16. Le jour J.
Claude, ayant terminé ses premiers partiels, reprend un rythme plus serein tout en se préparant pour ceux de juin. Monique, de son côté, ressent une pression croissante. Les exigences de son concours nécessitent non seulement de bonnes notes, mais aussi d’exceller pour être parmi les meilleurs.
Lorsque le jour de l’épreuve écrite arrive, le printemps illumine Paris d’une douceur qui contraste avec la tension de l’instant. Claude s'est levé aux aurores. Il a particulièrement à coeur d'être là pour accompagner Monique sur le trajet qui la mène jusqu’au lieu de l’examen.
Il ressent son anxiété tout au long du parcours. Elle peine à desserrer les lèvres tandis que son esprit est déjà plongé dans la concentration que requiert cette épreuve. Alors, il ne perturbe pas et se contente d'être... là, tout simplement.
Dans le hall d’entrée, l’agitation des candidats se mêle à un silence pesant. Claude pose une main rassurante sur l’épaule de Monique et, dans un sourire apaisant, lui glisse :
— Tu as travaillé dur, Monique. Fais confiance à tout ce que tu as appris. Tu es prête. J'en suis convaincu autant que je t'aime.
Monique lui adresse un sourire, empreint de gratitude, même si son cœur bat plus fort à mesure que l’heure approche. Claude reste à ses côtés jusqu’à ce que les candidats soient appelés, lui transmettant, par sa seule présence, le calme dont elle a besoin. Leurs mains se séparent lentement, avec cette tendresse silencieuse propre aux instants décisifs. Une légère pression du bout des doigts, comme pour retenir quelque chose de précieux, un regard échangé, chargé d’une émotion contenue. Dans ce dernier contact, Monique puise une force nouvelle — celle que donne l’amour quand tout vacille. Rassurée, elle se détourne et marche droit vers l’épreuve, ce face-à-face redouté avec l’exigence des grands textes.
Pour Claude commence alors une longue attente. Il s’installe dans un café voisin, tente de feuilleter un journal, puis l’abandonne. Son regard revient sans cesse vers l’entrée du bâtiment, comme si cela pouvait hâter le temps. Il se ronge les ongles, se mord les lèvres, laisse tourner sa cuillère dans le café jusqu’à ce qu’il refroidisse. Il pense à elle, enfermée dans cette salle, au front penché sur la copie, à l’élan et à la rigueur qu’elle mettra dans chaque phrase. Il voudrait l’aider, la soutenir, mais il est dehors, impuissant — et cela le rend plus nerveux encore. Alors il commande un café, puis un autre… Elle, il le sait, ne lâchera rien. Elle ira jusqu’au bout, avec cette ardeur calme qu’il lui connaît, pour déployer tout ce qu’elle porte de savoir, de finesse, d’amour des textes.
Avant de s’asseoir, Monique vérifie le nom inscrit sur l’étiquette de la petite table, une fois, deux fois, pour s’assurer qu'elle est bien à sa place. C’est là. Là que tout se joue, se dit-elle, en tirant doucement la chaise. Elle s’installe dans la vaste salle d’examen, où règne un silence presque oppressant. Les visages fermés des surveillants, les grincements de chaises, le froissement des enveloppes : tout semble décuplé, comme si chaque son portait l’écho d’une attente fébrile. Elle inspire profondément en découvrant le sujet, lié à une analyse littéraire comparée sur La condition humaine d’André Malraux et Les Mains sales de Jean-Paul Sartre. Autour d’elle, certains froncent les sourcils, d'autres mordillent leurs plumes, comme si cette petite action pouvait les aider à se concentrer. Le silence s’épaissit, ponctué seulement par les glissements de plume, les souffles haletants, les pages qu’on tourne avec précaution. Monique ferme brièvement les yeux, Claude l'inspire. Puis elle se lance. Une phrase, puis une autre. Son trac se dissipe peu à peu, dévoré par l’élan des connaissances et des idées qui affluent dans son esprit. La sueur cesse de perler sur son front, elle reste droite, déterminée, concentrée. C’est le moment d’être à la hauteur — de ses lectures, de ses rêves, de soi-même.
La difficulté réside dans l’interprétation des thèmes philosophiques complexes tout en répondant aux attentes académiques des jurys exigeants. Pendant des heures, Monique mobilise tout ce qu’elle a appris, rédigeant avec une concentration presque fiévreuse. Les questions sont pointues, et l’exigence du format la pousse à jongler entre synthèse et analyse approfondie. Les heures passent, longues et étouffantes. Elle lutte contre le stress qui l’envahit à chaque seconde. Le temps devient une notion floue et chaque moment semble se dissoudre dans l'immensité de la concentration. Enfin, le signal retentit, marquant la fin de l’épreuve. Les étudiants, au bout de leurs forces, déposent leurs plumes en même temps, dans un silence presque solennel. À la fin, bien qu’épuisée, elle ressent une certaine fierté : elle sait qu’elle a donné le meilleur d’elle-même.
Monique sort enfin de la salle, l’esprit vidé, mais soulagé. Claude, qui à l'approche de l'heure de fin n'arrivait plus à rester en place au café et s'était déjà rendu dans le hall, la scrute avec impatience. Son cœur bat plus fort à chaque seconde, et il guette sa moindre réaction.
— Alors, comment ça s’est passé ? demande-t-il d’un ton qui trahit son stress.
— L'épreuve était à la hauteur de sa réputation… j'ai le sentiment d'avoir livré tout ce que je pouvais, répond-elle, un léger sourire aux lèvres. Mon attention doit maintenant se porter sur l'éventualité des soutenances orales.
— Maintenant, tu veux dire dès maintenant ? s'inquiète Claude.
— Oui, pas le choix malgré l'incertitude, je dois m'y préparer sans perdre un instant.
— Ah... murmure pour seule réponse Claude, peinant à masquer sa profonde déception mais résigné à ne pas interférer dans la sage décision de sa chère amie.
— Je voulais te taquiner un instant, Claude. Ton air si désappointé me fait presque regretter cette malice. Vois-tu... plus que toute autre chose après ce pensum, mon âme aspire à un instant de quiétude... que je ne saurais savourer pleinement qu'avec toi.
La mine de Claude s’illumine à ces mots. Monique lui prend la main et l’entraîne vers le parc des jardins du Luxembourg. Il se laisse porter avec délice, jusqu’à ce qu’il s’arrête en chemin, saisi d’une fougue nouvelle, pour rejouer la mythique scène du baiser de l’Hôtel de Ville… Le reste de l’après-midi s’écoule à rêver de l’avenir, assis côte à côte au bord du grand bassin.
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