« Try again »

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Une des grandes mobilisations de la « Lowell Female Labour Reform Association », a été celle du déclenchement d'une enquête par la Chambre des représentants du Massachusetts, relative aux conditions de labeur des travailleuses de Lowell. Ce qui pourrait enfin amener à instituer 10h de travail par jour.

Les brochures et les actions ont bourgeonné dans le « Bay State » durant un an. L'organisation s'attachait alors à s'approprier le débat public, à l'aide de pétitions, collectant jusqu'à 2 139 noms en 1845, dont une grande part de travailleuses.

Pétition du 15 janvier 1845 destinée aux ouvrières et ouvriers :

« Dix heures, dix heures !! Signer la pétition !

Nous avons transmis à certains de nos amis dans différentes villes du Massachusetts, des pétitions demandant à la législature d'interdire aux sociétés constituées en société d'employer une équipe plus de dix-heures par jour. Nous espérons que nos amis seront actifs en les faisant circuler pour les signatures et les ramèneront tous au bureau de la Voix de l'industrie »

(Publié dans le journal « the Voice of Industry », sur lequel il faudra revenir au prochain chapitre).

Une autre pétition de la même date destinée aux législateurs du Massachusetts :

« Nous soussigné.es, hommes et femmes pacifiques, industrieux et travailleurs de Lowell, vu notre condition — les maux nous arrivent déjà, en travaillant de 13 à 14 heures par jour, confinés dans des appartements insalubres, exposés à la contagion empoisonnée de l'air, propriétés végétales, animales et minérales, exclus de l'exercice physique, de la discipline mentale et de la mastication cruellement limités, et nous hâtant ainsi à travers la douleur, la maladie et les privations, jusqu'à une tombe prématurée, priez le législateur d'instituer une journée de travail de dix-heures dans toutes les usines de l'État.

—Signé, John Quincy Adams Thayer, Sarah G. Bagley,
James Carle et 2 000 autres, principalement des femmes »

(John Quincy Adams Thayer et James Carle étaient des syndicalistes du « New England Workingmen's Association »).

La Chambre des représentants de l'État concéda de convoquer une audience, afin d'entendre les témoignages des travailleuses et travailleurs. De sorte que les législateurs se seraient-ils enfin rendus compte de leurs carences atroces en matière de droit du travail ? C'était une initiative qui a essentiellement permis de dissuader un grand nombre d'ouvrières de se manifester, sans s'encombrer d'une véritable investigation de fond. Cela représentait une manière perfide d'accueillir la parole des travailleuses. Quelques visites des moulins et échanges avec des agents de l'usine, passés prodigieusement sous silence ensuite, s'ajoutèrent à cela. Peu importe, les récits de maladie, de blessures, ces « visites d'ange lointaines et rares » qu'étaient les loisirs et le sommeil d'ailleurs, les très éphémères pauses-repos, un air nuisible à la santé, car pollué du fait de la poussière de coton et la fumée des lampes à huile ...

Sous des auspices de mielleux paternalisme, agrémenté de mépris à peine masqué, l'incantation de l'autorégulation du marché et du travail fut entreprise par les législateurs au sein du rapport du 12 mars 1945 :

« Le travail est assez intelligent pour conclure ses propres marchés et veiller à ses propres intérêts sans aucune intervention de notre part ; et votre comité ne veut pas de meilleure preuve pour les convaincre que les hommes et les femmes du Massachusetts sont égaux à cela, et prendront soin d'eux-mêmes mieux que nous ne pouvons prendre soin d'eux, que nous n'avons eu des hommes et des femmes intelligents et vertueux qui sont apparus à l'appui de cette pétition, devant le Comité ».

Celui qui avait soigneusement purgé le journal « The Lowell Offrande », le fameux William Schouler, présidait de surcroît, la solution qu'allait apportait ce comité ne faisait dès lors guère de doute. Ils énoncèrent que : « ... le remède n'est pas avec nous ». Toutefois, ils ont reconnu que des problèmes avaient été soulevés, et qu'il fallait y apporter à l'évidence une solution sage, que voici : « ... un moins d'amour pour l'argent et un amour plus ardent pour le bonheur social et la supériorité intellectuelle ». Sarah Bagley et toutes les ouvrières ne s'avéraient être que des êtres vénaux, se conférant l'outrage de ne pas respecter la prédominance des esprits bourgeois, si bien qu'elles embrassassent cette forme de condition lilithienne. Quelle entorse au si délectable bonheur social invoqué par ce comité tant éclairé !

« Lorsque nos droits sont bafoués et que nous en appelons en vain à nos législateurs, que devons-nous faire ? Notre voix, ne sera-t-elle pas entendue ? », avait lucidement exprimé Sarah Bagley à la barre de ce simulacre d'audience, en dépit de sa santé de plus en plus déclinante. Les travailleuses du moulin ont relevé que ce comité n'a su que ; « faire preuve de servilité envers les monopoles d'entreprises ». Elles ont adopté plusieurs résolutions.

Une sous la plume d’EK. Hemingway :

« Que l'Association pour la réforme du travail des femmes de Lowell déplore profondément le manque d'indépendance, d'honnêteté et d'humanité au sein du comité auquel ont été renvoyées diverses pétitions relatives aux heures de travail. - en particulier dans le président de ce comité ; et comme il est simplement une machine ou un outil de corporation, nous ferons de notre mieux pour le garder dans la "ville des fuseaux", où il appartient, et ne pas déranger les gens de Boston avec lui », dressant davantage la connivence entre ce comité et les entreprises que les prétendues déficiences intellectuelles des ouvrières.

Une autre de Sarah Bagley :

« Résolu, en outre, que le Comité Spécial est coupable de la plus grossière malhonnêteté en refusant à la Législature tous les faits les plus importants dans la défense faite par nos délégués ; et que nous les considérons comme de simples machines corporatives, et s'il y a des exceptions honorables, ils n'ont droit qu'à la même sympathie accordée au "pauvre Tray", qui a été réprimandé pour avoir été trouvé en mauvaise compagnie ».

Une dernière de A. Skinner :

« Résolu qu'intelligents et astucieux, comme le comité a appelé les ouvriers de Lowell, il serait illogique que nous oublions une caractéristique aussi importante du caractère du rapport que la fausse coloration et la triste perversion de la vérité qu'ils ont si indélébilement marquée dans ses pages pour mériter notre désapprobation unie.

Résolu, que le Comité qui a rédigé le rapport a agi injustement et sans politesse, en omettant les points qui portent avec force sur le sujet, et en fournissant leurs propres compositions, de manière à impliquer les témoins qui ont comparu devant eux dans un mensonge inévitable, affirmant ce qu'ils n'ont jamais dit et n'auraient jamais pu penser à dire ».

(Les deux militantes, autre que Sarah Bagley, ont pratiquement été gommés de l'Histoire, autant en raison du supplice du temps que du peu de considérations octroyées aux luttes des ouvrières).

Si ces représentants du peuple capitaliste estimaient que les ouvrières reprendraient leur docilité dévotieuse, c'était être bien ignorant de la devise avisée du syndicat des travailleuses : « Try Again ». De plus, la campagne de réélection de Willam Schouler se profilait lors de l'année 1945, sauf que la LFLRA ne comptait pas laisser s'en sortir si aisément cet être antipathique et corrompu, et lui réservait un lourd camouflet.

L'Histoire accorde deux éventualités, qui s'érigent face à nous. Soit l'opération des ouvrières fut couronnée de succès, constituant la raison de la chute du représentant face à un autre candidat du Whig, soit il a perdu faute d'avoir su convaincre sur le domaine des chemins de fer. Prenons la seconde. Il est possible de considérer que le poids des travailleurs, plutôt proche du Parti démocrate, et des travailleuses dépourvues de droit de vote, n'auraient été que dérisoires. La carrière politique de William Shouler ne fera que commencer, qui plus est, il sera en conséquence délégué à la Convention constitutionnelle de l'État du Massachusetts en 1853, puis sénateur de l'État du Massachusetts. Décoré d'honneur grâce à son statut de militaire. Loin de l'image d'un homme politique vaincu par la classe ouvrière. Or, la première n'est pas construite sur des élucubrations. Le « Lowell Female Labour Reform Association » a sans conteste revendiqué avoir pris part à cette éphémère disgrâce, remerciant les « électeurs de Lowell, pour la consignation de W. Schouler, à l'obscurité qu'il mérite si justement, si injustement et sans politesse, la défense faite par les délégués pour traiter de cette Association ; devant la commission spéciale de la Législature, à laquelle étaient renvoyées des pétitions pour la réduction de la durée du travail, dont il était président ». Le Monsieur à la supériorité intellectuelle de Boston n'a vilipendé nulle autre que Sarah Bagley dans les pages du Courrier. Dans quelle mesure, un redoutable homme politique se serait efforcé d'invectiver une insipide ouvrière de Lowell, sans qu'elle puisse détenir un soupçon d'empire sur sa réélection ? Par ailleurs, qu'il ait pu revenir si prestement au pouvoir, n'est que peu inhabituel, lorsqu'on appréhende avec recul le soutien dont il a bénéficié des capitalistes en échange de son appui inconditionnel. Ce n'est ni le premier ni le dernier à avoir suivi un tel parcours.

Dans une lettre à un Monsieur Cluer, datée du janvier 1846, Sarah affirmera : « Le président du comité manifesta un grand désir de faire ressortir tout ce qui serait brillant et beau du côté des manufactures. Or, je ne m'y oppose pas, mais je m'oppose à son désir de dissimuler les difformités dont nous étions en droit de nous plaindre, car il faisait assurément de grands efforts », tout en précisant chacune des omissions faites sciemment par le comité en 1845.

Manifestant des considérations édifiantes de démocratie et de transparence, elle exposera au sein de son avant-dernier paragraphe :

« Il y a beaucoup d'autres choses que je voudrais mentionner, mais ma feuille est presque pleine. Vous me demandez si toutes les dames qui ont comparu comme témoins étaient présentes lors de l'adoption des résolutions relatives au rapport : je réponds qu'elles l'étaient ; toutes, à une exception près, elles ont présenté une résolution ; dont une copie publiée dans le Boston Mechanic que vous avez reçu. La dame qui n'a pas présenté de résolution vota pour l'adoption de celles présentées et en exprima son entière approbation ».

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