17 - Suzie

3 minutes de lecture

Dimanche 23 juin 2019

À quoi ressemblera la nuit lorsqu’elle ne sera plus éclairée par les lampadaires et les enseignes lumineuses ?

Nous ne connaissons plus la vraie nuit. Les gens des villes voient à peine les étoiles. Ceux de la campagne en profitent un peu mieux — s’ils sont éloignés de l’éclairage public — mais leur perception est atténuée par la pollution lumineuse des villes et villages proches. Il n’y a que dans les endroits encore à peu près déserts qu’on peut la trouver, dans les parcs naturels, dans quelques vallées inhospitalières, en haut de plus hautes montagnes… Alors, elle prend toute son ampleur, la voûte céleste semble presque atteignable, le vertige me prend. Allongée au sol dans la tiédeur d’une nuit de juin, ma perception s’inverse et je plane au-dessus d’un océan tacheté.

Cela rend humble, les étoiles. Je pense à la taille incroyable de ces minuscules points, visualisant de probables planètes gravitant autour. Quelque part, il y a sûrement des formes de vie possédant une conscience d’elles-mêmes. Je me souviens qu’en regardant le ciel on ne voit que le passé, puisque la lumière que je reçois des étoiles en cet instant a été émise il y a des millions, voire des milliards d’années. Je souris en imaginant un extraterrestre observant dans son puissant télescope quelques humanidés hésitants commençant la conquête de leur planète.

Comme nous sommes allés vite, pour nous multiplier et nous adapter à tous les territoires de la Terre ! Pour la modifier irrémédiablement, pour engloutir ses ressources. Pour nous l’approprier et nous penser séparés d’elle, supérieurs. À présent, c’est elle qui nous dépasse, telle une locomotive lancée à pleine vitesse par le feu que nous avons nous même allumé, sortant des rails, suspendue dans cet éternel — et si court ! — instant avant l’atterrissage.

Je me demande quelle perception les gens du futur auront du passé, de mon présent. Parviendront-ils à se représenter que nous sommes actuellement presque huit milliards d’humains sur la planète ? Que même pour moi, qui vit à cette époque, qui ai déjà pris des « bains de foule », qui sait à quel point il y a des dizaines de milliers de villes, des millions de villages sur Terre, c’est impossible à imaginer ?

Je visitais les continents et les mers il y a quelques jours en furetant dans un atlas du monde. J’explorais l’Argentine, la fosse des Mariannes, la Russie, les îles du Pacifique… m’étonnant comme à chaque fois de la grandeur et de la diversité folle de cette petite bille bleue sur laquelle nous vivons. Je me demandais quels endroits vont disparaître — comme le Bangladesh — et comment les climats locaux vont évoluer. Où seront les savanes, les prairies, les forêts ? J’imagine l’Arctique recouvert de végétation et cela me semble tellement incongru ! À quoi ressemblent les Alpes dans quelques décennies, dans quelques siècles ? Les arbres pousseront-ils plus haut ? Combien de cours d’eau auront tari ? Combien de glaciers auront fondu ?

Les dernières actualités glissent sur mon écran : L’industrie mondiale qui entre en récession, les droits des chômeurs encore rabotés, un référendum pour empêcher l’Etat de privatiser les aéroports, la déforestation record en Amazonie le mois dernier, les vagues de chaleur mortelles en Inde, la famine due à la guerre au Yémen, la baisse de la fertilité due à la pollution… Et au milieu de tout ça, une vidéo où des passants crient à la privation de liberté lorsque le journaliste demande ce qu’ils pensent de l’idée d’interdire un certain nombre de voyages en avion.

Olympe vient appuyer sa tête contre la mienne. Je vais poser mon téléphone et mon carnet, et me faire une verveine.

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