2. Voyage et gueule de bois
Quand Seongveï ouvrit les yeux le lendemain, un rayon de soleil filtrait à travers les volets fermés, atterrissant perfidement en plein sur son visage.
Il dut faire un effort pour se rappeler qu’il était dans une chambre de la taverne où il avait passé l’après-midi et la soirée.
Il referma immédiatement les paupières, ce qui lui permit de mieux se concentrer sur le martèlement des sabots sous son crâne. Dans sa bouche pâteuse, sa langue lui collait au palais. Il rêvait du broc d’eau qu'il savait posé sur le rebord de la fenêtre.
Mais dès qu’il esquissa un mouvement pour se redresser, il fut pris de vertiges et eut le cœur au bord des lèvres. Plus inquiétant encore, ses intestins s’agitèrent avec des spasmes douloureux.
Suant à grosses gouttes, il parvint à s’extraire de la paillasse où il était allongé et à sortir de la chambre. Il dévala l’escalier, manquant de tomber à chaque marche, et se précipita vers la cour intérieure.
Il atteignit de justesse les latrines où il se vida. Longtemps.
Une fois ce pénible moment terminé, Seongveï prit quelques instants pour retrouver son souffle et un semblant de dignité. Puis, il retourna dans l’auberge où il devait rassembler son paquetage, maudissant le ragoût de la veille, qui était sans nul doute responsable de tous ces maux — il ne saurait accuser l’eau-de-vie. Hors de question de prendre son petit déjeuner ici ! Et de toute façon, rien qu’à cette idée son estomac se révoltait.
Le chemin du retour vers Saintes-Vallées allait être très long. Il avait prévu quatre jours, mais dans son état, il devrait faire plus de pauses qu’escompté.
Au moment de partir, il scruta le ciel. Finalement, le temps lourd et humide de la veille avait laissé place à un soleil rayonnant. Il s’en réjouit : la tempête qui s’annonçait n’aurait pas lieu, ou était déjà passée…
La première journée de son voyage fut aussi longue et pénible qu’il s’y attendait. Ironiquement, la seule éclaircie au tableau fut la petite pluie fine, venue chasser le chaud soleil de fin d’été. Elle éloigna son mal de tête et lui désembruma l’esprit.
Le soir venu, il atteignit sa première étape, la demeure d’un ami marchand de vin. Il se promit de ne boire que de l’eau s’il voulait arriver chez lui avant l’hiver ! Il s’y tint. Le lendemain matin, revigoré, il put reprendre sa route de bonne heure.
Le temps s’annonçait ensoleillé mais plus frais. Un temps idéal pour une journée à cheval.
Les deux jours suivants furent agréables. Il emprunta le chemin de la côte, longeant les falaises, les champs de sarrasin, les petites criques désertes et laissant son esprit vagabonder.
Au matin du quatrième jour de voyage, après une courte nuit dans une grange, il fit halte face à un paysage qu’il ne se lassait jamais de contempler. La marée basse découvrait l’immense baie sablonneuse et miroitante, qui menait à un promontoire rocheux. Sur celui-ci, se dressait, majestueuse, une église érigée par les Ancêtres. Presque parfaitement conservée, elle semblait hors du temps, sculptée dans le souvenir d’un monde disparu il y a bien des milliers d’années.
Songveï s’y était déjà rendu à plusieurs reprises, afin d’assouvir sa soif de connaissances.
Il faisait partie d’un petit groupe qui s’était donné le nom d’Istorikis. Ce terme, issu de la langue commune oursasienne, voulait dire « fouilleurs du passé ». C’était un regroupement de passionnés, à la recherche des racines de l’humanité. Ils cherchaient à connaître et comprendre qui étaient les Ancêtres qui les avaient engendrés et comment ils avaient disparu.
Seongveï, depuis sa jeunesse, était l’un des membres les plus actifs du groupe. Il parcourait régulièrement le monde, parfois en repoussant les limites connues, dans des territoires hostiles, à la recherche de traces des civilisations anciennes.
Mais depuis de nombreuses années maintenant, il était peut-être l’un des derniers réellement attiré par le savoir contenu dans les artefacts qu’il dénichait. Au fil des ans, le groupe s’était transformé en un ramassis de chasseurs de trésors sans autre boussole que l’appât du gain. Certains hommes fortunés étaient prêts à payer très cher pour posséder une relique qui avait appartenu aux Ancêtres.
La découverte récente de Seongveï, grâce à ces deux marins, était formidable; il avait du mal à croire à sa chance. La fondatrice des Istorikis, que Seongveï avait bien connue, avait sollicité l’aide du groupe il y a neuf ans pour retrouver un garçonnet qui avait fui le Scandinor.
Il en était sûr, c’était ce garçon qu’elle recherchait. Mais sachant ce qu’elle et le groupe des Istorikis étaient devenus, il n’avait aucune intention de partager avec eux sa découverte. Il ne savait pas grand-chose sur l’enfant et pourquoi il pouvait intéresser les Istorikis, mais il était bien décidé à en savoir plus.
Alors qu’il était perdu dans ses pensées, de lourds nuages noirs s’étaient amoncelés au-dessus de la mer. Les rayons du soleil perçaient cette masse sombre, jetant une lumière irréelle sur le paysage. La flèche de l’église, baignée de lumière dorée, ressemblait à une épée divine prête à pourfendre la masse nuageuse.
Il le savait, les nuages, avec ou sans aide, allaient déverser leurs masses d’eau très bientôt, il devait se hâter.
Il n’était plus qu’à deux jours de son foyer, qu’il lui tardait de retrouver. Il espérait pouvoir faire le trajet d’une seule traite, en voyageant de nuit et en utilisant une monture fraîche au relais de Fordinan.
Encore une ville où les vestiges du passé étaient nombreux, mais il n’aurait pas le temps de s’y attarder. Il poussa son cheval jusqu’aux dernières limites et arriva à destination peu après le zénith du cinquième jour.
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