22 - Bouton 

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Ce n’était qu’un simple bouton de manchette en cuivre, terni par les ans.

Pas un bien familial d’une grande valeur sentimentale ni même un trésor unique en son genre. Kerri en avait vu des tas dans le quartier des tailleurs jusque dans les plus insignifiantes friperies. Il était pourtant dans son coffre à souvenirs depuis l’acquisition de ce dernier, alors qu’elle n’était qu’une enfant.

Pas qu’elle y gardait des objets de grande valeur, non, c’était un fatras hétéroclite qu’elle redécouvrait là. Une clé rouillée qui n’ouvrait aucune serrure. Le rouage d’une horloge qu’elle avait tenté de réparer, en vain, croyant se découvrir un talent inné en mécanique. Une minuscule aile de métal détachée du cadavre séché d’un papillon qu’elle avait voulu sauver. Des écorces d’orange qui ne diffusaient quasiment plus aucune fragrance.

Des vestiges du passé. Des babioles qui ne soulignaient que des échecs et des instants révolus, pourrait-on dire. Cela restait pourtant immensément précieux, à ses yeux. Aucune pièce de monnaie ne valait le jour où, en train de mourir d’ennui, l’Empereur lui avait donné la clé rouillée afin qu’elle explore le palais et n’y découvre moult recoins fascinants. Aucun bijou n’avait autant de grâce à ses yeux que ce rouage lui rappelant les heures qu’il lui avait accordées à tenter de réparer l’horloge, rien que tous les deux. Aucun repas fin n’avait de saveur aussi douce que celle de l’orange qu’ils avaient partagée, tous deux découvrant son goût acidulé.

Ils n’avaient certes pas sauvé l’horloge ni le papillon, mais la petite Kerri y avait appris la soif de se battre même pour des petites choses et qu’elle avait une oreille attentive et une présence indéfectible pour l’aider. Pas ses parents. L’Empereur. À la tête de terres, d’îles et de sujets par millions, il avait fait de son mieux pour sauver une vie minuscule, tout cela pour sécher les larmes d’une petite fille impuissante. Une petite fille qu’il avait également sauvée, chaque cliquetis de cœur le lui rappelant.

Le bouton de manchette était la seule anomalie dans ce joli bazar. Il n’était pas raccroché à l’homme qu’elle adulait ni même à un instant heureux. On ne le lui avait même pas offert. Elle l’avait involontairement arraché d’un coup d’ongles désespéré à la manche de son propre père tandis que lui arrachait volontairement son cœur de sa cage thoracique.

Le cliquetis dans sa poitrine s’emballa quelque peu à ce souvenir. Elle serra le petit bouton de cuivre dans son poing. Plusieurs fois, elle avait voulu le jeter dans un caniveau, là où les vomissures de whisky d’ivrognes, la pisse des miséreux et l’huile des automates détruiraient à jamais le peu d’éclat qu’il lui restait. Qu’il sombre dans l’oubli comme son géniteur qui avait fui car il ne supportait plus de voir ce à quoi elle avait survécu grâce à un homme qui l’avait surpassé en tant que figure paternelle.

Elle le gardait malgré tout. Elle préférait voir en ce bouton de manchette sa combativité. Elle n’avait pas courbé l’échine face au fanatisme et à l’ambition malsaine de ses parents. Elle s’était battue et débattue jusqu’au bout. Elle avait refusé la résignation. L’Empereur lui avait assuré que, sans sa résilience, aucune greffe n’aurait fonctionné. Ils avaient œuvré à deux pour sa vie et à deux, ils avaient passé les meilleures années de leur existence.

Voilà pourquoi, malgré un léger froncement de sourcils en faisant rouler le bouton de cuivre dans sa paume, Kerri le remit dans son coffret.

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