2. Bouffonneries

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Le lendemain matin, Klézée fut la première réveillée. Elle se prépara et se rendit dans le salon où elle trouva de quoi se restaurer sur la table devant l’âtre. Elle n’avait pas entendu entrer la servante et se morigéna de son manque de vigilance.

Elle s’approchait de la table lorsqu’elle s’aperçut que les portes de Sizel et Nonamé étaient ouvertes.

Son cœur s’emballa et son pressentiment funeste refît surface. Les paumes moites, elle dégaina son poignard avant d’entrer en trombe dans la chambre de la première. Le lit était vide. Elle se précipita dans celle du garçon.

Son inquiétude retomba immédiatement. Elle les vit, tous deux profondément endormis, tête contre tête.

Elle referma discrètement la porte derrière elle et décida qu’elle aurait les idées plus claires après s’être restaurée; elle se servit un généreux morceau de pain, qu’elle tartina de beurre et recouvrit de belles tranches de jambon et de fromage.

Elle marcha jusqu’à la fenêtre et contempla l’horizon dans la lumière blafarde de ce milieu de matinée hivernale. Un rideau de fine pluie fine obstruait complètement la vue. Klézée frissonna, ne sachant si c’était dû à ce paysage lugubre ou son sentiment de malaise latent.

Leurs appartements donnaient côté mer. Il n’y avait pas grand-chose à observer.

Elle voyait, au loin, les fameuses tours érigées sur les petites îles qui émergeaient sur le pourtour du golfe et qui en gardaient l’accès.

Elle ouvrit la fenêtre et se pencha pour constater ce qu’elle pressentait. Le château était perché en haut d’une falaise et les vagues se fracassaient sur la roche en contrebas.

Aucune voie de sortie de ce côté-là, si le besoin s’en faisait sentir.

Elle s’écarta de la fenêtre et sursauta lorsqu’elle sentit une présence derrière elle.

Elle se retourna d’un mouvement brusque, la main sur son poignard, pour se retrouver nez à nez avec Nonamé.

Ce gamin avait une faculté pour s’approcher sans aucun bruit, ce qui la mettait mal à l’aise.

Il eut un petit sourire d’excuse et regarda avec envie le plateau de victuailles. Avec un sourire chaleureux, Klézée lui pressa l’épaule et l’invita à s’asseoir avec elle pour manger.

Il ne se fit pas prier et se jeta sur la nourriture.

Il semblait être dans un bon jour et entama même la conversation :

  • Le Duc n’a peut-être pas voulu nous saluer hier soir, mais en tout cas il sait recevoir ! Ce pâté en croûte est délicieux ! dit-il, la bouche pleine.
  • Je vois qu’il ne faut pas grand-chose pour s’attacher ton allégeance, répondit Klézée en riant.
  • On en reparlera quand j’aurai le ventre plein ! Mon niveau d’exigence devrait remonter.

Ils continuèrent à manger et badiner joyeusement. La maîtresse d’armes n’avait jamais vu Nonamé dans de telles dispositions. Elle le voyait pour la première fois comme l’adolescent de treize ans qu’il était. Il avait le regard espiègle et l’appétit féroce.

Sizel entra dans le salon, le visage encore chiffonné de sommeil, en plissant les yeux à cause de la luminosité blanchâtre. Elle s’assit lourdement sur l’un des fauteuils restants, à droite de l’âtre et de Nonamé, qui l’apostropha immédiatement :

  • Goûte le pâté en croûte, Sizel ! Il est incroyable ! Et le camembert ! Parfaitement fait !

Sizel explosa de rire en voyant son regard rayonnant et ses joues pleines comme celles d’un écureuil.

Puis elle s’exécuta et dévora à belles dents une grosse tranche de pâté.

Un autre plaisir les attendait.

La domestique de la veille, Aela, toqua discrètement à la porte.

Sans attendre d’être invitée à entrer, elle ouvrit la porte et s’avança dans le salon, avec à sa suite une armée de domestiques qui portaient des seaux remplis d’eau brûlante.

  • Nous avons pensé que vous apprécieriez de vous baigner après votre voyage, leur dit la jeune femme d’un ton ferme, avec un sourire en coin.

Visiblement, elle avait décidé pour eux qu’un bain leur ferait du bien. Sizel n’aimait pas les airs de cette domestique et son attitude avec eux. Elle croyait percevoir dans son ton et ses manières un mélange de condescendance et de rouerie.

  • J’espère que le déjeuner était à votre goût, reprit-elle en regardant le plateau presque vide.

Nonamé, encore la bouche pleine, secoua frénétiquement la tête et tenta un sourire qui laissa échapper des miettes de pain.
Sizel, qui ne la quittait pas des yeux, remarqua sa petite moue de dégoût, qu’elle masqua rapidement derrière un sourire obséquieux, qu’elle continua d’afficher alors qu’elle faisait la révérence et sortait de la pièce.

  • Cette femme ne me plaît pas, déclara Sizel à haute voix, plus pour elle-même que pour les autres.
  • Moi non plus, répondit Klézée. Restons sur nos gardes avec elle.
  • Moi, tant qu’elle m’apporte d’autres pâtés en croûte comme celui-ci, je lui pardonne ses regards écœurés ! ajouta Nonamé dans un rire.

Sizel et Klézée se regardèrent en secouant la tête, dépitées, avant d’éclater de rire.

Après qu’ils eurent tous profité de la baignoire, dont les domestiques changèrent l’eau entre chaque baigneur, Sizel partit en quête de sa sœur et de son mari. Elle voulait savoir quand le Duc allait les recevoir en audience pour écouter le récit de ce qui s’était passé et rendre sa justice.

La journée était bien avancée et elle s’en voulut d’avoir tant dormi. Il était habituel que les Seigneurs tinssent leurs audiences le matin. Mais elle ne doutait pas que la gravité des faits et la proximité avec sa propre famille pourraient pousser le Duc à les recevoir malgré l’heure avancée.

En sortant de leurs appartements, elle était tombée nez à nez avec Aela et eu la désagréable impression qu’elle était en train d’écouter aux portes. La domestique prit un air servile, s’inclina et s’éclipsa. Cette rencontre avait gâté la fragile bonne humeur de Sizel.

C’est en ruminant, qu’elle tentait de trouver son chemin dans le dédale de couloirs du palais, avec pour seule indication que sa sœur était installée dans l’aile Ouest. À bout de nerfs après avoir tourné en rond pendant une dizaine de minutes et être revenue plusieurs fois au pied du grand escalier, elle finit par aviser un élégant jeune homme, sans doute quelque noble invité du Duc. Elle décida de l’interpeller et ne prit aucune précaution en s’adressant à lui, excédée de perdre un temps précieux :

  • Hé, vous ! Vous avez la mine de quelqu’un qui est familier du château. Savez-vous où loge le Seigneur et la Dame Kab Pennarglenn quand ils sont ici ?

Le jeune homme était à l’évidence choqué par tant de familiarité. Il la regarda de la tête aux pieds, un sourcil levé bien haut et une moue dépréciatrice aux lèvres. Sous son regard, Sizel sentit une vague de honte monter en elle, à la fois due à son manque de manières et à sa tenue. Mais elle releva le menton et soutint son regard.

Hors de question qu’elle se laisse intimider par cet aristocrate pédant.

Lorsqu’il ouvrit la bouche pour lui répondre, elle s’attendit à un rejet catégorique, mais ce ne fut pas le cas :

  • Mais bien sûr. Il se trouve justement que j’arpente les couloirs du château dans le seul but d’indiquer leur chemin aux nobles demoiselles qui en énonceraient le besoin.

Dès qu’il avait prononcé le début de sa phrase, Sizel s’était retrouvée happée par ses yeux verts qui respiraient l’intelligence. D’une certaine manière, il lui rappela Glenn tout en étant son exact opposé.

Comme le jeune homme qu’elle avait rencontré, il y a une éternité lui semblait-il, il émanait du jeune aristocrate une aura de puissance. Mais à l’inverse de Glenn, cet animal de cour en était conscient et en usait pour prendre l’ascendant sur vous.

Déroutée par sa répartie, elle fronça les sourcils et forma un demi-sourire, consciente qu’il se moquait d’elle mais se disant qu’il était peut-être disposé à la mener à bon port. Elle choisit de répondre sur le ton badin qu’il avait lui-même employé :

  • J’ignorais que le Duc fût quelqu’un de si avisé pour avoir pensé à de telles dispositions, mais je ne peux que reconnaître sa perspicacité.

Son regard changea et, de moqueur, devint espiègle, sans doute agréablement surpris qu’elle rentre dans son jeu. Avant de reprendre la parole, il se pencha brusquement en avant pour faire une grotesque révérence et il lui tendit son bras pour qu’elle y pose sa main.

  • Le Duc est un personnage des plus avisé en effet et il n’y a rien qu’il aimât tant que de jeunes demoiselles que l’on aida à trouver leur chemin…, déclara-t-il avec emphase. Puis il laissa une courte pause et, avec un clin d’œil, il murmura : … de préférence jusqu’à son lit.

Sizel pouffa de rire et ils continuèrent ainsi sur leur ton cabotin alors que le jeune homme menait Sizel à travers plusieurs galeries.

Il ne manqua pas de commenter avec esprit le physique ou le caractère supposé des personnages dont les portraits ornaient les murs devant lesquels ils passaient.

Finalement, ils remontèrent une grande galerie qui se terminait en cul-de-sac :

  • Et nous voici arrivés, déclara-t-il en s’arrêtant face au mur du fond orné d’un immense miroir.
  • Je ne comprends pas, vous ne m’avez pas menée aux appartements de ma sœur ? répondit Sizel en regardant autour d’elle, décontenancée.
  • Non, en effet. Mais il ne vous aura pas échappé que j’ai dit être à la disposition des nobles demoiselles, or si vous regardez ce miroir, je gage que comme moi, vous n’en verrez aucune !

La première émotion qui envahit Sizel fut l’indignation et une pointe d’humiliation. Mais elle regarda le reflet dans le grand miroir et éclata de rire en voyant le couple dépareillé qui lui faisait face. Lui, à la haute silhouette élancée, aux cheveux blonds et soyeux qui ondulaient sur sa nuque et à la mise d’une élégance pointue.

Elle, les cheveux à peine coiffés, un pourpoint mal lacé sur un jupon froissé, le tout légèrement trop grand puisque emprunté à sa sœur.

Il ressemblait à un prince et elle à une fille d’écurie.

Elle ne pouvait qu’aller dans son sens : ni sa tenue, ni ses manières ne pouvaient laisser présager qu’elle fût de noble ascendance.

Il la regardait rire, légèrement incrédule. Il s’attendait certainement à ce qu’elle soit vexée par sa bouffonnerie. Mais lorsque leurs regards se croisèrent, il la rejoignit dans son hilarité.

Elle finit par reprendre son souffle et dit :

  • Je ne puis que vous pardonner votre effronterie. Vous m’avez fait perdre du temps, mais vous avez été un excellent amuseur en chemin. Et puis-je connaître le nom de celui qui se paie ma tête ?
  • Comme tout bouffon qui se respecte, je porte un nom court et facile à retenir. Appelez-moi « Pit ».

Encore une fois, elle sentit qu’il se moquait d’elle, mais elle n’eut pas le temps de le questionner car sa sœur fit irruption par une porte plus loin dans la galerie.

  • Sizel ! Justement, je partais te trouver. Viens, nous avons à parler.

Le temps qu’elle se retourne et son interlocuteur s’était volatilisé. Un peu déçue de ne pas en savoir plus sur lui, elle rejoignit sa sœur et se promit de s’enquérir sur l’identité de l’espiègle jeune homme.

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