La Fête.
En ce mois d’août 1999, la ferme des Durieux s’anime d’un tourbillon d’activités et de retrouvailles. Contrairement aux étés précédents, où chacun partait pour des voyages lointains ou des croisières exotiques, cette année, tous ont choisi la simplicité et l’authenticité de la campagne. La priorité, désormais, est de réunir une famille qui s’est considérablement agrandie au fil des années.
Peu avant, Monique, épaulée par Thérèse, avait envoyé des invitations à chacun de ses frères pour ce week-end du 21 août. Avec une détermination teintée d’un brin d’inquiétude, elle avait lancé :
— S’ils tiennent à me revoir, s'ils m'ont conservé ne serait-ce qu'une once d'amour fraternel, ils n’auront qu’à ravaler leur orgueil déplacé.
Son ton, mélange de fermeté et de tendresse, avait impressionné. Pourtant, une incertitude persistait : Pierre et René, deux de ses frères, n’avaient pas donné de réponse, laissant planer le doute sur leur venue.
Madeleine, la mère adoptive de Monique, est déjà arrivée, fidèle à sa tradition estivale. Habituée à passer quelques semaines en famille, elle se retrouve cette fois dans un contexte inhabituel. Pas de visites touristiques ni d’excursions cette année, mais la chaleur simple et sincère des retrouvailles familiales. Assise dans le jardin, à l’ombre d'un vieux tilleul, Madeleine observe les préparatifs avec une expression pensive. Cet été, elle est confrontée à des visages qu’elle ne connaît pas encore et à des histoires qu’elle n’a pas toujours voulu entendre, mais elle est là, prête à soutenir sa fille adorée.
Yohan, fidèle à son rôle d’invité permanent et compagnon indéfectible de Mathis, est lui aussi présent. Son enthousiasme et sa présence constante en font désormais un membre à part entière de cette famille haute en couleur. À ses côtés, Tom semble particulièrement enjoué : il a enfin présenté Juliette, sa petite amie, à tout le monde. Cette rencontre tant attendue se déroule sous les meilleurs auspices, et Juliette s’intègre avec une facilité déconcertante, charmant chacun par sa simplicité et sa gentillesse.
Jacques et Marie, les beaux-parents de Monique, savourent chaque instant de l’effervescence qui règne à la ferme. Pour eux, ces moments en famille sont d’une valeur inestimable. Voir leurs enfants, leurs petits-enfants, et même leurs premiers arrière-petits-enfants partager des repas sous le grand chêne, ou se promener ensemble dans les champs qu’ils ont cultivés avec tant de soin et d’amour, est une source de fierté infinie. La ferme, désormais gérée par leurs gendres et leurs filles, continue de prospérer et de se développer, enrichie même de nouvelles terres grâce à des mariages qui ont tissé des liens solides avec les familles du cru. Ainsi, cette terre, qu’ils ont à cœur de transmettre, devient le véritable cœur battant de la famille, un symbole d’unité et de résilience à travers les générations.
Le soleil brille haut dans le ciel, et la chaleur estivale emplit l’air tandis que les rires des enfants, joyeux et insouciants, résonnent dans la cour. Le tumulte des derniers préparatifs, les éclats de voix et les allées et venues des adultes se mêlent harmonieusement, créant une atmosphère chaleureuse et vivante.
La grande table, presque prête, occupe une place centrale sous le grand chêne. Elle est ornée de nappes blanches, soigneusement dressées, et de bouquets de fleurs des champs, cueillies le matin même dans les prés alentours. Tout autour, des chaises sont disposées, prêtes à accueillir la grande famille.
Si tout le monde répond présent, c’est un total de 67 convives qui s’installeront autour de la table. La première génération, composée de Jacques, Marie, Madeleine et Suzanne, sera bien représentée, tandis que la deuxième génération, celle de Claude, Monique et leurs frères et sœurs, ainsi que leurs conjoints, compte 26 personnes. Vient ensuite la troisième génération, avec 30 jeunes petits enfants de la famille, parmi lesquels Mathis, Yohan, Tom, Juliette, et leurs cousins et cousines du côté Durieux, sans oublier Quentin et son amie Mathilde. Enfin, la quatrième génération fait son apparition avec déjà 7 petits-enfants des grandes sœurs de Claude dont la petite Cléa qui est éperdument amoureuse de son cousin Mathis du haut de ses trois ans. C’est un véritable tourbillon de voix et de sourires, une réunion de toutes les générations, une famille unie, prête à célébrer ce moment précieux ensemble.
— Tout est presque parfait, déclare Monique en vérifiant une dernière fois l’agencement de la table. Elle s’assure que chaque détail est en place : les nappes bien lissées, les assiettes soigneusement disposées. Mais ce qui la préoccupe le plus, c’est la disposition des invités.
Elle a méticuleusement placé ses frères à des endroits opposés de la longue table. Claude l’a bien compris, et il la soutient dans ce choix discret mais nécessaire : les frères de Monique ne doivent en aucun cas se retrouver côte à côte ou face à face. Elle ne sait pas exactement pourquoi ils se sont déchirés, mais Thérèse lui a parlé de querelles de famille, de vieilles rancœurs, de brouilles qui, bien que futiles aux yeux de tous, durent depuis des années. Des brouilles de pacotille, comme elle dit, mais qui ont suffi à fendre cette branche de leur famille. Monique, elle, ne veut pas de disputes aujourd’hui. Elle préfère garder le mystère des causes de cette animosité, et c’est en éloignant ses frères qu'elle cherche à éviter le pire.
Claude, d’ailleurs, la rassure parfois avec un regard bienveillant lorsqu’elle se perd dans ses pensées. Elle se dit que cette journée doit être une parenthèse, une chance de remettre les choses en place, même si, en toute lucidité, elle sait que certaines blessures ne pourront guérir en une seule rencontre.
Les frères de Monique sont disposés loin les uns des autres, séparés par les membres de la famille de Claude, pour réduire toute possibilité de tension. Le but : qu’aucun sujet qui fâche n’éclate au grand jour, qu'aucune parole dure ne vienne gâcher ce moment. Elle ne souhaite rien d’autre que de voir ses enfants, ses frères et sœurs, et les membres de la famille de Claude réunis dans une harmonie éphémère, mais sincère.
Elle respire profondément en voyant les enfants courir dans la cour, rire sous le grand chêne où la table est dressée, et elle se sent quelque peu apaisée par cette atmosphère de convivialité, loin des drames familiaux qui semblent parfois peser comme une ombre.
Quand elle croise le regard de Madeleine, qui semble avoir compris l’importance de ce rassemblement, elle lui adresse un sourire à la fois soulagé et nerveux.
— Tu as bien fait de tout organiser ainsi, lui dit Madeleine en posant une main sur son épaule, avec une douceur maternelle.
— Les émotions seront fortes, mais tu sais, la famille, ça se reconstruit, petit à petit, ajoute-t-elle ensuite.
Monique hoche la tête, reconnaissant dans les mots de Madeleine un soutien sans jugement. Elle sait que ce moment, aussi fragile soit-il, est une chance. Elle espère que, même si les blessures du passé restent présentes, elles finiront par se cicatriser sous le poids du présent, sous le regard bienveillant de ceux qui sont là, ensemble.
Les bras tendus vers l'avenir, Monique se sent prête à accueillir cette journée avec tout l’amour et la patience dont elle est capable. Elle accorde une attention particulière à sa mère, Madeleine, dont elle ressent la crainte d'être remplacée. Elle comprend même si elle sait qu'il n'y a pourtant aucun risque, alors elle l'entoure de tout son amour pour la rassurer.
Elle jette un regard vers la route qui mène à la ferme, espérant voir apparaître les silhouettes attendues. Même si la perspective d’une réunion complète semble incertaine, elle garde espoir. Aujourd’hui, plus que jamais, elle est déterminée à rassembler les morceaux épars de son histoire familiale et à recréer un tout, riche et harmonieux.
Assise sur le banc à l’ombre d’un vieux tilleul, Madeleine continue d'observer les préparatifs avec un mélange d’appréhension et de curiosité. Elle n’a jamais pardonné à cette famille, qu’elle juge responsable du malheur de sa fille chérie. Pendant des années, elle a nourri une colère froide contre ceux qu’elle voyait comme des lâches, incapables de protéger leur propre enfant. Aujourd’hui, elle s’apprête à les rencontrer, pour la première fois, sans savoir si elle pourra cacher ses sentiments.
— Tu sembles bien songeuse, maman, lance Monique en venant s’asseoir à ses côtés, un tablier encore noué autour de la taille.
Madeleine esquisse un sourire tendre à sa fille, mais son regard reste distant.
— Je me demande juste comment cette journée va se dérouler. Je ne sais pas si j’ai ma place ici, Monique.
— Mais bien sûr que tu l’as ! s’exclame Monique, prenant la main de Madeleine dans la sienne. C’est toi qui m’as élevée, qui m’as aimée inconditionnellement. Rien, ni personne, ne changera cela.
Le regard de Madeleine s’adoucit, bien qu’une ombre persiste dans ses yeux.
— Et pourtant, eux… ce sont ta mère, tes frères, tes sœurs. Moi, je ne suis qu’un chapitre parmi d’autres.
Monique secoue la tête, émue mais ferme.
— Maman, tu es bien plus qu’un chapitre. Tu es tout un livre à toi seule, dit Monique, les yeux brillants d’émotion. Aujourd’hui, je veux que tu sois là, avec moi, pour m’accompagner dans ce moment important, et ce, en tant que mère.
Elle prend la main de Madeleine, qui la regarde avec tendresse, sentant le poids de ces mots. Monique, dans ce moment intime, se laisse emporter par une émotion qu’elle a longtemps retenue.
— D'ailleurs, il y a une absence qui manque cruellement aujourd’hui, ajoute-t-elle, sa voix se brisant un instant. Celle de Paul, ce père si aimant, bien davantage que celle de Georges, ce père qui m’a abandonnée.
Madeleine serre doucement la main de sa fille, son cœur lourd mais rempli d’amour pour elle. Elle sait combien Monique a souffert du vide laissé par son père biologique. Un vide qu'aucune figure paternelle n’a pu combler complètement, bien que Paul ait toujours été là, fort et aimant.
— Paul t’aurait fièrement vue aujourd’hui, ma chérie, murmure Madeleine, sa voix douce et pleine de sagesse. Il t’aurait dit à quel point il est fier de la femme que tu es devenue. Mais tu sais, Georges… bien qu’il t’ait abandonnée, il n’a jamais pu effacer tout l’amour que tu as en toi. Et aujourd’hui, tu l’incarnes encore plus que quiconque.
Monique ferme les yeux un instant, son esprit bercé par les souvenirs des épreuves et des espoirs. Elle se sent forte, mais parfois la douleur du passé refait surface, surtout lorsqu’elle se rappelle la différence entre l’amour de son père adoptif et l’indifférence de l’homme qui lui a donné la vie. Mais, dans cette ferme, entourée de sa famille, elle trouve tout le réconfort qu'on puisse attendre des siens.
— Oui, dit-elle, les yeux brillant de détermination. Aujourd’hui, c’est ma famille qui est là pour moi. Et avec vous, je me sens complète, plus forte que jamais.
Madeleine sourit enfin, sincèrement cette fois, et acquiesce.
Un peu plus loin, Yohan et Juliette, ravis de ce séjour à la campagne, s’activent pour aider à installer des tables et des chaises sous un grand barnum. Claude, en maître des lieux, supervise les opérations tout en plaisantant avec Mathis et Tom.
Bientôt, les premières voitures commencent à arriver. Thérèse, élégante et accueillante, s’occupe de recevoir les invités, tandis que Monique et Claude guettent, un mélange d’excitation et d’appréhension dans les yeux.
— Ce sera une journée mémorable, murmure Claude en serrant doucement la main de Monique.
— Oui, une journée où tout peut arriver, répond-elle avec un brin d'inquiétude, son regard fixé sur l’allée où des silhouettes familières commencent à apparaître.
Ici, au cœur de la bâtisse, entourée de champs dorés et bercée par le chant des cigales, c’est la pleine effervescence. L’air est chaud, l’odeur de la terre se mêle à celle des plats qui se préparent, et le grand chêne semble accueillir les rires et les conversations qui s’élèvent autour de la table alors que les premières voix arrivent, des voix familières, celles de la branche Durieux. Leurs présences rassurent Monique, qui ressent un mélange d’excitation et de nervosité face aux retrouvailles à venir. Chaque poignée de main, chaque baiser sur la joue, chaque sourire échangé est un plaisir simple, mais précieux, offert par la vie entre ces membres soudés de la famille. Mais, en elle, une vague de nervosité monte, car rien n’est jamais acquis dans les histoires de famille. La réconciliation entre les membres du passé est un chemin semé d’embûches, et Monique le sait : elle doit l’arpenter sans savoir exactement où il la mènera. Pourtant, elle choisit de croire en ce nouveau départ. Son cœur s'ouvre doucement, même si, au fond d'elle, elle sait que les plaies de l’histoire familiale mettront du temps à cicatriser.
Les premiers à arriver sont Roger et son épouse, suivis de Maurice, Louis et leurs épouses. André et sa femme arrivent ensuite, puis Odette et son époux, accompagnés de Suzanne. Chaque arrivée se fait avec une certaine retenue. Les gestes sont mesurés, les voix calmes, mais une chaleur indescriptible émane de ces retrouvailles, comme si, après des décennies de séparation, le temps se déployait en arrière, ramenant les souvenirs partagés à la surface.
Les retrouvailles entre Monique et ses frères et sœurs sont déchirantes. Lorsqu’elle tend les bras pour les accueillir, l’émotion les submerge tous. Les gestes sont maladroits, les paroles se bousculent dans la confusion de l'instant, puis un sourire, timide mais plein de soulagement, s'esquisse sur leurs visages. La situation est tellement émouvante que, pour la première fois depuis des années, les frères semblent oublier leurs querelles idiotes. Ils se regardent, hésitent, puis, d’une manière ou d’une autre, le passé s’efface. La joie de retrouver cette sœur qu’ils croyaient perdue depuis si longtemps éclaire leurs visages, et les silences deviennent des ponts tendus entre leurs cœurs.
Pourtant, Monique, en observant les retrouvailles, ne peut s'empêcher de se demander, avec un fond d’appréhension, si Pierre et René oseront briser cette longue séparation. Auront-ils la force de franchir ce dernier obstacle et de faire le premier pas ? Ont-ils gardé en eux une part de cette sœur ? L’histoire de leur famille est parsemée de blessures profondes et, bien qu’elle soit prête à avancer, Monique reste fragile face à cette question : Est-ce que, pour ses deux frères, la réconciliation est encore possible ? Pourquoi n'ont ils pas répondu même par la négative à son invitation ?
Ses regards se portent sur les visages des uns et des autres, cherchant un indice, un signe qui pourrait la rassurer. Mais l’angoisse est toujours présente, latente, guettant la possibilité de voir ses deux frères absents de cette réconciliation. Monique attend, le cœur serré, sachant que si Pierre et René ne franchissent pas le seuil de ce rapprochement, une part de la guérison familiale restera inachevée.
À mesure que la matinée avance, les sourires se multiplient, les enfants courent dans le jardins, les discussions se font plus légères. Mais dans l'esprit de Monique, l’inquiétude demeure, une ombre persistante. Elle attend, avec impatience et appréhension, de savoir si ces frères sauront faire tomber ce dernier mur, celui qui sépare encore une part de leur passé, et retrouver, eux aussi, leur place dans cette famille enfin réunie. C'est alors que la réponse lui parvient. Le portail est franchit de nouveau d'abord par Pierre et son épouse puis par René et la sienne. Tout le monde est là.
Elle regarde autour d’elle, son cœur battant un peu plus vite, mais avec une lueur d’espoir qu’elle n’a pas ressentie depuis longtemps. Elle se sent prête à tout affronter, prête à accueillir l’inconnu, prête à réparer les fissures de la famille, à bâtir des ponts là où il n’y avait plus que des murs. Car, aujourd’hui, elle le sait : c’est encore un autre chapitre qui s’écrit ici, à la ferme des Durieux.
Claude, debout devant l'entrée, agite alors vigoureusement la cloche suspendue à l'extérieur de la maison, juste à côté de la porte d’entrée, un geste familier, presque solennel. Le son clair et vibrant résonne dans l'air chaud de l'été, un appel à se rassembler. Claude se redresse, prend une grande inspiration, et regarde autour de lui, appréciant le moment qui s’est installé dans cette grande ferme familiale. Le bourdonnement des conversations s’estompe, les regards se tournent vers lui tandis qu'un calme solennel envahit l’assemblée.
Avec une voix claire et posée, Claude commence son discours :
— Chers amis, chers membres de cette belle famille réunie aujourd’hui, il est difficile de trouver les mots pour exprimer tout ce que nous avons traversé, tout ce que nous avons vécu pour arriver ici. Si vous me permettez, je vais vous parler de ce chamboulement qu'a été, pour nous tous, la découverte de cette partie de la famille insoupçonnée… Cette famille que nous ignorions, et qui pourtant a toujours existé, à quelques pas de nous. Pour ma douce et tendre Monique, cela a été un bouleversement. Qui aurait cru, il y a encore quelques mois, que nous serions ainsi réunis, ici, aujourd’hui ?
Il marque une pause, son regard se tourne vers Monique, qui sourit avec tendresse et une pointe d'émotion, avant de continuer :
— Cela n’a pas été facile. Des échanges longs et parfois difficiles ont eu lieu entre nous. Le doute, la peur, la colère même, se sont invités dans nos discussions. Quarante années après, fallait-il vraiment faire ce pas ? Est-ce que cette famille déchirée avait encore une place parmi nous, parmi les nôtres ? C’était une question légitime, à laquelle nous devions apporter une réponse. Mais après tout, vous n’étiez que des enfants à l’époque, victimes de votre histoire. Victimes de ces malentendus, de ces blessures qui vous dépassaient, et que vous n’avez jamais vraiment comprises.
Claude laisse retomber un silence, comme pour laisser résonner ses paroles. Il regarde une fois de plus son épouse, et se tourne ensuite vers les membres présents.
— Mais la réponse est là, claire, s'imposant à nous... notre famille est une famille soudée, qui s'agrandit au fil des rencontres. Nous avons tous appris, au fil du temps, que l’amour familial ne se compte pas en années, en absences, ni en erreurs passées. L’amour, il se partage, il se renouvelle. Et aujourd’hui, nous avons choisi d’ouvrir nos bras. Nous sommes heureux de vous accueillir. Il n’est pas question de jugement ou de retour en arrière, il est simplement question de faire connaissances, de redonner sens à ce lien familial perdu.
Les yeux de chacun semblent se poser sur Claude, impressionnés par la sincérité de ses paroles. Il poursuit, son ton prenant encore de la chaleur et de l'émotion :
— Un dernier mot, particulier, pour Madeleine, sans qui, rien ne serait possible aujourd'hui, elle, qui a recueilli Monique et lui a offert avec notre regretté Paul un foyer aimant mais qui a fait preuve d'un courage et d'un amour infini quand elle a accepté de permettre la reconstruction de ce lien qui nous rassemble ici, maintenant. Cette étape est capitale, et j'espère que c’est le début d’un grand chemin ensemble.
Claude fait un petit geste vers Monique, comme pour souligner l'importance de cette réconciliation, avant de se redresser à nouveau, le regard plein d'espoir.
— Maintenant, mes chers amis, il est temps, temps que j'arrête de causer... Prenez place, et que cette fête des retrouvailles commence. La famille est réunie, le passé derrière nous, et l'avenir devant nous. Faisons de ce moment un souvenir inoubliable, et célébrons ensemble la joie d’être réunis.
La famille s'installe peu à peu, les regards s’échangent, des sourires se dessinent, et l’atmosphère se transforme en une fête où l’émotion et la réconciliation sont les invités d’honneur.
Monique s’imprègne de ce moment, un sourire serein flottant sur ses lèvres alors qu’elle observe la scène autour d’elle. Les sons résonnent dans l’air, des éclats de voix, des rires partagés et des discussions animées entre les générations. Les plats s’enchaînent, les verres se remplissent, le vin coule à flots, et contre toute attente, l’atmosphère reste douce et bienveillante. Rien de ce qui aurait pu troubler cette réunion familiale ne semble vouloir s’inviter à la table.
Les enfants jouent autour de la ferme, les adultes échangent des anecdotes, de longues discussions s’étendent entre ceux qui ne s’étaient pas vus depuis si longtemps. Les musiques s’élèvent lors des pauses entre les plats, et certains ne peuvent s’empêcher de danser, un air léger de fête qui emplit l’espace. Les visages sont ouverts, les sourires sincères, et tout se passe avec une telle fluidité que Monique se laisse enfin emporter par la magie du moment.
Elle se glisse de place en place avec Claude, allant à la rencontre de ses frères et sœurs, cherchant à savoir ce qu’ils sont devenus. Leurs vies, leurs parcours, les chemins qu’ils ont empruntés depuis cette séparation de quarante ans… La curiosité de Monique est sincère, et au fond d’elle, c’est une forme de soulagement qui domine. Elle se sent plus légère, comme si, petit à petit, les lourdes chaînes de l’histoire familiale se brisaient.
Pendant ce temps, Mathis, le regard rempli de complicité, fait un signe discret à Yohan. Ils s’échappent doucement, se dirigeant vers un recoin plus tranquille de la ferme, loin des regards. Madeleine, qui a observé la scène avec un léger sourire, ressent un pic d’intrigue. Elle n’est plus la jeune femme d’autrefois, mais elle garde cette curiosité vive, presque juvénile, qui la pousse à en savoir plus.
Elle les suit discrètement, se faufilant entre les divers recoins de la ferme, jusqu'à la grange. Là, derrière les ballots de foin, elle découvre la scène inattendue : Mathis et Yohan, tendrement enlacés. Sans aucun doute, il y a de l’amour entre eux, et elle en a la confirmation quand Mathis dépose un baiser délicat sur les lèvres de Yohan.
Alors qu'un bruit de pas les surprend, les deux jeunes hommes, pris au dépourvu, se séparent brusquement dans un sursaut, leurs visages rouges de honte. Ils n’ont pas eu le temps de réagir, qu'une voix douce et sereine s’élève derrière eux.
— Ne vous inquiétez pas, je vous ai perçue depuis longtemps, dit Madeleine, avec un sourire qui dégage une étonnante compréhension. Vous êtes heureux, et c’est tout ce qui compte.
Mathis et Yohan, d’abord figés, échangent un regard confus, puis un soupir de soulagement. Madeleine ne semble pas choquée, mais au contraire, elle leur adresse sa bénédiction, comme si, depuis bien longtemps, elle avait perçu ce lien entre eux. Elle s’approche d’eux, et dans un élan de tendresse, déclare :
— Ce n’est pas une surprise, vous savez. Je suis plus moderne que vous ne le croyez. Elle sourit chaleureusement. L’essentiel, c’est que vous soyez heureux. Mais, mon petit Mathis, j’aimerais que tu sois prudent avec ton cœur. Le monde n’est pas toujours aussi ouvert qu’il le devrait.
Les deux jeunes hommes la regardent, émerveillés par sa sagesse et son accueil, leur nervosité s'évaporant lentement. Madeleine les rassure une dernière fois avec un regard plein de bienveillance, puis, dans un éclat de rire complice, elle leur dit :
— Allez, retournez à la fête, mes petits anges. Rien de mal à être un peu amoureux, surtout ici, aujourd'hui. Mais ne laissez pas vos cœurs courir trop vite, vous avez tout le temps pour cela.
— Attends, grand-mère, lance Mathis, j'aimerais tant que mes parents soient aussi ouverts que toi, mais j'ai peur qu'ils me rejettent.
— Attention à ce que tu dis, Mathis, réplique Madeleine en haussant légèrement les sourcils. C'est de ma fille que tu parles. Comment peux-tu imaginer, avec tout ce qu'elle a vécu, qu'elle puisse se comporter autrement ? Quant à ton père, je ne connais pas d'homme aussi délicieux après mon cher Paul.
Elle soupire doucement, son regard se faisant plus doux.
— Je comprends tes craintes, mon petit. Tu les aimes tellement que tu as peur de leur réaction, et c'est normal. Mais crois-moi, tu n'as rien à craindre. Je pense même, tout comme moi, qu'ils le savent déjà… Mais je ne te forcerais pas la main, c'est à toi de le leur dire, quand tu te sentiras prêt. D'ici là, tu peux compter sur moi pour garder ton secret.
Elle se fait une mine sérieuse et mime de se coudre les lèvres avec son doigt avant de déclamer d'une voix solennelle :
— Croix de bois, croix de fer, si je mens, j'irai en enfer...
Les trois complices éclatent alors de rire, et l’atmosphère se détend dans une complicité touchante et pleine de tendresse.
Elle leur adresse alors un clin d’œil, et se dirige ensuite vers la maison. Mathis et Yohan échangent un regard et un sourire timide, avant de retourner vers les invités, leur complicité intacte, mais désormais partagée, acceptée.
La fête bat son plein, les éclats de rire se mêlant aux murmures des conversations qui vont bon train, tandis que les plats se vide remplissant parfaitement leur promesse de délices. La lumière douce de l’après-midi illumine la scène tandis que Marie, un sourire espiègle aux lèvres, attire l'attention de tous en frappant sa fourchette contre sa flûte de champagne. L’éclat métallique résonne dans l'air, et tout le monde se tourne vers elle, intrigué.
— Mes chers invités, dit-elle avec un petit clin d'œil, je vous invite à prêter attention à cette table.
Tous les intérêts se portent sur l’endroit où la grande table a été soigneusement dissimulée sous un drap blanc. Monique et Jeanne, intimidées par tous ces regards braqués dans leur direction, s’approchent du voile, et d’un geste précis, elles le retirent lentement, révélant un spectacle digne des plus beaux rêves gourmands.
Sous les yeux ébahis des invités, une farandole de desserts, tous plus appétissants les uns que les autres, se dévoile. Leurs couleurs chatoyantes et leurs formes irrésistibles font naître des murmures émerveillés parmi les convives.
Il y a d'abord une montagne de tartes aux fruits rouges, la pâte dorée et légèrement caramélisée, chaque part généreusement garnie de framboises, de mûres et de groseilles, leur couleur éclatante contrastant avec la crème pâtissière onctueuse qui les enveloppe. À côté, se dresse un gâteau au chocolat d’un brun profond, sa surface lisse et brillante, accompagné d’une crème anglaise vanillée qui fait saliver rien qu’en y pensant. Puis, un clafoutis aux cerises, une tarte au citron meringuée, un grand baba au rhum, débordant de sirop parfumé et surmonté d’une crème chantilly aérienne, se dressent fièrement au centre de la table ou encore une grande charlotte aux fraises du jardin promettant une explosion de parfums.
Les yeux de tous se posent ensuite sur une forêt noire dont chaque bouchée devrait être un délice sucré et fruité. Un peu plus loin, un gâteau renversé à l'ananas, caramélisé à la perfection, une série de profiteroles garnies de crème pâtissière à la vanille, des éclairs au café, d’une finesse incroyable, des madeleines au miel attendent également sur une jolie étagère et enfin une charlotte au chocolat réalisés avec des biscuits roses de Reims, comme une invitation à la gourmandise.
Chaque dessert est une tentation, une gourmandise. Les enfants se précipitent vers la table, une explosion de couleurs et de saveurs qui les émerveille tous. Monique, Jeanne et Marie se tiennent en retrait, échangeant un regard satisfait, fières de cette œuvre collective. C’est un véritable banquet de douceurs, un festin pour les yeux et les papilles, où chaque bouchée semble effacer les traces du passé et nourrir les espoirs de l’avenir.
Pour accompagner divinement ces mets délicieux, Jacques, Claude, Lucien et Charles s'activent autour de la table, veillant à ce que chaque convive soit parfaitement servi. Avec une élégance tranquille, ils servent le champagne, frais et pétillant, dont les bulles légères apportent une touche d’effervescence à cette célébration festive.
Alors, Tom, accompagné de Juliette, se dirige vers les platines. Avec un geste sûr, il lance la musique, le vinyle crachant ses premières notes, plongeant immédiatement la cour dans une ambiance électrique. L'avantage de cette grande ferme isolée, loin de toute nuisance urbaine, c'est que personne ne viendra se plaindre du bruit.
Alors, sans hésitation, il monte le son, les basses résonnant dans les murs et les vibrations parcourant le sol comme un appel irrésistible à la danse. Il commence par une chanson dynamique, un classique des années 80, qui fait vibrer les premières notes dans l’air. Ses doigts dansent sur les platines, ajustant le tempo et les transitions avec une aisance déconcertante. Les invités, attirés par la musique entraînante, se tournent les uns vers les autres avec une forme d'impatience. Qui osera se lancer en premier ?
Tom, tout en jouant les DJ, invite les gens à se lever, à laisser leurs pieds suivre le rythme. Il tend un micro vers Monique et Claude, les deux protagonistes du jour.
— Allez, tout le monde sur la piste, la fête ne fait que commencer ! L'énergie monte instantanément. Les premières danseuses et danseurs se lancent, virevoltant dans des pas de danse spontanés, animés par la joie et l'excitation de ces retrouvailles. Suzanne, riant aux éclats, entraîne Madeleine dans un ballet endiablé, tandis que Marie, un verre de champagne toujours en main, se déhanche avec une énergie retrouvée, plus jeune que jamais.
Les lumières des lampions, tamisées par la douceur du soir, éclairent les visages radieux, et les rires se mêlent à la musique. Chaque chanson semble choisir son propre moment magique. Le dancefloor est envahi par des couples, des amis et même les adolescents qui, oubliant un instant leur timidité, se laissent emporter par la cadence. Puis, comme un clin d’œil au passé, Tom lance un morceau plus calme, une ballade intemporelle qui incite à l’étreinte, et les jeunes couples s’approchent, leurs corps se rapprochant naturellement, se balançant lentement au rythme de la musique.
— N’ayez crainte, l'aventure commence à peine! lance Tom dans le micro en riant, alors que tout le monde s'éclate dans cette atmosphère intime mais joyeuse, où les souvenirs se mêlent aux nouveaux liens qui se tissent sous la magie de la musique.
La musique s'intensifie et prend de l’ampleur à chaque chanson, la soirée gagnant en chaleur et en énergie. Tom, toujours aux commandes, jongle habilement entre les genres, passant d’un rythme entraînant à des morceaux plus lents pour laisser place à des moments d’intimité, tout en veillant à maintenir une ambiance légère et festive.
Juliette, tout sourire, se joint à lui près des platines, ses yeux brillants d'excitation. Elle se laisse entraîner dans l’ambiance, à la fois spectatrice et actrice de ce moment unique, voyant sa famille et ses amis s'abandonner à la fête. Tom, toujours aussi énergique, joue avec les foules, leur offrant des transitions habiles, des souvenirs et des moments à savourer.
Les danseurs se lancent dans des figures improvisées, certains osent des pas de danse effrénés, tandis que d'autres restent proches, se murmurant des mots doux dans une danse plus intime. Monique et Claude se retrouvent au centre de la piste, unis par un regard qui en dit long sur cette journée de réconciliation et de joie. Leurs visages illuminés, ils se laissent emporter par la magie du moment, les bras l’un autour de l’autre.
Madeleine, qui n’a plus l’âge de ses premières danses, retrouve une jeunesse d’esprit et de cœur, l'extase dansant sur son visage tandis que Suzanne, plus réservée de nature, se laisse entraîner dans cette joie collective.
À chaque morceau, les sourires deviennent plus grands, les gestes plus libres. Personne ne s'en soucie, la fête va de l’avant. Même les plus timides, les plus réservés, sont attirés par l’énergie contagieuse qui flotte dans l’air. Les tables sont maintenant vidées de leurs mets, et les convives ont laissé de côté les plats pour se laisser emporter par la danse, oubliant la fatigue du jour et les soucis passés.
Puis, comme un dernier clin d’œil, Tom choisit un morceau particulièrement nostalgique, un hymne intemporel qui rappelle à chacun les moments précieux partagés, les souvenirs enfouis dans le fond du cœur.
— Je veux voir tout le monde ! s’écrie Tom, avec son sourire espiègle, une touche d'humour dans la voix, tandis que les derniers invités se précipitent sur la piste de danse. L’énergie est électrique, une vague de joie déferle sur la ferme des Durieux, implacable et débridée, comme un souffle de liberté. Rien ne semblait pouvoir la stopper.
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