1 - Yilan
Printemps 2071
Il aurait fallu que tous et toutes, du nouveau-né au vieillard mourant, d’un bout à l’autre du monde, de toutes races, couleurs, religions ou obédiences, tous, dis-je, acceptent seulement de voir et reconnaître l’abîme. Il aurait fallu qu’en quelques mois, au plus quelques années, tous prennent la même longue respiration, ralentissent, baissent les yeux sur leur terre, y posent le front et pleurent. Vraiment tous, jusqu’au dernier, du plus puissant au plus insignifiant d’entre eux. Peut-être cela aurait-il changé les choses. Mais peut-être pas.
Tonton Louie dit qu’ils ne pouvaient pas savoir, qu’ils ne pouvaient pas imaginer, que l’esprit humain n’est pas conçu pour concevoir l’absence de couleurs de telles profondeurs abyssales. L’esprit humain croit toujours, espère et enjolive, il se refuse à l’absolue noirceur.
Mais MaLine, elle, dit qu’ils savaient depuis très longtemps, et que l’espoir n’est pas une excuse, jamais, en aucun cas. L’espoir est un sale tas de haillons posé sur un cadavre puant pour laisser croire qu’une belle fille s’y dissimule, dit-elle encore. MaLine n’a plus d’espoir et elle enferme Tonton Louie dans le silence.
Moi, je pense qu’il aurait fallu seulement qu’ils arrêtent d’être. D’être des êtres humains, je fais exprès de répéter l’être. Et ils ne le pouvaient pas.
Nous, nous allons simplement cesser d’être. Mais en humains, j’espère. Je vais écrire cette histoire pour cela.
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