler de gratitude et d’amour. Il hoche doucement la tête.
— Merci… Merci d’être toi.
Yohan l’embrasse doucement sur le front.
— Toujours.
Mathis et Yohan finissent par se lever, leurs mouvements encore empreints de la douceur et de la complicité de leur échange. Après un rapide détour par la salle d’eau pour se rafraîchir, ils s’habillent en silence, mais les regards échangés parlent pour eux : un mélange de nervosité et de réconfort mutuel.
Avant de quitter la chambre, Mathis s’arrête et prend la main de Yohan.
— Attends…
Il se tourne vers lui et l’enlace avec une tendresse débordante. Leurs lèvres se trouvent, s’unissent dans un baiser profond, empreint de tout l’amour et la force qu’ils s’offrent l’un à l’autre. Un baiser qui semble dire : On est ensemble, quoi qu’il arrive.
Yohan murmure, un sourire rassurant aux lèvres :
— Prêt ?
Mathis inspire profondément et acquiesce.
— Prêt.
Annotations