59. Ouf, bien rattrappé.
— Mais Thérèse, nous sommes grossiers ! dit-il avec légèreté. Tu n’as même pas encore eu l’occasion de nous présenter ceux qui t’accompagnent. Entrez.. entrez… milles excuses...
Thérèse éclate de rire, soulagée par cette diversion bienvenue.
— Merci, Claude. J’ai bien cru que nous allions rester sur le palier tout ce temps ! plaisante-t-elle, tandis que Francis et Quentin s’approchent, sourire aux lèvres.
Les présentations s’enchaînent naturellement. Suzanne salue chaleureusement Claude, puis échange quelques mots avec Tom, Mathis, et même Yohan, qui se fait discret mais dont la politesse et la douceur n’échappent pas à la vieille dame. Thérèse, rayonnante, présente fièrement son époux Francis, à la stature imposante mais au regard bienveillant, ainsi que Quentin, leur fils cadet, dont la timidité laisse place à une curiosité sincère en découvrant cette branche inconnue de sa famille.
Une fois tout le monde installé dans le salon, la discussion s’anime. Suzanne, détendue, commence à évoquer des souvenirs d’enfance qu’elle croyait à jamais enfouis. Elle parle de Monique enfant, de son rire cristallin, de ses boucles indomptables, et de sa complicité avec Yvonne, la petite dernière.
— Yvonne était si fragile, mais tellement joyeuse, se souvient Suzanne, sa voix légèrement voilée. Perdre son sourire… a été un déchirement.
Monique écoute attentivement, buvant les récits de cette vie qu’elle n’a pas vécue à leurs côtés. Thérèse, tout aussi émue, complète les anecdotes, ajoutant des détails oubliés, des souvenirs partagés entre frères et sœurs.
— Et toi, Monique, raconte-moi. Comment était-ce… de grandir loin de nous ? Elle s’interrompt, réalisant que sa question pourrait raviver des blessures. Pardon… je ne veux pas remuer le passé.
Monique, pourtant, secoue doucement la tête.
— Non, maman, il faut que tu saches. Les Deschamps… Ils m’ont tout donné. Une éducation, de l’amour, une stabilité que je n’avais jamais connue avant. Mais… j’ai souvent ressenti un vide. Un vide que je ne pouvais combler, car je ne savais pas d’où je venais, qui j’étais vraiment. Aujourd’hui, en te retrouvant, en retrouvant Thérèse, ce vide s’efface. Vous êtes la pièce manquante.
Suzanne, les yeux brillants d’émotion, serre une nouvelle fois Monique dans ses bras.
— Et nous, nous te retrouvons enfin, ma fille, murmure-t-elle avec une tendresse infinie.
Monique répond d’un sourire tremblant, encore submergée par l’intensité de ce moment.
Peu à peu, les silences émus laissent place à des éclats de rire. Francis raconte une histoire cocasse sur un repas familial désastreux, tandis que Quentin, encouragé par sa mère, partage timidement une anecdote récente de son apprentissage à la ferme. Les garçons, d’abord intimidés, se mêlent à la conversation, et même Yohan trouve sa place dans cet échange chaleureux.
Quand la soirée avance, Tom, observant que l’éclairage devenait trop tamisé, allume une lampe dans un coin du salon, baignant la pièce d’une lumière douce et feutrée. Suzanne, désormais à l’aise, s’installe confortablement dans un fauteuil, entourée de cette famille qu’elle découvre, comme une reine retrouvant son royaume.
Monique, assise à ses côtés, pose doucement sa tête sur l’épaule de sa mère, dans un geste simple mais infiniment précieux. Suzanne glisse un bras autour de sa fille, comme pour la protéger, pour lui signifier que tout est enfin à sa place.
Dans cette ambiance empreinte de sérénité, le poids des années perdues s’allège. Ce n’est pas juste une réunion, mais une réconciliation. Une renaissance.
Claude, debout près de la table, jette un coup d’œil à l’horloge murale.
— Il est tard, et l’heure du dîner est arrivée. Cependant, à part l’apéritif, je crains que nous manquions cruellement de victuailles, dit-il avec un sourire. Je peux commander quelque chose si vous souhaitez prolonger cet instant.
Thérèse, touchée par l’attention, consulte son époux Francis, puis se tourne vers Suzanne.
— Maman ? Qu’en penses-tu ?
Suzanne, le cœur léger, hoche la tête avec enthousiasme.
— Je ne vais pas bouder mon plaisir. Ce moment est si précieux.
L’enthousiasme gagne toute l’assemblée.
— Alors, c’est parti ! annonce Claude en souriant. Vous préférez des pizzas ou bien des plats indochinois ?
Une consultation animée s’engage autour des préférences culinaires. Très vite, l’idée des spécialités vietnamiennes et indochinoises emporte la majorité.
— Parfait, je m’occupe de tout ! dit Claude en attrapant son téléphone pour passer commande. Ce sera prêt dans 45 minutes. En attendant, je propose un toast.
Il saisit une bouteille de champagne encore fraîche, retire la capsule et fait sauter le bouchon dans un éclat joyeux. Les coupes se remplissent, et tout le monde lève son verre.
— À ces retrouvailles inespérées, dit Claude, sa voix chargée d’émotion. À la famille, et à ce nouveau chapitre que nous écrirons ensemble.
— À nous ! répondent-ils tous en chœur, leurs verres s’entrechoquant dans un tintement cristallin.
Claude, accompagné de Tom, propose ensuite d’aller récupérer la commande au restaurant, situé en bout de place d’Erlon, face aux promenades. Pendant leur absence, l’ambiance dans l’appartement reste animée. Suzanne partage des anecdotes de son enfance à Hayange, et Monique raconte quelques moments cocasses avec ses fils. Thérèse et Francis écoutent avec attention, tandis que Quentin, Mathis et Yohan rient doucement en découvrant les souvenirs partagés.
Lorsque Claude et Tom reviennent, les bras chargés de sacs parfumés, une délicieuse odeur de coriandre, de citronnelle et d’épices emplit la pièce. La table est rapidement dressée, et chacun trouve sa place autour du festin improvisé.
Entre deux bouchées de nems, de bœuf lôc lac, de crevettes sauces piquantes, de riz cantonais, de nouilles sautées ou encore de porcs au caramel, la conversation s’intensifie. Suzanne pose des questions sur la vie de Monique, sur ses enfants, sur ses projets. Monique, de son côté, s’intéresse à la jeunesse de Thérèse et aux aventures de ses neveux. Les anecdotes fusent, entrecoupées de rires et de regards complices.
Quand le repas touche à sa fin, Suzanne prend la main de Monique dans la sienne, la serrant avec une douceur infinie.
— Je n’aurais jamais imaginé un tel bonheur. Ce soir, je me sens comblée, murmure-t-elle.
La soirée tire à sa fin, et la famille commence à prendre congé. Claude, toujours aussi chaleureux, leur adresse une invitation qui fait l’unanimité.
— Revenez aussi souvent que vous le souhaitez. Et puisque nous sommes une grande famille, je propose qu’on organise un prochain repas chez mes parents, à la ferme familiale à Fère-en-Tardenois. C’est un lieu parfait pour les grandes tablées, et ils seront ravis de vous accueillir.
Thérèse et Suzanne échangent un regard joyeux, visiblement enchantées par l’idée.
— Ce serait merveilleux, dit Suzanne avec un sourire.
Alors que la porte se referme doucement sur les derniers au revoir, Monique reste un instant silencieuse, observant l’appartement désormais calme mais empli d’un nouvel élan de vie. Claude s’approche et l’enlace tendrement.
— Ce soir, on a tous gagné quelque chose, souffle-t-il à son oreille.
Et Monique, le cœur enfin apaisé, hoche la tête en souriant. Ce soir, elle a retrouvé plus qu’une famille : elle a retrouvé une part d’elle-même.
Alors que la soirée se termine, Mathis s’approche de ses parents, légèrement hésitant :
— Je descends raccompagner Yohan, je reviens rapidement, promet-il.
Claude acquiesce d’un signe de tête, et Monique lui adresse un regard complice.
— Ne traîne pas trop, Mathis, dit-elle doucement.
Dans le hall de l’immeuble, le silence nocturne est seulement troublé par le bourdonnement léger des lumières. Une fois dehors, dissimulés dans un recoin, loin des regards, Mathis et Yohan s’arrêtent. Les deux jeunes hommes se tournent l’un vers l’autre, un mélange d’émotion et de tendresse illuminant leurs visages.
Sans un mot, ils s’enlacent, leurs corps cherchant le réconfort de l’autre après cette soirée riche en émotions. Le baiser qui suit est intense, sincère, rempli d’un amour qu’ils ne prennent pas la peine de cacher à cette heure tardive.
Yohan, espiègle mais visiblement touché par la soirée, murmure en posant son front contre celui de Mathis :
— Avec ta famille, on ne s’ennuie jamais ! Je t’aime, tu ne sais pas à quel point.
Mathis sourit, ses yeux pétillant de malice et de tendresse.
— Si, je le sais. Mais pas autant que moi je t’aime…
Yohan éclate de rire, un son léger qui résonne dans la nuit paisible.
— Ça, ça reste à voir, mon poussin, réplique-t-il avec un clin d’œil avant de capturer une dernière fois ses lèvres dans un baiser appuyé.
Ils se séparent à contrecœur, le regard plein de promesses et de douceur.
— Bonne nuit, Mathis, dit Yohan en reculant doucement, ses mains glissant des siennes.
— Bonne nuit, mon cœur. Fais de beaux rêves.
Yohan disparaît au coin de la rue, et Mathis reste un instant planté là, un sourire béat sur les lèvres. Puis, rassemblant ses pensées, il remonte vers l’appartement, prêt à retrouver le cocon chaleureux de sa famille, le cœur léger et débordant de bonheur.
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