Franchir un CAP.

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Les semaines passent, et les liens entre Mathis et Yohan continuent de se resserrer. Au lycée, ils sont inséparables. Leur complicité, naguère évidente et sans équivoque, prend une densité nouvelle. Quelque chose est en train de changer, mais aucun des deux n’ose encore le nommer.

Un après-midi, après une séance de sport particulièrement éprouvante, ils s’effondrent côte à côte sur les bancs du gymnase. Leurs souffles courts emplissent l’espace, leurs corps épuisés marquent une trêve bienvenue.

— Tu gères, Yohan, t’es impressionnant, lance Mathis, la voix encore haletante. La sueur perle sur son front, et son sourire sincère illumine son visage.

— C’est grâce à toi, mec, tu m’as poussé à tenir, répond Yohan en riant doucement. Mais, sérieux vingt-deux tours de pistes en endurance, t'es un grand malade, c'est une sacré performance.

Mais dans son rire, il y a une nuance, une ombre imperceptible. Ses yeux cherchent ceux de Mathis, et ce qu’il y laisse entrevoir dépasse de loin la simple gratitude. Une reconnaissance, oui, mais aussi une intensité nouvelle, troublante.

Ils se regardent, et le silence qui s’installe n’a rien d’innocent. Mathis sent une chaleur monter en lui, un mélange de gêne et d’excitation qu’il n’arrive pas à chasser. Il est pris au dépourvu par l’éclat dans les yeux de Yohan, un éclat qu’il ne sait pas interpréter, mais qui semble le retenir en place.

Le temps semble ralenti. Mathis voudrait détourner le regard, briser cette tension étrange, mais il n’y parvient pas. C’est comme si quelque chose d’invisible le liait à Yohan à cet instant, quelque chose qu’il ne comprend pas encore, mais qui le fascine autant qu’il l’effraie.

— On rentre direct chez moi ou tu repasses chez toi avant ? demande Yohan, rompant enfin le silence, mais sa voix est plus grave qu’à l’accoutumée, presque hésitante.

Mathis sursaute légèrement, ramené brusquement à la réalité.
— Je vais rentrer prendre une douche et chercher des affaires avant de te rejoindre, répond-il rapidement. Mais… c’était bien, aujourd’hui. C’est toujours sympa … de passer du temps avec toi.

Il baisse les yeux en terminant sa phrase, le cœur battant. Les mots sonnent simples, mais ils portent un poids qu’il ne voulait pas leur donner. Pourquoi a-t-il dit ça ? Il ne sait pas, et pourtant, il le pense sincèrement.

Un silence plane à nouveau, mais cette fois, Yohan ne le brise pas. Il se contente de hocher la tête avec un sourire discret, presque imperceptible. Puis il se lève brusquement.

— Bon, je vais y aller. Alors, on se voit tout à l’heure, dit-il.

Mathis reste assis, surpris. Ils font toujours le chemin du retour ensemble, c’est une règle tacite, une habitude immuable. Mais pas aujourd’hui.

— Tu… tu veux qu’on rentre ensemble ? propose Mathis, sa voix teintée d’un léger désarroi.
— Non, c’est bon. Je dois passer chez moi aussi, répond Yohan sans le regarder.

Mathis reste figé sur le banc, le cœur serré sans qu’il sache vraiment pourquoi. Il observe Yohan s’éloigner, ses gestes brusques, comme s’il fuyait quelque chose. Ce n’est qu’une séparation anodine, mais cela n’a rien d’anodin pour Mathis.

Sur le chemin du retour, il marche seul pour la première fois depuis des mois. L’absence de Yohan à ses côtés se fait presque douloureuse, comme un vide qu’il ne parvient pas à combler. Les bruits familiers de la rue, les voix des passants, tout semble lointain. Sa bourde l'obsède. Il se tourment sur le trajet du retour :

Pourquoi ai-je dit ça ? Est-ce la raison de la fuite de Yohan ? Et, si ces simples mots l'avaient effrayer ? S'il les avaient compris de travers ? D'ailleurs quel sens je leur donne ? Tout était si bien ? Et si j'avais tout fait foiré ?...

Chez lui, seul sous l’eau chaude de la douche, Mathis ferme les yeux. La journée défile dans sa tête comme un film qu’il n’arrive pas à éteindre. Il sent encore la main de Yohan sur son épaule, il revoit ce regard, il entend cette voix un peu trop douce. Une question, enfouie au plus profond de lui, commence à remonter.

Et si ? Et si ce n’était pas que dans sa tête ? Et si cette tension qu’il ressentait, Yohan la ressentait aussi ? Mais alors, qu’est-ce qu’ils feraient ?

Mathis inspire profondément, mais son souffle reste saccadé, prisonnier d’une cage invisible. Non, c’est absurde, tente-t-il de se convaincre. Pourtant, le doute persiste, s’installe, comme une ombre qu’il ne peut chasser. La vapeur envahit la salle de bain, mais l’air semble encore plus lourd, oppressant. Cette journée, qu’il pensait anodine, l’enserre maintenant dans un étau de souvenirs trop vifs, trop puissants.

Il laisse l’eau couler sur son visage, espérant qu’elle emportera avec elle ce trouble, cette obsession naissante. Mais rien n’y fait. Chaque goutte semble au contraire raviver ces sensations. Lorsqu’il éteint enfin le robinet et sort de la baignoire, ses gestes sont mécaniques. Se sécher, enfiler un t-shirt, ces actions quotidiennes lui paraissent étrangères, presque irréelles.

Devant le miroir embué, il s’arrête. Ses yeux cherchent quelque chose dans son reflet, un indice, une réponse à des questions qu’il n’ose pas formuler. Sans réfléchir, il ajuste ses cheveux, tire sur son col, lisse les plis de son vêtement. Une envie incontrôlable de perfection le pousse à soigner son apparence, à chercher une harmonie qu’il ne comprend pas totalement.

C’est seulement lorsqu’il finit qu’il en prend conscience. Ce qu’il veut, c’est lui plaire. À lui.

De l’autre côté de la rue, Yohan traverse les mêmes réflexions. Il tourne en rond dans sa chambre, change de chemise une deuxième fois, ajuste son parfum, comme si ces détails anodins portaient un poids nouveau, vital. Sans se parler, sans même s’en rendre compte, ils franchissent une étape silencieuse, une frontière invisible, ensemble.

Quand Mathis arrive chez Yohan, l’air frais de la soirée ne parvient pas à calmer la fièvre qui l’habite. Une excitation nerveuse monte en lui, mêlée d’une appréhension qu’il ne parvient pas à nommer. Ce n’est pas le film qui l’intrigue. C’est cet instant, ce moment qu’ils vont partager, à deux dans l'intimité du salon familial.

Yohan ouvre la porte avec un sourire, et Mathis, sans vraiment le vouloir, lui rend un sourire éclatant. Tout semble simple et léger, mais sous la surface, quelque chose bouillonne.

Dans le salon, ils s’installent sur le canapé, leurs corps proches mais soigneusement éloignés d’un souffle, d’un geste. Une distance infime, mais infranchissable, semble les séparer. La lumière tamisée adoucit les contours de la pièce, créant une pénombre inquiétante, trop intime.

Le film commence. Ghost, avec sa romance déchirante, son mystère, et son amour transcendant la mort. Les scènes s’enchaînent, chargées d’émotions et de regards pleins de non-dits.

Mathis ne regarde presque pas l’écran. Il sent la présence de Yohan à ses côtés comme une chaleur constante, impossible à ignorer. Le bruit léger de sa respiration, les mouvements imperceptibles de son corps lorsqu’il se tourne légèrement.

L’écran s’illumine d’une scène tendre, les personnages échangeant des regards intenses et des gestes hésitants. Mathis déglutit. Tout lui semble terriblement proche, étrangement familier. Ses doigts se crispent sur le coussin qu’il tient, et il se surprend à se demander : Et si ?

Un geste. Un mot. Et tout pourrait changer.

Au fur et à mesure que les personnages du film se rapprochent dans des instants d’une tendresse désarmante, les gestes de Mathis et Yohan deviennent eux aussi plus naturels, presque inconscients. Les mains se frôlent, légères comme des plumes, mais ces contacts anodins éveillent des sensations inattendues. Mathis laisse sa main traîner un instant de trop sur celle de Yohan, un instant fragile, qui semble durer une éternité.

Le frisson qui parcourt le dos de Mathis est incontrôlable. Il détourne légèrement le regard, mais l’intensité de la présence de Yohan le ramène inexorablement. Le film continue de dérouler son histoire sur l’écran, mais dans l’esprit de Mathis, c’est Yohan qui occupe toute la place. Il ne sait plus si c’est l’amour déchirant raconté par le film ou le lien silencieux qui s’installe entre eux deux qui lui coupe le souffle.

Chaque scène à l’écran semble leur parler directement, un miroir troublant de ce qui se passe sur ce canapé. Les dialogues empreints de romance, les silences pleins de sous-entendus, les regards chargés d’émotion… Tout cela résonne comme un écho intime, un dialogue parallèle qu’ils n’osent pas entamer.

La distance physique entre eux s’amenuise imperceptiblement. Leurs épaules se touchent presque, leurs genoux se frôlent parfois dans un mouvement discret. Mathis sent son cœur battre à un rythme nouveau, désordonné. La tendresse du film agit comme un catalyseur, confondant ses pensées et ses émotions. Chaque seconde qui passe alourdit l’atmosphère d’une tension douce, diffuse, mais écrasante.

Quand les derniers accords de Unchained Melody résonnent dans la pièce, les deux garçons restent immobiles. L’écran devient noir, mais ils ne bougent pas. Le générique a fini de défiler, mais leurs regards restent fixés droit devant eux, absorbés par ce qu’ils viennent de vivre – non seulement à travers le film, mais aussi dans ce non-dit, cette envie chargée d’une émotion qu’ils ne savent pas nommer.

Finalement, Mathis rompt le silence, sa voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu :
— C’est… c’était vraiment intense, non ? Toute cette histoire, cet amour au-delà de tout…

Yohan tourne légèrement la tête vers lui, un sourire discret étirant ses lèvres.
— Oui, c’est dingue, dit-il doucement. Tu penses vraiment que l’amour peut… durer comme ça ? Même après tout ce qu’on traverse ?

Ses mots flottent dans l’air comme une question sans réponse. Mathis hésite, cherchant ses propres mots.
— Je… je ne sais pas. Mais ça donne l’impression que, même quand tout semble perdu, il y a toujours quelque chose… de plus fort, qui reste.

Le silence revient, mais cette fois, il est encore plus dense, presque étouffant. Pourtant, ce n’est pas un silence inconfortable. C’est un silence qui dit tout ce qu’ils n’osent pas verbaliser. Mathis sent les battements de son cœur dans ses tempes, dans sa poitrine, dans le bout de ses doigts qui effleurent toujours le canapé.

Finalement, Yohan se redresse un peu, jetant un coup d’œil à l’horloge murale.
— Il commence à se faire tard, non ? Si on veut être en forme pour notre balade à vélo demain, il faudrait peut-être songer à dormir un peu.

Mathis acquiesce, soulagé par cette échappatoire, mais aussi étrangement déçu que le moment soit rompu.
— Oui, tu as raison. C’est une bonne idée.

Ils se lèvent ensemble et se dirigent vers la salle de bain. Le brossage de dents se fait presque en silence, les mouvements mécaniques, les regards fuyants dans le miroir. Une routine banale qui semble, ce soir-là, chargée d’une signification nouvelle pourtant, cette situation ne l'est pas. Quel changement est en train se s'opérer ?

De retour dans la chambre, ils se déshabillent sans cérémonie, chacun restant en boxer. Ils se glissent sous la couette du grand lit de Yohan, un espace partagé qui, pour eux, a toujours été normal. Mais ce soir, la proximité semble différente. Mathis sent la chaleur du corps de son ami tout près du sien, et cette simple pensée suffit à accélérer son souffle.

Dans l’obscurité, leurs respirations rythment le silence. Aucun des deux ne parle. Aucun des deux ne bouge. Une tension invisible flotte dans l’air, mais la barrière demeure.

Un pas de plus, une seule parole suffirait peut-être à tout changer. Mais ce pas, ce mot, reste un interdit dans le vide, comme si une force silencieuse les maintenait dans cette frontière fragile entre amitié et quelque chose de plus.

Le sommeil s'en mêle alors en refusant de les emmener vers plus de tranquillité. Pour l’instant, ils restent là, côte à côte, perdus dans leurs pensées, dans leurs battements de cœur qui ne trouvent pas de réponse.

Pour chasser l’ennui et repousser cette sensation un peu étrange qui flotte dans la chambre, ils commencent à jouer à un jeu de devinettes, un petit rituel d'enfance. Cela les aide à se détendre.

Dans la pénombre, Mathis, le premier, lance une question :

— Je pense à un objet. Tu devines ?

Yohan, souriant, commence à poser des questions :

— Est-ce que c’est quelque chose qu’on utilise tous les jours ? Chaque "oui" ou "non" dessine progressivement l’image de l’objet. La question, la réponse, l’imaginaire et la réalité s’entrelacent, une manière de repousser l'ambiance un peu trop intime de la soirée.

C'est un moment de complicité simple et sincère, un jeu sans prétention qui, pourtant, semble aussi leur permettre de se rapprocher d’une manière douce, presque imperceptible. Chacun au fond d'eux sent que le jeu n'est qu'un prétexte mais lorsque le jeu commence à se répéter, Yohan, visiblement lassé, prend l’initiative de briser la monotonie. S’appuyant légèrement sur le coude, il tend la main vers sa table de nuit et attrape un petit jeton de bingo, qu’il fait glisser entre ses doigts avec une lenteur calculée, comme s’il pesait déjà les effets de ce geste. Un sourire imperceptible flotte sur ses lèvres lorsqu’il cache le jeton dans le creux de sa main, puis, avec un ton délibérément faussement innocent, murmure dans l’obscurité :

— Bon, on change de jeu. J’ai caché quelque chose sur moi. À toi de le trouver.

Mathis hésite un instant. Le silence pèse, le défi le surprend et l’intrigue. Il sait que ce jeu n'a rien d'innocent. Deux garçons qui se touchent dans un lit à dix-sept ans, c'est plutôt risqué. Il ressent une excitation qui le dépasse alors il finit par répondre, la main se tendant à tâtons, le visage sérieux et concentré dans cette quête nocturne. Ses gestes, au début prudents, trahissent bientôt une curiosité éveillée par la situation. Sous couvert de chercher l’objet, il explore, s’aventurant de la tête au pied, son geste s’adoucissant à mesure que l’ombre se fait complice.

Yohan qui a caché le jeton, presque impassible, s’abandonne au jeu, laissant chaque mouvement de l’autre prolonger l’instant, savourant le contrôle subtil qu’il garde sur la scène, le rythme du silence et de cette recherche qui s’éternise. Il reste allongé, feignant une nonchalance étudiée, observant le moindre geste avec l’air de celui qui a planifié chaque seconde, comme s’il savourait cette emprise discrète, en attendant que l’énigme se dissolve finalement dans l’intimité du jeu.

Il laisse son ami se rapprocher, cherchant à l’aveuglette, leurs souffles suspendus, le noir comme une couverture qui atténue les hésitations. Au gré de ses mains, le jeu se transforme en exploration, un prétexte pour se rapprocher, pour briser l’espace entre eux qui, jusque-là, les retenait encore séparés.

— J'ai trouvé ! s'exclame Mathis, les doigts frémissants, tandis qu'il saisit enfin le jeton caché dans la paume de son ami. Le contact fugace de ses mains dans le noir total envoie une légère décharge, amplifiée par la pénombre totale. Un sourire furtif, marqué par une satisfaction presque imperceptible, se dessine sur ses lèvres. — À mon tour maintenant.

Sans hésiter, il pose le jeton sur son nombril, une position qui, dans l’obscurité, semble moins flagrante qu'elle ne l'est. L’obscurité semble envelopper le geste, rendant l’objet à la fois évident et insaisissable. Il glisse alors à Yohan, d’une voix qui, dans la pénombre, semble plus intime, presque confiante :

— C’est à toi de chercher maintenant.

Yohan n'hésite pas un instant. Il est l'inventeur de ce jeu étrangement sensuel entre deux jeunes hommes. Dans le noir, tout devient plus incertain, mais le jeu prend la tournure qu'il avait tant espéré. Il tend alors la main à tâtons, ses doigts frôlant la peau de Mathis avant de trouver finalement le jeton. La sensation de la peau de l’autre, à peine perceptible dans l’obscurité, est un frisson supplémentaire dans ce jeu étrange. Il retire le jeton et, avec un geste lent, presque calculé, le cache dans la ceinture de son boxer, là où la chaleur de la peau rencontre le tissu.

— C'est de nouveau à toi de chercher.

Le silence s’installe lourdement, comme une couverture qui éteint tous les bruits, sauf celui de leurs souffles. Le noir total devient le témoin invisible de cette évolution silencieuse. Rien n'est visible, mais tout est ressenti avec une intensité décuplée, chaque mouvement amplifié par le vide autour d'eux. Le jeton est devenu plus qu'un simple objet, il est l'incarnation du complice, celui qui légitime les contacts dans une quête qui les lie d’une manière plus intime. Ils le savent tous deux maintenant : le jeu a changé. Leurs corps trahissent leurs émotions. Mathis est gêné par son ardeur qui se dresse mais il a bien senti alors qu'il cherche le jeton qu'un obstacle s'était dressé en passant sa main d'une cuisse à l'autre de Yohan. Mais il se retient. Il rêve d'effleurer davantage cet endroit de son ami mais il n'ose franchir le cap.

Mathis, un peu perdu dans l'obscurité, se redresse légèrement. Il tend une main, d'abord hésitante, puis il se fige un instant, comme pris dans l'attente du prochain mouvement. Puis, il reprend sa quête, mais son doigt glisse un peu plus bas que nécessaire, effleurant la peau chaude de son ami sur la hanche. Ses gestes deviennent plus assurés, plus lents, calculés. Pourtant il ne trouve pas l'objet.

— Tu es sûr que tu l'as caché ?, demande-t-il alors.

Il a cherché partout sauf à un endroit. Il attend la réponse de Yohan et n'ose espérer qu'elle le guidera vers un interdit qu'il sent prêt à sauter.

— Tu n’as pas encore exploré toutes les possibilités, murmure Yohan, un ton légèrement moqueur dans la voix.

Ses mots, simples, sont comme un défi. Une invitation à repousser les limites du jeu, à s’aventurer plus loin dans l’inconnu. Mathis, tout à coup conscient du rôle qu’il joue dans cette dynamique, fronce les sourcils mais ne se retire pas. Yohan vient de lui donner l'autorisation de pousser ses investigations dans le seul lieu qui reste.

Leurs souffles bruissent davantage dans l’obscurité, rythmés par la recherche et la tension. Le temps semble s'étirer, chaque mouvement, chaque frôlement devient une exploration sensuelle et incertaine. Mathis, maintenant pleinement immergé dans ce jeu de manipulation silencieuse, s'approche encore de Yohan. L’espace entre eux se réduit, tout comme les frontières de ce qui était encore un simple jeu.

Dans cette pénombre, le jeton perd de son importance, remplacé par le frémissement des corps, l’intensité croissante des gestes, le poids de l’instant. Mathis poursuit sa recherche, mais ses doigts sont désormais plus hésitants, comme si la quête avait changé de nature. Ce n'est plus l’objet qu'il cherche, mais la proximité, l'effleurement furtif de la peau de l’autre. À chaque mouvement, l'espace se réduit, les limites s’effritent lentement.

Yohan, lui, attend, presque immobile, sa respiration à peine audible, savourant la façon dont il a dirigé cette scène. Il laisse Mathis s’approcher, de plus en plus proche, et dans l’obscurité, les gestes deviennent plus sûrs, moins intéressés par l’objet en lui-même. Ce qui les lie maintenant, ce n’est plus le jeton mais l’intensité des sensations qui naissent dans l’attente, dans l’instant qui s'étire avant que Mathis n'ose s'aventurer plus loin. Mais alors qu'il commence à passer sa main dans la direction de ce qu'il convoite, il tombe sur le jeton.

— Trouvé… c'est malin de l'avoir caché là… je n'aurais pas pensé que tu …

Il est troublé. Pourquoi alors qu'il a trouvé, ressent-il de la déception ? Pourquoi n'a-t-il pas osé faire comme si il n'avait pas trouvé ? Mathis ne contrôle plus rien. Sa tête est en ébullition, il ressent une telle chaleur dans son ventre qu'il ne sait plus comment agir...

Le jeu, désormais, semble ne plus se soucier du jeton. Les deux amis ne perdent plus de temps à chercher dans les endroits où il serait improbable de le trouver. Ils le savent : l’objet, en fait, est ailleurs. Inlassablement, le jeton se retrouve dans le même endroit, caché à chaque fois avec moins d'importance, car l'émotion qui les envahit au fur et à mesure de la recherche les emporte au-delà du simple jeu, vers un territoire inconnu, un terrain d’exploration où chaque geste devient une promesse et chaque soupir, une révélation.

Une envie de passer encore un cap ne tarde pas à se faire ressentir. Yohan en maître du jeu impose alors un changement de règle.

— C'est trop simple. Si on compliquait un peu ?, lance Yohan pour voir si Mathis est prêt pour aller plus loin ?

— Ok, et tu vois ça comment alors ?

Mathis commence à peine à saisir ce qu'il ressent et comment il pourrait s'y abandonner. Alors, il espère que Yohan va cette fois l'y conduire sans détour.

— Enlève ton caleçon, je fais de même car maintenant, il s'agit de chercher le jeton du bout de nos lèvres.

— Mais… commence à protester faussement indigné Mathis.

— Arrête de te mentir Mathis, ça fait dix fois au moins qu'on cache le jeton pour nous permettre de nous caresser à un endroit qui nous fait vibrer. Alors, essayons de pimenter les règles…

Alors Yohan perçoit au mouvement et au bruit que Mathis vient de retirer son caleçon. Il fait de même. Mathis commence alors à poser ses lèvres sur son front, puis il glisse doucement vers celles de Yohan pour les effleurer. Il explore son cou, son épaule, son torse...

Yohan, le visage marqué par l’attente, glisse doucement, dans un murmure presque brisé, un mot lourd de sens :
— J'ai une irrésistible envie que tu enfonces mon sexe dans ta bouche, murmure Yohan, sa voix basse et rauque, traversée par un désir presque inavouable. Tu sais, je me demande si c'est aussi intense que lorsque tu me touchais tout à l'heure…

Mathis sent une vague de chaleur l’envahir à ces mots. Il les ressent non seulement comme un défi, mais comme une invitation à franchir la dernière frontière invisible entre eux. Il hésite un instant, partagé entre la tentation et la crainte de se perdre dans ce moment. Mais l’envie, elle, ne le laisse pas indifférent. Le désir est trop puissant, trop palpable pour qu’il puisse reculer. Il attend ce moment depuis si longtemps.

Sans un mot, il se laisse guider par ce qu’il ressent. Lentement, il s’avance, ses mains trouvant leur place, explorant la chaleur de la peau de Yohan. La sensation de son corps, de son souffle, de chaque frémissement sous ses doigts, l'envahit. Ses gestes sont calculés, mesurés, mais dans cette obscurité, chaque contact semble décupler l’intensité du moment.

— Je crois que j'attendais ce moment depuis une éternité, lui répond alors Mathis.

— C’est exactement ce que je voulais entendre, souffle Yohan, sa voix maintenant tremblante d'impatience. Tu sais que je ne pourrais pas me retenir, n'est-ce pas ?

Mathis, figé un instant par la confession brûlante de son ami, sent un tremblement d'excitation envahir son corps. Il n’y a plus de retour en arrière possible. Chaque mot de Yohan est un appel irrépressible, une invitation qu’il n’a plus la force de refuser.

Dans un silence presque sacré, Mathis se penche, sa respiration se fait plus courte, sa main tremblante effleurant le corps de Yohan. Il sent la chaleur, l'humidité de sa peau, et un frisson d’anticipation parcourt ses veines. La connexion entre eux s’approfondit, et désormais, chaque geste est une découverte, chaque mouvement un appel irrésistible.

Mathis s’exécute lentement, sa bouche trouvant la virilité de Yohan, chaque contact entre eux provoquant une onde électrique de plaisir partagé. Le goût, la chaleur de son ami sont une révélation, quelque chose de nouveau, de sensuel, une douceur qu'il n’aurait jamais cru ressentir. Les gémissements étouffés de Yohan, sa respiration saccadée, emplissent la pièce, et Mathis se sent de plus en plus absorbé dans cet instant de pure connexion. Lui-même, remarque-t-il, n'a jamais été aussi tendu. Le désir qu'il retient depuis si longtemps l'emporte à un point tel qu'il ne sait plus si il ressent un plaisir intense ou une douleur intense.

Chacun de ses mouvements est accompagné par un frémissement d’émotion. Il se laisse emporter par cette vague de désir qu’il n’avait pas anticipée.

Yohan dont les exhalations passionnées se font plus présentes à mesure que le plaisir grandit, le poussent à aller plus loin, à répondre à son besoin, à sa chaleur. Mathis se sent de plus en plus vivant, il prend conscience de lui-même, tout, jusqu’à cet instant, n’a été qu’une préparation de ce moment précis.

Les mains de Yohan, un peu tremblantes, viennent chercher Mathis, effleurant son corps, le guidant dans cette exploration plus profonde. Il murmure, dans un souffle rauque, presque inaudible :

— Encore… encore… Sa voix, entrecoupée par des halètements, fait monter la tension d’un cran supplémentaire. C'est trop bon...

Mathis, ses sens en éveil, sent une chaleur envahir son corps, un frisson le traverser à chaque nouvelle caresse de Yohan. La pièce semble se rétrécir autour d’eux, chaque son, chaque souffle devenant une partie intégrante de cette expérience intime, de cette révélation qui les consume de plaisir. La chaleur, les parfums mêlés, la sueur qui les couvre, tout devient une exploration de sensations, une alchimie qu’ils ne peuvent plus ignorer. La peau contre peau, les sanglots de délice de Yohan, chaque mouvement devient un langage qu’eux seuls peuvent comprendre, une complicité qui se tisse de plus en plus fort entre eux.

Mathis ne se retient plus, il prend ce qu'il a toujours secrètement désiré, les gestes deviennent plus affirmés, plus urgents. Il veut donner du plaisir à Yohan autant qu'il en prend dans la découverte du corps de son ami. La tension est à son comble, comme une corde prête à se rompre, un son différent, guttural, s'échappe de Yohan tandis que Mathis goutte son fruit du plaisir.

Yohan, dans un dernier souffle, murmure, presque comme une promesse :

— Merci Mathis… C'était… je n'ai pas les mots… À mon tour maintenant… Je veux te faire ressentir tout ça.

Il se penche doucement, guidant Mathis, l’entraînant dans cette même exploration, ce même abandon. Mathis sent aussitôt une intensité qui monte encore, là où il pensait être arrivé au bout du bout.

— Yohan, trop… c'est… trop… Hahhhh…

Son corps parle pour lui, il se cambre au moment de pousser ce cri étouffé. Ses mains se saisissent de la tête de Yohan comme pour la retenir dans ce déferlement de plaisir intense. Chaque souffle est alors un cri de plaisir partagé. Quand enfin l’extase retombe, ils s’effondrent ensemble, épuisés mais comblés, leur complicité plus profonde que jamais.

— J'ai à peine eu le temps… mais j'adore le goût de toi…

Ils restent là étendus côte à côte dans ce grand lit. Ils ne voient rien dans le noir et pourtant, ils fixent le plafond. Ils s'interrogent tous les deux sur ce moment qu'ils viennent de vivre…

Pour Mathis, c'est un chamboulement total. Il se repasse le film de leur histoire, cherchant en vain le moment de bascule… Il ne comprend pas pourquoi d'un coup tout est si différent et pourtant si agréable. Mais d'autres pensées le refroidissent… cela signifie que je suis gay ? Peut on le devenir ? Me suis-je menti à moi-même tout ce temps ? Je vais me faire traiter de pédé… mes parents, mon frère ? Que vont-ils en penser ? Yohan est-il sincère ? Ressent-il comme moi ? Ou bien ne cherchait-il qu'à se faire plaisir ?

Pour Yohan, la réflexion est tout aussi perturbante même si elle diffère quelque peu. Ai-je eu raison de l'amener vers moi ainsi ? En avais-je le droit ? Après tout je ne l'ai pas forcé… juste guidé… il pouvait s'arrêter à tout moment… à moins que … une fois l'excitation enclenchée un garçon n'est peut-être plus capable de se retenir ? Et si, cela n'était que pour un soir ? Et si, la révélation de mon homosexualité ne l'effrayait ? Le perdre, même comme ami… qu'ai-je fait ? Non, n'y pense pas … un tel plaisir n'a pu être feint… il est comme moi… on s'est enfin trouvé… mais alors comment le faire accepter autour de nous ? Mes parents ? Les siens ? Nos potes ? J'aimerais tant que tout soit plus simple pour profiter de lui sans me torturer ainsi ?

Finalement, épuisés par la journée, ce moment intense, et ces questions incessantes, ils s'endorment, enfin, sans s'en rendre compte.

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