62. Croix de bois, croix de fer.
Pendant ce temps, Mathis, le regard rempli de complicité, fait un signe discret à Yohan. Ils s’échappent doucement, se dirigeant vers un recoin plus tranquille de la ferme, loin des regards. Madeleine, qui a observé la scène avec un léger sourire, ressent un pic d’intrigue. Elle n’est plus la jeune femme d’autrefois, mais elle garde cette curiosité vive, presque juvénile, qui la pousse à en savoir plus.
Elle les suit discrètement, se faufilant entre les divers recoins de la ferme, jusqu'à la grange. Là, derrière les ballots de foin, elle découvre la scène inattendue : Mathis et Yohan, tendrement enlacés. Sans aucun doute, il y a de l’amour entre eux, et elle en a la confirmation quand Mathis dépose un baiser délicat sur les lèvres de Yohan.
Alors qu'un bruit de pas les surprend, les deux jeunes hommes, pris au dépourvu, se séparent brusquement dans un sursaut, leurs visages rouges de honte. Ils n’ont pas eu le temps de réagir, qu'une voix douce et sereine s’élève derrière eux.
— Ne vous inquiétez pas, je vous ai perçue depuis longtemps, dit Madeleine, avec un sourire qui dégage une étonnante compréhension. Vous êtes heureux, et c’est tout ce qui compte.
Mathis et Yohan, d’abord figés, échangent un regard confus, puis un soupir de soulagement. Madeleine ne semble pas choquée, mais au contraire, elle leur adresse sa bénédiction, comme si, depuis bien longtemps, elle avait perçu ce lien entre eux. Elle s’approche d’eux, et dans un élan de tendresse, déclare :
— Ce n’est pas une surprise, vous savez. Je suis plus moderne que vous ne le croyez. Elle sourit chaleureusement. L’essentiel, c’est que vous soyez heureux. Mais, mon petit Mathis, j’aimerais que tu sois prudent avec ton cœur. Le monde n’est pas toujours aussi ouvert qu’il le devrait.
Les deux jeunes hommes la regardent, émerveillés par sa sagesse et son accueil, leur nervosité s'évaporant lentement. Madeleine les rassure une dernière fois avec un regard plein de bienveillance, puis, dans un éclat de rire complice, elle leur dit :
— Allez, retournez à la fête, mes petits anges. Rien de mal à être un peu amoureux, surtout ici, aujourd'hui. Mais ne laissez pas vos cœurs courir trop vite, vous avez tout le temps pour cela.
— Attends, grand-mère, lance Mathis, j'aimerais tant que mes parents soient aussi ouverts que toi, mais j'ai peur qu'ils me rejettent.
— Attention à ce que tu dis, Mathis, réplique Madeleine en haussant légèrement les sourcils. C'est de ma fille que tu parles. Comment peux-tu imaginer, avec tout ce qu'elle a vécu, qu'elle puisse se comporter autrement ? Quant à ton père, je ne connais pas d'homme aussi délicieux après mon cher Paul.
Elle soupire doucement, son regard se faisant plus doux.
— Je comprends tes craintes, mon petit. Tu les aimes tellement que tu as peur de leur réaction, et c'est normal. Mais crois-moi, tu n'as rien à craindre. Je pense même, tout comme moi, qu'ils le savent déjà… Mais je ne te forcerais pas la main, c'est à toi de le leur dire, quand tu te sentiras prêt. D'ici là, tu peux compter sur moi pour garder ton secret.
Elle se fait une mine sérieuse et mime de se coudre les lèvres avec son doigt avant de déclamer d'une voix solennelle :
— Croix de bois, croix de fer, si je mens, j'irai en enfer...
Les trois complices éclatent alors de rire, et l’atmosphère se détend dans une complicité touchante et pleine de tendresse.
Elle leur adresse alors un clin d’œil, et se dirige ensuite vers la maison. Mathis et Yohan échangent un regard et un sourire timide, avant de retourner vers les invités, leur complicité intacte, mais désormais partagée, acceptée.
La fête bat son plein, les éclats de rire se mêlant aux murmures des conversations qui vont bon train, tandis que les plats se vide remplissant parfaitement leur promesse de délices. La lumière douce de l’après-midi illumine la scène tandis que Marie, un sourire espiègle aux lèvres, attire l'attention de tous en frappant sa fourchette contre sa flûte de champagne. L’éclat métallique résonne dans l'air, et tout le monde se tourne vers elle, intrigué.
— Mes chers invités, dit-elle avec un petit clin d'œil, je vous invite à prêter attention à cette table.
Tous les intérêts se portent sur l’endroit où la grande table a été soigneusement dissimulée sous un drap blanc. Monique et Jeanne, intimidées par tous ces regards braqués dans leur direction, s’approchent du voile, et d’un geste précis, elles le retirent lentement, révélant un spectacle digne des plus beaux rêves gourmands.
Sous les yeux ébahis des invités, une farandole de desserts, tous plus appétissants les uns que les autres, se dévoile. Leurs couleurs chatoyantes et leurs formes irrésistibles font naître des murmures émerveillés parmi les convives.
Il y a d'abord une montagne de tartes aux fruits rouges, la pâte dorée et légèrement caramélisée, chaque part généreusement garnie de framboises, de mûres et de groseilles, leur couleur éclatante contrastant avec la crème pâtissière onctueuse qui les enveloppe. À côté, se dresse un gâteau au chocolat d’un brun profond, sa surface lisse et brillante, accompagné d’une crème anglaise vanillée qui fait saliver rien qu’en y pensant. Puis, un clafoutis aux cerises, une tarte au citron meringuée, un grand baba au rhum, débordant de sirop parfumé et surmonté d’une crème chantilly aérienne, se dressent fièrement au centre de la table ou encore une grande charlotte aux fraises du jardin promettant une explosion de parfums.
Les yeux de tous se posent ensuite sur une forêt noire dont chaque bouchée devrait être un délice sucré et fruité. Un peu plus loin, un gâteau renversé à l'ananas, caramélisé à la perfection, une série de profiteroles garnies de crème pâtissière à la vanille, des éclairs au café, d’une finesse incroyable, des madeleines au miel attendent également sur une jolie étagère et enfin une charlotte au chocolat réalisés avec des biscuits roses de Reims, comme une invitation à la gourmandise.
Chaque dessert est une tentation, une gourmandise. Les enfants se précipitent vers la table, une explosion de couleurs et de saveurs qui les émerveille tous. Monique, Jeanne et Marie se tiennent en retrait, échangeant un regard satisfait, fières de cette œuvre collective. C’est un véritable banquet de douceurs, un festin pour les yeux et les papilles, où chaque bouchée semble effacer les traces du passé et nourrir les espoirs de l’avenir.
Pour accompagner divinement ces mets délicieux, Jacques, Claude, Lucien et Charles s'activent autour de la table, veillant à ce que chaque convive soit parfaitement servi. Avec une élégance tranquille, ils servent le champagne, frais et pétillant, dont les bulles légères apportent une touche d’effervescence à cette célébration festive.
Alors, Tom, accompagné de Juliette, se dirige vers les platines. Avec un geste sûr, il lance la musique, le vinyle crachant ses premières notes, plongeant immédiatement la cour dans une ambiance électrique. L'avantage de cette grande ferme isolée, loin de toute nuisance urbaine, c'est que personne ne viendra se plaindre du bruit.
Alors, sans hésitation, il monte le son, les basses résonnant dans les murs et les vibrations parcourant le sol comme un appel irrésistible à la danse. Il commence par une chanson dynamique, un classique des années 80, qui fait vibrer les premières notes dans l’air. Ses doigts dansent sur les platines, ajustant le tempo et les transitions avec une aisance déconcertante. Les invités, attirés par la musique entraînante, se tournent les uns vers les autres avec une forme d'impatience. Qui osera se lancer en premier ?
Tom, tout en jouant les DJ, invite les gens à se lever, à laisser leurs pieds suivre le rythme. Il tend un micro vers Monique et Claude, les deux protagonistes du jour.
— Allez, tout le monde sur la piste, la fête ne fait que commencer ! L'énergie monte instantanément. Les premières danseuses et danseurs se lancent, virevoltant dans des pas de danse spontanés, animés par la joie et l'excitation de ces retrouvailles. Suzanne, riant aux éclats, entraîne Madeleine dans un ballet endiablé, tandis que Marie, un verre de champagne toujours en main, se déhanche avec une énergie retrouvée, plus jeune que jamais.
Les lumières des lampions, tamisées par la douceur du soir, éclairent les visages radieux, et les rires se mêlent à la musique. Chaque chanson semble choisir son propre moment magique. Le dancefloor est envahi par des couples, des amis et même les adolescents qui, oubliant un instant leur timidité, se laissent emporter par la cadence. Puis, comme un clin d’œil au passé, Tom lance un morceau plus calme, une ballade intemporelle qui incite à l’étreinte, et les jeunes couples s’approchent, leurs corps se rapprochant naturellement, se balançant lentement au rythme de la musique.
— N’ayez crainte, l'aventure commence à peine! lance Tom dans le micro en riant, alors que tout le monde s'éclate dans cette atmosphère intime mais joyeuse, où les souvenirs se mêlent aux nouveaux liens qui se tissent sous la magie de la musique.
La musique s'intensifie et prend de l’ampleur à chaque chanson, la soirée gagnant en chaleur et en énergie. Tom, toujours aux commandes, jongle habilement entre les genres, passant d’un rythme entraînant à des morceaux plus lents pour laisser place à des moments d’intimité, tout en veillant à maintenir une ambiance légère et festive.
Juliette, tout sourire, se joint à lui près des platines, ses yeux brillants d'excitation. Elle se laisse entraîner dans l’ambiance, à la fois spectatrice et actrice de ce moment unique, voyant sa famille et ses amis s'abandonner à la fête. Tom, toujours aussi énergique, joue avec les foules, leur offrant des transitions habiles, des souvenirs et des moments à savourer.
Les danseurs se lancent dans des figures improvisées, certains osent des pas de danse effrénés, tandis que d'autres restent proches, se murmurant des mots doux dans une danse plus intime. Monique et Claude se retrouvent au centre de la piste, unis par un regard qui en dit long sur cette journée de réconciliation et de joie. Leurs visages illuminés, ils se laissent emporter par la magie du moment, les bras l’un autour de l’autre.
Madeleine, qui n’a plus l’âge de ses premières danses, retrouve une jeunesse d’esprit et de cœur, l'extase dansant sur son visage tandis que Suzanne, plus réservée de nature, se laisse entraîner dans cette joie collective.
À chaque morceau, les sourires deviennent plus grands, les gestes plus libres. Personne ne s'en soucie, la fête va de l’avant. Même les plus timides, les plus réservés, sont attirés par l’énergie contagieuse qui flotte dans l’air. Les tables sont maintenant vidées de leurs mets, et les convives ont laissé de côté les plats pour se laisser emporter par la danse, oubliant la fatigue du jour et les soucis passés.
Puis, comme un dernier clin d’œil, Tom choisit un morceau particulièrement nostalgique, un hymne intemporel qui rappelle à chacun les moments précieux partagés, les souvenirs enfouis dans le fond du cœur.
— Je veux voir tout le monde ! s’écrie Tom, avec son sourire espiègle, une touche d'humour dans la voix, tandis que les derniers invités se précipitent sur la piste de danse. L’énergie est électrique, une vague de joie déferle sur la ferme des Durieux, implacable et débridée, comme un souffle de liberté. Rien ne semblait pouvoir la stopper.
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