YOHAN.

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Le temps s'écoule, paisible, et Mathis, en grandissant, s'ancre doucement dans sa vie, entre sa famille, ses amis et les découvertes de soi qui jalonnent son parcours. Les souvenirs de son enfance s'effacent lentement, engloutis par le flot incessant des nouvelles expériences et des moments partagés. Il vit dans un équilibre tranquille, entouré des mêmes visages depuis des années, ses amis qui l’ont vu changer et qui restent les témoins constants de sa vie. Rien ne semble pouvoir troubler cet ordre, cet équilibre rassurant.

Mais tout bascule avec la rentrée de troisième. Ce matin-là, la cour de récréation est remplie de rires et de bavardages, des souvenirs d'été se mélangent aux éclats de voix. Mathis se fond dans la foule, heureux de retrouver ses camarades, sans savoir que cette journée sera marquée par une rencontre qui va tout changer. Alors qu'il s'apprête à entrer en classe, une silhouette capte soudainement son attention.

Un garçon qu'il ne reconnaît pas se tient là, juste à l’entrée de la salle, seul. Il semble observer la scène avec une distance qui intrigue, ses yeux filtrant chaque détail de la pièce, cherchant peut-être à s’approprier cet espace qu’il vient de pénétrer. Les murmures commencent à se propager, et rapidement, tous les regards se tournent vers lui. Mathis sent une curiosité naître en lui, un besoin de savoir ce que cache ce visage inconnu, de comprendre ce que cet étranger va apporter à son monde déjà bien établi.

Les élèves sont tous installés, prêts à débuter la journée. Mais Mathis, comme figé, se retrouve à s'installer plus tard que d'habitude, seul à une table au fond de la classe, une place qu'il n’a pas l’habitude de prendre. D’habitude, il s'assoit auprès de ses amis pour échanger quelques mots, mais aujourd’hui, il est déstabilisé, emporté par cette présence nouvelle.

Le garçon pénètre lentement dans la classe, et dès qu'il franchit le seuil, un silence étrange envahit la pièce. Les conversations s’éteignent instantanément, comme si l’air lui-même retenait son souffle. Tous les regards convergent vers lui. Mathis, le cœur battant plus fort, observe cette réaction. Quelque chose a changé dans l’air, une tension, une alchimie nouvelle. Il comprend alors que cet instant est marquant, que quelque chose s’est joué.

Il est impossible de détourner les yeux de ce garçon. Ses cheveux bruns, parfaitement coiffés, tombent sur son visage avec une fluidité parfaite, encadrant une peau mate, d'une douceur presque irréelle. Sous la lumière, elle semble rayonner, éclatante et parfaite. Mais ce qui frappe le plus, ce sont ses yeux. D’un brun profond, presque noir, ils captivent instantanément, comme une profondeur insondable qui dépasse tout ce qu’il pourrait exprimer avec des mots. Leur intensité est magnétique, et le regard qui s’y plonge semble envoûter quiconque ose le croiser. Chaque mouvement de son visage paraît minutieusement étudié, comme si sa simple présence suffisait à créer une aura mystérieuse, presque irréelle.

Mathis frissonne, un frisson qui parcourt son échine, une sensation étrange qui lui serre le cœur. Ce trouble n’est pas sans rappeler ce qu’il avait ressenti à Megève, ce premier regard échangé avec Evan… Ce garçon est calme, sûr de lui, d’une beauté saisissante. Il n'est pas simplement beau, il est hypnotisant. Une beauté rare, une présence envoûtante. Sa bouche, légèrement charnue, ajoute une touche de sensualité à son visage, douce mais affirmée, presque irréelle dans sa perfection.

Il porte un bermuda noir, coupé juste au-dessus du genou, laissant entrevoir des jambes fines et musclées, impeccables. Ses souliers vernis, d’un éclat parfait, et ses chaussettes noires remontées juste sous le mollet, témoignent d’un souci du détail presque obsessionnel. Et cette chemise blanche, soigneusement repassée, sous un pull bleu marine qui épouse ses formes avec élégance, semble irréellement bien agencée, d’une simplicité calculée mais d’une perfection indéniable. Chaque mouvement de son corps, chaque détail de son allure, témoigne d’une maîtrise parfaite, d’un équilibre subtil entre élégance et sobriété.

Mathis se sent soudainement tout petit, écrasé par cette beauté trop grande, par cette présence écrasante. Ce garçon n’appartient ni à ce monde, ni à aucune autre catégorie qu’il peut comprendre. Il semble flotter au-dessus de tout ça, hors de portée, et Mathis se demande qui il est réellement. Pourquoi cet instant, ce regard, cette rencontre, semblent-ils déjà lourds de sens, comme un tournant qu’il n’avait pas vu venir ?

Le mystère reste intact, mais une certitude s’impose avec une force sourde dans l’esprit de Mathis : quelque chose d’essentiel, d’indélébile, vient de se jouer. Il n’y a plus de retour en arrière possible. Le monde s’est légèrement incliné, et il le sent au plus profond de lui. Ce garçon, ce regard, cet instant… Ils sont désormais inscrits dans sa mémoire, gravés comme une première fissure dans l’édifice tranquille de sa vie.

C’est à ce moment précis que la porte s'ouvre brusquement, et M. Grignon, le professeur, entre dans la salle. Son regard impérieux balaie l’espace, et le silence se fait instantanément, comme si la pièce tout entière se soumettait à sa présence. D’un simple geste de la main, il ordonne à chacun de s'installer. Les bruits de chaises qui grincèrent, les murmures étouffés s’apaisent en un instant. Mathis, perdu dans ses pensées, s’assoit seul à sa table, encore secoué par cette rencontre qui l’a frappé plus fort qu’il ne l’aurait imaginé.

M. Grignon, d’une voix calme mais ferme, annonce la présentation du nouvel élève.

— Voici Yohan, dit-il en désignant le jeune garçon debout devant la classe.

Yohan sourit légèrement, mais son assurance naturelle fait toute la différence. Il est déjà là, ancré dans ce lieu, même si tout est encore nouveau pour lui.

Le professeur scrute la salle, cherchant une place, et ses yeux se posent sur celle à côté de Mathis.

— Yohan, va t’asseoir à côté de Mathis, ordonne-t-il d’un geste fluide. La phrase résonne dans l’air comme une commande. Mathis, pris de court, regarde en biais alors que Yohan s’approche. La nervosité se mêle à une curiosité insatiable, et leur regard se croise brièvement. Un instant suffisant pour que quelque chose d’invisible se tisse entre eux. Comme une connexion, un lien électrisant qui s’établit dans un silence imperceptible, mais tellement présent.

Yohan s’assoit, l’atmosphère autour d’eux semble changer. Mathis, presque inconsciemment, prend une profonde inspiration. Il se sent vulnérable sous ce regard neuf. Yohan, lui, observe Mathis sans fausse pudeur. L’élégance tranquille de ce dernier ne lui échappe pas. Il est grand, finement musclé, un physique à la fois gracieux et athlétique. Ses cheveux blonds, ondulés, semblent capturer la lumière de la salle, tandis que ses yeux d’un bleu perçant, presque irréel, captivent sans effort. La peau de Mathis, douce, constellée de petites taches de rousseur, confère à son visage un air d’ange, mais aussi un mystère qu’il ne peut s’empêcher de percevoir.

Yohan sait ce qu’il ressent, il connaît ce frisson qui parcourt l’échine, ce trouble qu’il tente de réprimer. Mathis, sans le savoir, incarne pour lui l’image même de la beauté pure, de cette innocence naïve et envoûtante, à la fois fragile et éclatante de vérité. Un jeune éphèbe, pensait-il, et il n’y a pas de mot plus juste pour décrire ce qu’il ressent.

Le cours s'étire dans une sorte de torpeur, chaque seconde semble se prolonger, suspendue dans l’air, lourde et interminable. Le regard de Mathis erre parfois sur le tableau, mais c’est le visage de Yohan qui hante ses pensées, une présence invisible mais saisissante. Il ne comprend pas pourquoi, mais quelque chose dans l’attitude de ce garçon, dans sa manière d’être là sans vraiment être là, capte son attention. Les minutes s’écoulent, sans hâte, mais comme si l'heure elle-même se refusait à filer.

Enfin, la sonnerie retentit. Les élèves se lèvent d’un même mouvement, brisant le silence. Mathis, déjà prêt à s'éclipser, se dirige vers la porte, mais avant qu’il n’ait fait le moindre pas, il remarque que Yohan, resté quelques instants en arrière, semble prendre son temps pour ranger ses affaires, chaque geste mesuré, comme si rien n’était pressé, comme si chaque seconde comptait. Puis, sans crier gare, Yohan se lève à son tour et, d’un mouvement rapide, saisit délicatement le poignet de Mathis. Ce contact, aussi bref soit-il, fait naître un frisson inattendu le long de sa peau.

— Mathis, c’est bien ça ? demande Yohan, sa voix grave résonnant dans la pièce presque vide. Le ton est simple, mais il porte en lui une profondeur étrange, comme si cette question recelait quelque chose de plus.

Mathis se fige un instant, surpris par cette attention soudaine. Un sourire étire ses lèvres, mais il est à la fois forcé et hésitant. Une chaleur sourde l’envahit, quelque chose de nouveau, d’ambigu, qu’il ne parvient pas à définir. Il aurait voulu se dégager de ce contact, mais il se rend compte qu’une part de lui, sans qu’il ne l’admette, en est légèrement apaisée. Il aurait voulu répondre avec légèreté, mais les mots se coincent dans sa gorge.

— Oui, c’est bien mon prénom, finit-il par dire, sa voix plus douce qu’il ne l’aurait voulu.

Yohan l’observe sans détourner les yeux, et dans cette intensité silencieuse, Mathis sent la tension monter en lui, un mélange de curiosité et de malaise, mais aussi une attirance naissante qu’il peine à comprendre.

D’un ton léger, presque confiant, Yohan poursuit :

— Je suis nouveau… tu pourrais m’attendre et me montrer les lieux, s’il te plaît ?

La question est simple, mais derrière l’apparente innocence de la demande, il y a une sorte de charge électrique, une invitation déguisée, que Mathis capte sans vraiment la comprendre. Ses lèvres se veulent détendues, mais l’agitation qu’il ressent se lit dans la subtilité de son sourire.

— Bien sûr, considère que tu as le meilleur guide qu’il te fallait, répond-il, mais sa voix tremble légèrement, trahissant un trouble qu’il n’a pas voulu laisser transparaître. Son sourire, pourtant, s’élargit. Une chaleur inexplicable s’installe entre eux, une complicité naissante qui ne se dit pas, mais qui se ressent. Un fil invisible, fragile, mais déjà palpable.

Il ne sait pas pourquoi il a répondu ainsi. Ce n’est pas simplement une question de politesse. Il ressent le poids de la proposition, de ce moment suspendu. Et il sent, au fond de lui, qu’il n’en sortira pas indemne.

Ce simple échange, léger en apparence, devient la pierre angulaire d’une relation naissante. C’est comme si quelque chose d’impalpable les avait rapprochés, une complicité en germe. Mathis est intrigué, amusé, curieux. Ce rôle de guide lui sied à merveille, mais au fond, il sait que ce n’est pas juste une simple invitation à découvrir le collège. C’est le début de quelque chose de plus grand, de plus profond.

À la sortie, alors qu'ils se retrouvent devant les grilles du collège, la soirée s'étend doucement, baignée par une lumière dorée encore persistante. Les dernières heures de l'après-midi s'effacent lentement, mais il fait encore chaud, presque comme si l'été s'accrochait encore un peu. Les deux garçons, malgré la fin de la journée, ne semblent pas pressés de se séparer. La conversation, fluide et sincère, les rapproche encore à chaque mot échangé.

— Au fait, tu habites dans quel coin ? demande Yohan, la curiosité dans sa voix.

Mathis, tout en souriant, répond naturellement :

— Pas bien loin d'ici, à quinze minutes à pied le long du canal. Je vis dans les immeubles face au centre social Saint-Rémi.

Le sourire de Yohan devient plus large, une lumière joyeuse dans ses yeux.

— C’est pas vrai ! J’habite juste en face, dans la grande tour de la rue Tournebonneau !

Ils échangent un regard complice, amusés par la coïncidence. Mathis, les yeux pétillants d'amusement, réplique, la voix légère :

— C’est cool ! Si tu veux, on peut faire le chemin ensemble.

Yohan secoue doucement la tête, un sourire malicieux aux lèvres.

— Désolé, j’attends mon père. Il vient me chercher dans une vingtaine de minutes après le boulot, je ne connais pas encore bien le quartier. J’avais peur de me perdre, dit-il en riant légèrement.

Puis, une idée lui traverse l'esprit. Ses yeux s’éclairent d’une lueur espiègle.

— Mais j’y pense… tu pourrais attendre avec moi ? Mon père pourra te ramener si tu veux !

Mathis, un peu surpris mais ravi par cette proposition, accepte volontiers, se disant qu’il est toujours agréable de prolonger une conversation qui s’annonce intéressante.

Les deux garçons se dirigent alors ensemble vers le coin où Yohan attend son père. Ils échangent, rigolent, se racontent des anecdotes comme s’ils se connaissaient depuis des années. Yohan sort son Walkman et partage avec Mathis un morceau de "Children" de Robert Miles. Le rythme électronique, à la fois hypnotique et mélancolique, accompagne leurs premiers moments passés ensemble, renforçant cette complicité naissante.

Un peu plus tard, la voiture d'Yves, le père de Yohan, arrive. Elle s’arrête près des grilles du collège, une Audi A4 noire, brillante sous la lumière d’un soir encore lumineux. Yohan grimpe dans la voiture et, avant de fermer la portière, il se penche vers son père pour lui présenter Mathis.

— Papa, je te présente Mathis, un copain de classe. Il habite juste en face, et je me demandais si on pouvait le déposer ?

Yves, après avoir observé Mathis avec un regard chaleureux, hoche la tête, un sourire bienveillant sur les lèvres.

— Bien sûr, mon garçon. Monte à l’arrière, Mathis. On te dépose en chemin.

Les deux garçons échangent un sourire complice, heureux de prolonger encore un peu leur rencontre, avant de monter dans la voiture. Ensemble, ils reprennent la route, tandis que la lumière du soir continue de s’étirer, douce et chaleureuse, enveloppant la scène.

Avant de se quitter, ils se donnent rendez-vous pour le lendemain matin, devant l’immeuble de Mathis. Ils décident de faire le chemin de l’école ensemble, et chaque jour qui suit, ils partagent des anecdotes, des rires, et des projets pour l’avenir. Un jour, sous une averse surprise, ils s'abritent sous un petit parapluie, tous deux trempés mais riant, heureux de ce moment simple et partagé.

Peu à peu, leurs journées sont marquées par ces instants à deux. Les deux garçons, brillants dans toutes les disciplines, n’ont pas besoin de se retrouver pour travailler, car leurs talents se suffisent à eux-mêmes. Mathis excelle aussi bien en sciences qu’en lettres, et Yohan, tout aussi doué, maîtrise les matières littéraires tout autant que les domaines scientifiques. La frontière entre leurs compétences est floue, mais ils s’en servent pour s'inventer un faux prétexte : celui de s’entraider.

Après l’école, ils passent du temps ensemble pour leurs devoirs, mais ces moments se transforment rapidement en jeux et taquineries, rendant chaque instant partagé encore plus précieux. Ils découvrent combien ils se complètent, et la complicité qui naît entre eux devient chaque jour plus forte.

Aucun d’eux ne sait encore ce que cette relation signera dans leur vie, mais une chose est certaine : ce début d’histoire, fragile mais inévitable, les marquera pour longtemps.

Peu à peu, leurs journées sont marquées par ces instants à deux. Les deux garçons, brillants dans toutes les disciplines, n’ont pas besoin de se retrouver pour travailler, car leurs talents se suffisent à eux-mêmes. Mathis excelle aussi bien en sciences qu’en lettres, et Yohan, tout aussi doué, maîtrise aussi bien les matières littéraires que les domaines plus techniques. La frontière entre leurs compétences est floue, mais ils s’en servent pour s'inventer un faux prétexte : celui de s’entraider.

Après l’école, ils passent du temps ensemble pour leurs devoirs, mais ces moments se transforment souvent en jeux et taquineries, rendant chaque instant passé ensemble encore plus précieux. Ils découvrent ainsi combien ils se complètent, et la complicité qui naît entre eux devient chaque jour plus forte.

L'examen du brevet de français approche à grands pas, et Mathis sent son stress monter en flèche alors qu'il parcourt ses notes une dernière fois. Yohan, qui remarque l'anxiété de son ami, s'approche avec un sourire rassurant.

— Tu vas gérer, Mathis. T'es prêt, t'as bossé pour ça, lui dit Yohan en posant une main encourageante sur son épaule.

— Merci, Yohan, mais je stresse quand même... répond Mathis, tentant de sourire malgré son stress.

Le jour de l'examen arrive, et Yohan est à ses côtés, installés dans la salle, ils attendent que le professeur arrive. Son soutien silencieux est palpable, et ça aide Mathis à se calmer. Pendant l'épreuve, Mathis se souvient des paroles de Yohan, ce qui lui permet de se concentrer davantage sur son travail. De temps en temps, ils se cherchent du regard comme pour se donner de bonnes ondes.

Puis, c’est au tour de Yohan de stresser pour l'examen de mathématiques. Mathis, après avoir partagé les révisions intensives de son ami, ne manque pas de l’encourager.

— T'inquiète, tu maîtrises, Yohan. Tu es plus que prêt pour ça.

— Merci, mec. C'est rassurant de t'entendre. Yohan sourit, motivé par le soutien de son ami.

Les deux garçons s’entraident ainsi au quotidien, traversant les défis de la vie scolaire et personnelle avec un soutien mutuel. Ils vont à la salle de sport ensemble après les cours, se lançant des défis physiques, mais aussi se soutenant dans les moments de fatigue ou de doute. Mathis se souvient de la fois où Yohan a presque abandonné un défi de sprint pendant leurs entraînements.

— Allez Yohan, tu peux le faire ! lui a crié Mathis, un sourire plein de détermination sur son visage. Cette simple parole de soutien a suffi pour que Yohan se dépasse.

Ces moments d’encouragements et de soutien sont devenus une seconde nature pour eux, leur permettant de se motiver mutuellement à chaque étape de leur parcours. Leur amitié s'en trouve renforcée à chaque épreuve traversée ensemble. Leurs liens sont solides, basés sur une confiance absolue, et ils savent qu'ils peuvent toujours compter l'un sur l'autre.

Les rentrées s’enchaînent, et en seconde, le destin semble leur sourire : Mathis et Yohan se retrouvent dans la même classe, la fameuse seconde 6. Ce nouveau chapitre, marqué par le passage au lycée, leur ouvre les portes d’un monde où la liberté prend un tout autre sens. Fini le collège avec ses couloirs étroits et ses surveillants omniprésents. Au lycée, ils découvrent un espace où tout semble possible, un endroit où l’on commence à exister autrement, à la fois individuellement et au sein du groupe.

Cependant, tout n’est pas parfait. Dès les premiers jours, la cantine devient un sujet de railleries. « Catastrophique » est encore un compliment pour qualifier ce qu’on leur sert. Ni Mathis ni Yohan ne sont particulièrement difficiles, mais là, c’est au-delà de leurs limites. Leurs plateaux à peine touchés, ils adoptent vite une nouvelle routine : acheter des sandwiches à la boulangerie en face et improviser des pique-niques. Par temps froid ou pluvieux, ils s’installent dans un coin reculé des couloirs du lycée, riant des allées et venues autour d’eux. Quand le soleil se montre, l’herbe autour de la piste d'athlétisme devient leur cantine de fortune. Leurs rires y résonnent, éclatants, tandis qu’ils refont le monde entre deux bouchées, complices dans cette nouvelle vie.

Peu à peu, leur lien se renforce. Mathis et Yohan deviennent inséparables, comme deux pôles d’un même aimant. Ils ne peuvent plus réfléchir l’un sans l’autre, leurs pensées s’entremêlant comme des fils invisibles. Après les cours, bien qu’ils aient fait le chemin ensemble, la séparation leur est insupportable. À peine la porte franchie, Mathis monopolise la ligne fixe familiale. Les appels s’enchaînent sous des prétextes parfois ridicules : vérifier les devoirs, décider à quelle heure partir le lendemain – toujours la même, pourtant. Les conversations s’étirent interminablement, avec des silences qui pourraient sembler gênants à d’autres, mais qui, pour eux, sont juste une autre façon d’être ensemble.

Le lycée, c’est aussi l’âge des premières amours pour leurs camarades. Les couloirs bruissent des récits de flirts naissants et des rêves avoués à demi-mot d’un baiser échangé avec telle fille de la classe d’à côté. Mais pour Mathis et Yohan, ces histoires sont des bruits lointains, presque insignifiants. Leur obsession à eux, c’est leur amitié, un lien si fort qu’il semble éclipser tout le reste. Ils se soutiennent dans les moments difficiles, se confient des secrets et partagent des fous rires jusqu’à en avoir mal au ventre.

Un jour, lors d’un exposé d’histoire, Mathis panique à l’idée de prendre la parole devant la classe. Yohan, assis à côté, lui glisse une petite note griffonnée :

— Pense que je suis là, ça suffit.

C’est tout, mais ça marche. Mathis inspire profondément et trouve la force de se lever. Leur complicité est si naturelle qu’elle devient un socle, une évidence. Une force tranquille dans ce monde en pleine mutation qu’est l’adolescence.

Leurs habitudes au lycée, leurs pique-niques improvisés, leurs longues discussions au téléphone et leur insouciance créent une bulle où rien ne peut les atteindre. Ils avancent ensemble, inséparables, deux jeunes garçons liés par une amitié qui semble défier le temps, l’école, et peut-être même la vie elle-même.

En classe de première, un coup dur les frappe de plein fouet : pour la première fois, Mathis et Yohan ne sont pas dans la même classe. Mathis est en 1S2, Yohan en 1S3. La nouvelle tombe comme un couperet dès le jour de la rentrée.

— On aurait pu demander une dérogation, non ? souffle Yohan, un brin amer, en feuilletant la liste des classes affichée dans le hall.

— T’inquiète, on trouvera un moyen, réplique Mathis avec un sourire forcé, mais son regard trahit une déception qu’il n’arrive pas à cacher.

Leurs chemins se séparent dans les couloirs, mais leurs cœurs restent entremêlés. Pourtant, cette distance imposée met leur complicité à rude épreuve. Chaque instant partagé devient précieux, comme une bouffée d’air qu’ils s’accrochent à respirer.

Leurs emplois du temps quasi identiques deviennent leur planche de salut : le matin, celui qui commence plus tard fait l’effort de partir tôt, juste pour partager les trente minutes de marche jusqu’au lycée. Ces moments volés à l’agitation de la journée deviennent sacrés, une parenthèse où ils peuvent être simplement eux-mêmes.

Un matin brumeux de novembre, alors qu’ils remontent une avenue bordée d’arbres aux feuilles rouillées, Yohan s’arrête soudain. Il pose une main sur l’épaule de Mathis, les yeux graves.

— Sérieusement, qu’est-ce qu’on ferait si un jour on n’avait plus ça ?

Mathis le fixe, presque choqué par l’idée, puis secoue la tête.

— Pas possible, dit-il avec une certitude implacable. Même si tu devais déménager, je viendrais te chercher tous les matins.

Yohan rit doucement, mais ses yeux s’embuent, et il détourne la tête. Cette pensée le serre au cœur, un aperçu furtif d’un monde sans Mathis qu’il refuse de contempler.

L’après-midi, lorsqu’un termine plus tôt, il attend l’autre en salle d’étude, gribouillant dans un carnet ou s’acharnant sur un devoir. Les surveillants, amusés par leur assiduité inhabituelle, s’autorisent quelques plaisanteries.
— Mathis, encore fidèle au poste ? Tu veux qu’on te réserve une place à vie ici ? lance une surveillante avec un sourire moqueur.

— Peut-être bien, répond Mathis en haussant les épaules. L’étude, c’est presque mon deuxième chez-moi.

Cependant, le mardi après-midi devient une faille béante dans leur planning. Mathis termine à 12h, tandis que Yohan reste coincé jusqu’à 17h. Ce mardi-là, après un déjeuner rapide chez lui, Mathis décide de profiter du beau temps printanier pour aller courir au parc Léo.

— Si tu veux, passe me voir après les cours, propose-t-il le matin même. Je serai là-bas.

Yohan en est d'accord, mais l’après-midi tourne autrement...

Pendant ce temps, Mathis patiente longuement au parc, terminant sa course avant de s’installer sur un banc. À 19h30, inquiet de l’absence inhabituelle de son ami, il finit par rentrer chez lui.

À peine arrivé, il décroche le combiné du téléphone familial et compose le numéro de Yohan.

— Alors, tu t’es transformé en fantôme ou quoi ? commence-t-il sur un ton faussement de reproches.

— Désolé, répond Yohan, la voix faible. J’avais une migraine de folie, j’ai dû rentrer direct.

— Ah, j’espère que ça va mieux ?

— Ouais, l’aspirine a fait son job.

Mathis soupire, soulagé.

— Bon, tant que t’as pas fait exprès de m’oublier…

Ces rendez-vous manqués, bien que rares, laissent une ombre, un rappel silencieux de l’éloignement. L’amitié survit, mais elle en paie le prix. Les parents, eux, commencent à remarquer l’explosion de la facture téléphonique. Les deux garçons passent des heures au téléphone, rattrapant le temps perdu.

— Mathis, tu crois qu’on est Rothschild ? s’énerve un soir son père en agitant la facture. 850 francs de téléphone ce mois-ci !

— Je… c’est pour les devoirs, balbutie Mathis.

— Les devoirs ? Et moi, je travaille pour toi peut-être ?

Malgré les obstacles, la lumière revient enfin. En terminale, la vie leur offre une revanche : Mathis et Yohan se retrouvent dans la même classe, la TS2. C’est une délivrance, un énorme soulagement. À nouveau côte à côte en cours, dans la cour et sur le chemin du retour, ils retrouvent leurs habitudes. Mais quelque chose a changé. L’épreuve les a marqués, leur montrant à quel point leur lien est précieux surtout lorsque la vie les éloigne.

Après les montagnes russes émotionnelles de la première, leur amitié se montre plus solide que jamais. Ils savent désormais que leur complicité sera soumise à des épreuves, mais ils sont prêts à tout pour la préserver, peu importe ce que l’avenir leur réserve.

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