Chapitre 9 : Éveil

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La perdition mentale de l'hôte ne cessait de repousser les frontières du possible. En l'absence d'interlocuteur avec lequel échanger, il se mit à parler tout seul :

-Mon cœur ne pompe plus que haine et rage. La frustration dévore mon esprit, la déception lacère mes entrailles. La nostalgie me pousse à me dire que mon monde me manque... Ou plutôt la sérénité que j'en retirais. Pourtant je n'ai aucune envie de le reconstruire. Les ruines de mon monde reflètent l'épave que je suis devenu.

Il balaya à nouveau ses terres du regard, contemplant la dévastation qui le rongeait. Il arborait un sourire carnassier aux lèvres en observant ce qu'il nommait être un délectable charnier. Les flammes continuaient de dévorer son monde... toute verdure avait disparu, les cadavres empalés se substituaient aux arbres, certains encore vivant, jouissaient d'une délicieuse agonie. La douleur n'avait plus de sens pour eux... La libération d'une mort imminente était la seule chose qui les habitaient, ils accueillaient tous leurs fins avec joie.

Finalement, n'était-ce pas une représentation plus réaliste du bonheur qu'il s'imaginait ? Un amoncellement de désolation, de mort, de destruction. Pourquoi chercherait-il à se mentir dans une représentation idyllique d'un bonheur fugace, aussi éphémère qu'inutile.

Baigner dans ce tourment avait au moins le mérite d'être salvateur. Malgré lui, il s'y était habituait, cela commençait même à le rassurer.

La seule ombre sur ce portrait macabre était ce large vautour aux ailes d'obsidienne, qui volait en cercle autour de lui, comme une épée de Damoclès animée que sa Némésis incarnait. Il savait pourtant que pour le moment, son antagoniste ne ferait rien.

En soupirant il s'exclama :

-Même mes démons me délaissent. Toi aussi tu vas me décevoir ? Toi aussi tu vas sombrer dans l'oubli de mon inconscient déliquescent ? Je t'ai aimé, haï, savouré, je t'ai donné la vie, je te l'ai reprise. Tu étais mon jouet autant que mon idole. Et maintenant... plus rien ? Cette farce perpétuelle me lasse... Ne serait-il pas temps de rompre le cycle ?

Levant les yeux et les bras au ciel, il hurla à s'en époumoner.

-Ne serait-il pas temps d'en finir ? Ne serait-il pas temps d'en finir ? Ne serait-il pas temps d'en finir ? J'en ai assez d'être fort... Je n'ai plus rien à prouver à personne. Pourquoi devrais-je m'en vouloir ? Je n'attends plus rien de ces mondes, je n'attends plus rien de personne. Je n'aspire qu'à la fin de cette farce existentielle. Je n'aspire qu'à ma fin.

Se prenant d'intérêt pour le cadavre le plus proche, Il s'approchait de son congénère d'un air décidé, trempa un doigt dans le trou béant creusé par le pieux magistral qui ébranlait son nombril. Il dessina un sourire de sang sur son propre visage.

Ça y est.... C'est la fin.

Bonsoir Folie. Adieu Solitude.

Aussitôt qu'il eut totalement lâché prise avec toute forme d'espoir, le vautour gargantuesque fondit sur lui pour le projeter à terre. Désœuvré mais sans la moindre envie de combattre, il lui hurla :

Viens, je n'attends que ça, libère-moi comme tu les as libérés. Montre-moi que tu es au-dessus d'eux. Surpasse-moi. Délivre-moi de cette existence futile. Il est temps.

Le nécrophage vint becter son ventre, délivrer ses intestins de leurs prisons de chair sous les gémissements poussés de sa victime jusqu'à ce que ses boyaux en arrivent à former une fleur sanguinolente de viscères.

Quand il eût fini, il planta ses serres dans l'épaule de son créateur, déploya ses ailes pour s'envoler avec lui jusqu'au donjon qui fut jadis le sanctuaire de sa proie.

Le vautour fonçait sur le mur le plus proche qui aussitôt s'ébranla sous la force de l'impact. Sa destination était claire, il défonça rempart sur rempart, afin de les ramener vers la salle de leur dernier dialogue.

La salle était telle qu'ils l'avaient laissés. Un carrelage en damier, deux chaises et une ampoule branlante au plafond. Il jeta son hôte à terre et se prit d'intérêt pour l'ampoule. A y regarder de plus près, l'ampoule était vissée sur ce qui semblait être un crochet de boucher.

D'un coup de bec, il arracha l'ampoule puis repris le corps de son hôte entre ses serres pour venir l'empaler sur le crochet, formant ainsi un chandelier humain avec les viscères de son maître.

Si tôt qu'il eut fini sa funèbre entreprise, son corps se métamorphosa en un être hybride mi-homme mi- oiseau, un bipède dont le dos était hérissé de plumes éparses aux mains aiguisé comme des serres, un visage prenant une expression grave seulement trahi par le ton sardonique de sa voix

-A présent que tu es confortablement installé et que le cadre s'y prête, nous allons pouvoir entamer la discussion.

L'hôte fut secoué par un rire effroyable interrompu par des hoquets de douleur. Crachant une gerbe de sang il lui rétorqua :

-Merci beaucoup de ton aide, j'apprécie beaucoup les efforts que tu fais.

-Je ne suis pas venu pour te torturer.

-Ah vraiment ? Permets-moi d'en douter, les apparences ne jouent pas en ta faveur... En tout cas excellente mise en scène, j'ai hâte de voir le scénario de cette navrante pièce de théâtre.

L'hôte répondit presque comme si la situation l'indifférait totalement, la peur l'avait quitté, autant que toute forme d'équilibre mental.

-Oui, vraiment. Je suis porteur d'une proposition que j'aurais l'audace de qualifier comme... attrayante, ouvres tes oreilles et ton âme. Je te parle souvent d'en finir... de quitter cette vaine existence toutefois tu n'as jamais su t'y résoudre. Je comprends bien pourquoi tu t'y refuses, je ne t'en hais pas moins. Je te méprise car malgré tout ce que tu en dis, ce n'est par conviction que tu te retiens, ton abnégation naît de ta culpabilité. Une forme de culpabilité par anticipation. Tu anticipes la douleur que ta mort pourrait causer alors tu t'abstiens ? Les mots me manquent pour décrire l'ineffable bêtise qu'est ce mensonge que tu prétends vivre.

Paradoxalement, tu as également envie d'en finir par culpabilité, culpabilité de mener une vie qui ne sera jamais à la hauteur de tes désirs, de tes aspirations. Une existence sans but ni envie, ni passion. Cette culpabilité se mue déjà en haine qui, inexorablement, finira par te consumer.

Or l'horloge tourne.... Que feras tu quand tu ne pourras plus le supporter ?

Je ne suis pas venu proférer de vaines menaces ou te molester mais pour te proposer un compromis.

-Un compromis ? Depuis quand es-tu devenu autre chose qu'un être de pulsion ? Devinerais-je une forme de sagesse en toi ?

-Ta sagesse t'as abandonné pour se fondre en moi. Ce que tu abandonnes, je l'accueille avec joie. Voici ce que je propose. Tu ne veux pas vivre, mais tu n'as pas envie d'exposer ton cadavre, tu veux que ta souffrance reste tienne et qu'elle n'éclabousse pas les autres, c'est... envisageable. Nous pouvons disparaître tous les deux sans que ton corps n'en souffre trop, du moins pas physiquement. Nous pouvons en finir définitivement. Voilà des années que nous nous combattons vainement, et pour terminer cette lutte, je te propose d'anéantir ton âme. Nous ne serons plus. Du moins plus sur ton plan d'existence d'origine, mais ton corps continuera d'exister. Ton enveloppe charnelle mènera une existence sans but, sans envie, sans émotion, ni passion, ni sentiment, ni crise existentielle.

Le sinistre candélabre fut secoué par un rire désespéré.

-Qu'est-ce que cela va changer au juste ?

-Notre enveloppe deviendra une carcasse vide, uniquement animée par l'instinct animal. Uniquement en vie car l'absurdité de l'existence a décidé que tu viendrais au monde. Une coquille vide. Pas un légume, non.... Simplement un animal à peine doté de conscience. Ce que je te propos, c'est une mort de l'âme. Tu profiteras d'un repos éternel tout comme moi, ce que je t'offre ce n'est pas la mort mais la sérénité.

-Et donc... nous disparaîtrons ?

-N'est-ce pas la seule chose que tu n'aies jamais désiré ?

L'expression de démence qui habitait l'hôte s'effaça petit à petit.

-Piètre capacité d'empathie, comme toujours, chère Némésis. Bien que je ne puisse t'en vouloir, tu es né de ce désir de mort. Ma fin m'obsède, oui... mais ça n'est qu'une conséquence de cette vie...fade, terne, morose, lassante, avilissante ... Ton offre n'est que partiellement intéressante. Néanmoins, quelque chose a attiré mon attention dans ton discours. Tu as dit que je n'existerais plus dans mon plan d'existence d'origine, oui... Mais ici, oui ? Si je reformule ta perfidie, il ne s'agit que de disparaître du monde réel et de ... vivre ici ?

Alors qu'un sourire machiavélique s'étendit sur les joues de l'homme-vautour, il répondit :

-C'est exactement cela.

-Et naturellement nous cohabiterons pacifiquement jusqu'à ce que bon nous semble ?

-Pas le moins du monde

-Parfait. Il s'éprit d'un rire qui fit vaciller jusqu'aux fondations de son monde et reprit : en ces termes, cela me semble parfaitement raisonnable.

Bourreau, fais ton office.

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Violemment arraché de son monde onirique, 276 rouvris les yeux en essayant de se remettre, luttant péniblement pour reprendre mon souffle.

-Était-ce un rêve ou avais-je réellement façonné ma réalité par mon interaction avec ma conscience ? Suis-je réellement entier ? Ou toujours emprisonné en mon for intérieur ?

Si tel est le cas, me faut-il lutter pour me remparer de moi-même ? Les raisons qui m'ont poussé à m'enchaîner en moi-même ne sont-elles pas toujours d'actualité ?

Un somnifère rendit ces questions futiles.

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