3. L'école de la honte.

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Il était courant que Monique, faute d’eau suffisante pour tous, parte pour l’école sans avoir pu se laver complètement. Dans cette fratrie nombreuse, l’hygiène individuelle passait souvent après les nécessités de base, et Monique en subissait les conséquences, arrivant parfois en classe les joues encore marquées d’une fatigue tenace. Et là où on aurait pu attendre de la compréhension, c’est plutôt un jeu cruel qui se répétait jour après jour.

À une époque où la bienveillance à l’égard des enfants restait souvent en retrait, certains instituteurs semblaient n’avoir trouvé rien de mieux que des pratiques humiliantes pour « corriger » les élèves qu’ils jugeaient indignes. Dans cette classe-là, le bonnet d’âne avait été remplacé par une méthode encore plus dure. Monique était fréquemment désignée, à tour de rôle avec d’autres camarades, comme la cible du jour : l’institutrice frottait alors à l’eau froide seulement une moitié de son visage, accentuant ainsi le contraste avec l’autre, restée encore plus sale aux yeux de la classe. Elle finissait par accrocher une pancarte autour de son cou, confectionnée de deux vieilles ardoises, où l’on pouvait lire, de face et de dos : Je suis une souillon.

Ces scènes se répétaient, et chaque fois, Monique sentait le poids de cette pancarte peser bien plus que sur ses frêles épaules. La honte et l’humiliation s’insinuaient en elle, tout comme une sourde colère qu’elle ne parvenait à exprimer que par un silence obstiné et les poings serrés, jusqu’à ce que le rire des autres s’estompe et que la classe reprenne son cours. Ces épreuves ordinaires, à force d’être répétées, forgèrent chez elle une force insoupçonnée, une résilience marquée du sceau de la dignité blessée mais tenace.

Un autre souvenir marquant de Monique se déroula durant un hiver glacial, quand le froid pénétrait chaque recoin des bâtiments mal chauffés, y compris celui de l’école. Ce jour-là, comme souvent, les élèves étaient rassemblés dans la cour, attendant le signal pour entrer en classe. Monique, vêtue d’un manteau rapiécé trop fin pour la saison, grelottait aux côtés de ses camarades.

L’instituteur de l’époque, un homme au visage sévère et aux habitudes autoritaires, avait instauré une « règle » particulièrement cruelle : tout élève dont les chaussures laissaient apparaître des trous ou des défauts visibles devait les ôter et rester pieds nus dans la cour pendant dix minutes « pour apprendre la valeur des choses ».

Monique, dont les chaussures déjà usées par ses frères et sœurs aînés avaient rendu l’âme, fut désignée ce jour-là. Tandis que la neige formait une fine pellicule sur les pavés, elle dut retirer ses souliers, ses orteils exposés à la morsure du froid. Les élèves se rassemblaient autour, certains moqueurs, d'autres gênés de détourner le regard. Monique, elle, resta debout, immobile, les lèvres pincées et les joues rouges, supportant stoïquement l’humiliation et la douleur.

Quand elle put enfin remettre ses chaussures, ses pieds étaient si engourdis qu’elle dut boiter jusqu’à sa place dans la classe. Mais là encore, au lieu de recevoir du réconfort, l’instituteur fit une remarque cinglante devant tous : « Voilà ce qui arrive quand on ne prend pas soin de ses affaires. Une leçon pour toi et pour les autres ! »

Pour Monique, cet épisode resta gravé comme une injustice criante, mais aussi comme un autre moment où elle apprit à souffrir en silence. Chaque humiliation endurée semblait renforcer sa capacité à encaisser, à se relever et à continuer, malgré tout.

Comme beaucoup d’enfants gauchers de l’époque, Monique fut confrontée à une difficulté supplémentaire : sa gaucherie était perçue comme une anomalie qu’il fallait corriger. L’instituteur, convaincu que l’usage de la main gauche portait malheur ou traduisait un esprit contrariant, s’acharnait à la forcer à écrire de la main droite. Cela se traduisait par des exercices de calligraphie interminables où elle devait tracer des lignes parfaites, la plume tremblante dans sa main droite malhabile.

Chaque fois que Monique revenait instinctivement à sa main gauche, le maître, irrité, lui donnait des coups secs de règle sur les doigts, à tel point qu’ils en étaient parfois rouges et enflés.

— Ta main gauche n’est bonne qu’à laver le sol ! lui lançait-il avec un mépris féroce. La jeune fille, humiliée, essayait tant bien que mal d’obéir, mais son écriture maladroite était souvent moquée par ses camarades.

Pour éviter les coups et les humiliations, Monique, malgré la douleur et les efforts que cela lui demandait, s’obligea peu à peu à écrire et à dessiner avec sa main droite. Cependant, dans l’intimité de la maison, lorsqu’elle était seule, elle continuait à utiliser sa main gauche pour les tâches qu’elle maîtrisait instinctivement. Avec le temps, et à force d’être contrainte, elle développa une compétence rare : elle devint ambidextre. Ce compromis, bien que douloureux, lui permit de naviguer dans un monde où sa vraie nature n’était pas tolérée.

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