2. Sauvés in extremis

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Sizel sortit de sa chambre, alertée par les bruits de l’attaque. Elle tomba sur Yvonig, qui sortait de la sienne, vêtu d’une tunique de cuir, une épée à la main.

  • Sizel ! Rentre, habille-toi, trouve une arme et va dans la chambre des jumelles !, lui chuchota-t-il, avec dans le regard un mélange de terreur et de détermination.

Il ne lui laissa pas le temps de répondre et se dirigea à toutes jambes vers l’escalier. En lui jetant un dernier regard par-dessus son épaule, il murmura :

  • Je vais les empêcher de monter.

La jeune femme s’apprêtait à rentrer dans sa chambre pour s’exécuter, mais se ravisa. Elle n’avait rien qui puisse lui servir d’arme et se dit qu’elle serait plus avisée d’aller immédiatement auprès des deux fillettes. Elle commença à s’avancer dans le couloir, mais elle n’eut pas le temps de faire trois pas qu’elle entendit des bruits de lutte dans l’escalier, puis le choc sourd d’un corps qui s’effondra et dévala les marches.

Elle plaqua sa main sur sa bouche et sentit grossir dans sa gorge une boule d’angoisse et de chagrin, qui lui coupa le souffle pendant quelques secondes. Elle n’avait aucun doute sur l’identité du vaincu.

Sa peine ne fit que renforcer sa détermination à protéger ses sœurs. Mais elle perçut clairement le claquement des bottes montant l’escalier dans sa direction. Elle aperçut l’ombre des assaillants sur le mur, qui se rapprochaient du palier. Ils étaient au moins deux.

La porte des jumelles était trop loin : elle ne pouvait l’atteindre avant qu’ils ne surgissent. Alors elle s’engouffra dans la chambre la plus proche, celle de Nonamé.

Le jeune garçon était justement debout derrière la porte, en chemise de nuit, le regard affolé. Elle le repoussa à l’intérieur et se cacha contre le mur, laissant la porte entrebâillée pour voir ce qui se passait.

Deux hommes en armure avançaient dans le couloir. Le cœur de Sizel s’arrêta lorsqu’ils entrèrent dans la chambre des jumelles, à quelques pas d’eux. L’attente de quelques secondes lui sembla durer une éternité, avant que les cris de terreur des deux fillettes ne se fassent entendre.

Une douleur incommensurable explosa dans la poitrine de Sizel, qui s’apprêtait à s’élancer pour aider les jumelles.

Deux hommes en armure avançaient dans le couloir. Le cœur de Sizel s’arrêta lorsqu’ils entrèrent dans la chambre des jumelles, à quelques pas d’eux. L’attente de quelques secondes lui sembla durer une éternité avant que les cris de terreur des deux fillettes ne se fassent entendre. Une douleur incommensurable explosa dans la poitrine de Sizel, qui s’apprêtait à s’élancer pour aider les jumelles .

À ce moment, Nonamé tomba à genoux en se cachant les oreilles avec les mains, prêt à crier. Malgré l’urgence de la situation, Sizel savait que révéler leur position leur serait fatal. Elle le bâillonna de sa main et le releva. Leurs regards se croisèrent, et celui de l’enfant était étonnamment froid et serein. Elle ôta sa main, et d’une voix étrangement posée, il prit la parole :

  • Nous ne pouvons rien pour elles. Notre seule chance est de fuir sans bruit.

Sizel resta sans voix devant tant de sang-froid. Son premier réflexe fut de se sentir révulsée par l’idée d’abandonner les enfants. Et bien que la rage enflammât tout son corps, elle ne put que reconnaître qu’il avait raison. Le silence de mort qui régnait soudain à leur étage la heurta de plein fouet. Les cris s’étaient tus. Tout était fini.

La chambre où ils se trouvaient était la suivante sur le palier. Sans arme, ils n’avaient aucune chance. L’instinct de Sizel pris le relais, reléguant la douleur dans un coin sombre de son esprit. Cette pièce communiquait avec la chambre d’Yvonig qui donnait sur la façade ouest. Elle prit Nonamé par le bras et l’entraîna à sa suite, jusqu’à la fenêtre de la seconde chambre, qu’elle ouvrit avec le moins de bruit possible, puis lui fit signe d’avancer. Il la regarda sans comprendre.

  •  En nous accrochant à la glycine, on va pouvoir se laisser glisser jusqu’à l’escalier extérieur, expliqua Sizel en chuchotant.

Il hocha la tête, décidé. La jeune femme remercia les dieux qu’il ne fût pas perdu dans sa tête en cet instant. Déjà, elle entendait les deux assassins qui s’avançaient dans le couloir avec une lenteur écoeurante. Ils faisaient durer le plaisir, savourant la terreur qu’ils savaient provoquer chez leurs futures victimes.

Nonamé passa en premier par la fenêtre et s’en tira sans difficulté. Sizel savait à quel point il était bon grimpeur. Elle le suivit avant même qu’il ne soit arrivé en bas, afin de ne pas perdre de temps, priant les dieux que la plante grimpante supportât leur poids. Dans un éclair de lucidité, elle pensa à refermer la fenêtre du mieux qu’elle put, dans l’espoir que les assaillants croient la chambre vide et ne regardent pas par là.

Arrivés tous deux sur le petit palier en bois qui menait au couloir du premier étage — où se trouvaient la chambre des parents de Sizel et l’étude de son père — ils constatèrent que la porte était grande ouverte, et des bruits de saccage leur parvinrent du bureau de Seongveï.

Ils se baissèrent au maximum pour ne pas être vus depuis les fenêtres et descendirent précautionneusement les marches en bois, afin de limiter les craquements. Ils atterrirent rapidement dans l’arrière-cour, où les attendait une vision d’horreur.

Juste sous l’escalier gisait Ayden de Sainte-Vallée, méconnaissable. Son visage, complètement tuméfié, attestait de la violence des coups qu’elle avait reçus. Prise de nausée, Sizel vit sa chemise de nuit, imbibée de sang, relevée au-dessus de son bassin, laissant son intimité meurtrie offerte au froid mordant de la nuit.

Cette vision brisa un peu plus la jeune femme. Le temps pressait, car déjà les hommes du deuxième étage devaient être dans la chambre et pouvaient ouvrir la fenêtre à tout moment. Elle prit le temps de baisser la chemise de nuit de sa mère pour lui rendre un peu de dignité, l’embrassa sur le front en lui fermant les yeux, et fit signe à Nonamé d’avancer.

Sa douleur avait atteint un tel stade qu’elle avait l’impression d’être en dehors d’elle-même, de se voir comme un spectateur extérieur.

Ils avancèrent discrètement en longeant le mur, sous le couvert des marches qui grimpaient le long de la façade.

Sizel aperçut un cadavre à quelques pas, qu’elle n’avait pas remarqué avant. Il portait une cotte de mailles légère, et une lacération béante ouvrait sa gorge. En quelques secondes, elle comprit ce qui s’était passé.

Ses parents avaient dû s’enfuir discrètement par l’accès extérieur et tomber sur l’homme chargé de le surveiller. S’en était suivie une lutte féroce, et son père était parvenu à tuer le garde. Mais à en juger par la taille de la flaque de sang qui ne semblait pas appartenir au cadavre ennemi son père avait été gravement blessé. Peut-être même avait-il sombré dans l’inconscience. Sizel espéra que c’était le cas et qu’il n’ait pas assisté au calvaire de sa femme. Mais il n’était pas là, et des traces de sang s’éloignaient du lieu du drame.

Son père avait survécu et était parvenu à ramper sans que les bourreaux ne l’aient vu. Un fol espoir fit battre le cœur de Sizel à tout rompre : son père était peut-être en vie !

Mais quelques mètres plus loin, sa joie fut brutalement éteinte. Son père gisait par terre, le visage blafard, dans une mare de sang.

Elle se figea, incapable d’encaisser encore la mort d’un membre de sa famille, surtout pas celle de son père tant aimé. Nonamé, toujours étonnamment alerte cette nuit-là, réagit à sa place et se porta aux côtés du corps inerte. À peine eut-il effleuré Seongveï qu’il se retourna vers Sizel :

  •  Il respire ! Sizel, il est vivant !, chuchota-t-il.

Ce fut un électrochoc pour la jeune femme, qui accourut. Elle dégagea délicatement les cheveux poisseux qui collaient au visage de son père et murmura un « Papa ? » plein d’espoir. Péniblement, le mourant ouvrit les yeux. Ses pupilles se contractèrent dès qu’il parvint à faire le point sur le visage de Sizel. Avant qu’il ne pût prendre la parole, Nonamé chuchota encore, tremblant :

  • Sizel, on ne peut pas rester là. Ils arrivent…

En effet, on entendait des cris et le claquement des bottes dans la maison, qui se dirigeaient vers l’escalier extérieur. Ils avaient dû comprendre qu’il manquait deux membres de la famille.

  • Sizel… fuis avec Nonamé… souffla Seongveï, articulant avec peine.
  • Papa, on va te porter à l’abri, on n’a pas de temps à perdre !, répondit Sizel avec ferveur.
  • Pas le temps, oui… Fuis maintenant. Ils veulent Nonamé. L’Aube… ils le veulent… ils ne doivent pas…, marmonna encore Seongveï, qui luttait pour ne pas s’évanouir à nouveau.

Nonamé tirait la manche de Sizel pour attirer son attention alors que deux silhouettes encapuchonnées descendaient les escaliers de bois.

  • Je ne comprends rien, Papa. Qu’essaies-tu de dire ? On a encore le temps de partir !, reprit la jeune femme, un sanglot dans la voix.
  • L’Aube du Passé… sauve-le…, dit encore son père avant de pousser son dernier soupir.

Sizel le secoua pour le faire revenir à lui alors que Nonamé reculait face aux deux silhouettes sans visage qui s’approchaient de lui.

C’est alors que Klézée apparut, telle une déesse de la guerre, épée au clair, couverte de sang et de suie, juchée sur Calme et tenant Piaff par la bride. Elle se plaça entre les encapuchonnés et le petit groupe. Elle attrapa le bras de Nonamé, qui ne se fit pas prier et grimpa sur le cheval de la maîtresse d’armes. Elle cria à Sizel d’enfourcher Piaff.

Une nouvelle fois, le cerveau de Sizel se mit en mode survie et bâillonna sa douleur. D’un saut leste, elle grimpa sur le dos de Piaff alors que les deux hommes avaient sorti leur poignard et tentaient d’approcher. Mais la monture, nerveuse, fit des embardées qui les forcèrent à reculer. Alors, le petit groupe de rescapés s’enfuit au triple galop, contournant la bâtisse pour rejoindre la cour principale, renversant et piétinant ceux qui se trouvaient sur leur passage.

Sizel aperçut du coin de l’œil le massacre des chevaux et salua intérieurement l’efficacité de Klézée. Leurs ennemis ne pourraient pas les poursuivre.

Le groupe s’élança à travers la cour, alors que des hommes tentaient de refermer la porte du mur d’enceinte — trop tard, elles étaient déjà sur eux. Pour la forme, Klézée éventra l’homme le plus proche en passant la porte.

Déjà, des flèches sifflaient à leurs oreilles, tirées par des archers tentant d’arrêter leur chevauchée effrénée. Elles entendirent vaguement quelqu’un crier qu’il ne fallait pas tuer l’enfant, puis la distance étouffa les voix.

Arrivée sur une petite colline qui surplombait le domaine, hors de portée de leurs ennemis, Sizel s’arrêta et contempla la vision d’apocalypse qui s’étalait en contrebas. Le brasier qui dévorait le domaine de Saintes-Vallées colorait la nuit de teintes orangées.

Au petit matin, il ne resterait que des cendres. Les flammes, qui s’apprêtaient à incinérer les dépouilles de sa famille, faisaient écho à la rage brûlante qui s’emparait de Sizel.

Sous l’œil rond et inquisiteur de la pleine lune, Sizel fit le serment de venger les siens avec autant de brutalité et de souffrance qu’il leur en avait été infligé.

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