11 - Suzie

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Mercredi 24 avril 2019

Je jette un œil aux actualités sur Facebook, Olympe ronronnant sur mes genoux. Sherlock miaule dans la cuisine, espérant que Juan lui donne les restes du repas du soir. De nombreuses informations défilent sur l’écran de mon téléphone, notamment les appels aux dons pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris à la suite de son spectaculaire et triste incendie. Suivent les polémiques à cause des dons faramineux des plus grandes fortunes de France, alors que ces personnes pratiquent l’évasion fiscale à grande échelle. Je continue à scroller. Deux mille trente citoyens ont bloqué quatre tours du quartier de la Défense, le quartier financier de Paris, en protestation contre l’inaction des élites concernant le changement climatique. Un autre article annonce que pour la première fois, les tortues luths ne sont pas venues pondre sur les plages du Nicaragua… Tout cela côtoie des recettes de cuisine, des bandes-annonces de films, des blagues, des débats… Comment les humains de demain comprendront ce joyeux et désespérant foutoir qu’est un réseau social numérique ?

J’ai manqué de motivation pour écrire ces derniers jours, naviguant entre culpabilité, fatigue, engouement et contraintes. Mais j’ai remis le pied à l’étrier en imaginant les réactions d’une personne qui me lirait dans quelques décennies. Je me dis que c’est sûrement vaniteux de vouloir être trouvée et lue. Et puis, tant de choses peuvent se passer ! Je peux égarer mon carnet, ou bien arrêter d’écrire. Il peut être détruit de mille façons… Et, surtout, il peut rester à dormir dans une bibliothèque ou un coffre, sans intéresser jamais quiconque. Peut-être même qu’il n’y a plus personne pour le lire…

Mais s’il y avait quelqu’un ? Si ces quelques mots étaient comme un trait envoyé à travers le temps ? Dans ma tête se forme l’image d’une flèche attachée à une corde, permettant une communication, et même, une évasion.

S’il y a bien quelqu’un, si je ne suis pas seule, comment donc cette personne perçoit-elle mes modestes notes ? Peut-être que les gens d’alors sont furieux contre ma génération, qui a encore le pouvoir de limiter la casse à défaut de pouvoir échapper au désastre, mais qui pourtant n’agit pas collectivement, ne fait rien à grande échelle. Ou bien nos descendants ne se rendent pas compte à quel point nous avons, nous les humains des années 2010-2020, un rôle décisif à jouer.

Un rôle que la plupart d’entre nous rechignent à endosser, pour dire vrai. Parce que partir en vacances dans un autre pays, c’est chouette. Parce que l’avion coûte souvent bien moins cher que le train. Parce que rares sont les personnes avec un désir d’enfant capables d’y renoncer ou de le réduire par conscience écologique. Parce qu’il est si facile et agréable de manger de la viande à tous les repas. Parce qu’organiser sa vie sans voiture, c’est réellement compliqué, voire impossible pour la majorité des gens, contraints de vendre leur temps de vie en échange d’un salaire leur permettant de (sur-) vivre. Parce que cela demande tellement d’énergie d’aller à contre-courant ! Parce que la transition est complexe et difficile à organiser. Parce que le découragement pointe aisément face aux catastrophes constatées ou annoncées à chaque coin de la planète, et lues en direct sur internet.

Je pourrais continuer des heures… Il y a des milliers de raisons, des milliards. Autant que les sept milliards sept cent millions d’humains sur la planète. Hum, je rectifie mon raisonnement de riche occidentale : autant que les quelques milliards d’humains qui vivent au-delà des capacités de régénération de notre planète. Une grosse partie de la population mondiale, malgré toutes nos richesses, vit dans le plus extrême dénuement.

Des scientifiques calculent chaque année le jour du dépassement, c’est-à-dire le jour où l’humanité a dépensé plus de ressources que la planète n’en génère en une année. En 1985, c’était le dix-neuf décembre. En 2009, le vingt-cinq septembre. En 2016, le huit août. Et chaque année, nous vivons de plus en plus à crédit. Combien de temps cela peut-il donc durer ?

Les personnes qui comme moi se renseignent sur tout cela oscillent entre deux postures. « Mais pour ma sécurité et celle des gens que j’aime, pourvu que ça tienne le plus longtemps possible ! » et « Mais pour notre espèce et toutes les autres actuelles, pour notre biodiversité et nos minces chances de survie, pourvu que notre civilisation s’effondre le plus tôt possible ! » Un dilemme aliénant.

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