Sans doute, que nous aurions pu...

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Je vous remercie Issam Adb al-Hadi et Ada Maimon de participer à cette discussion. Est-il possible que vous commenciez par vous présenter en quelques mots peut-être ?

Issam Abd al-Hadi : J’ai été la femme de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Je ne néglige pas que j’ai pu être cette caution de femme de l’OLP. Certes, une femme était au premier Conseil national palestinien (PNC) de 1964 (organe législatif), ce n’était pas rien au sein d’une société si sexiste. Toutefois, cela semblait nettement insuffisant, et plus d’une militante m’ont renvoyé à mes responsabilités sur cette situation. Avec d’autres, comme la future ministre des Affaires sociales Intisar al-Wazir, nous avons fondé l'Union générale des femmes palestiniennes, dont j’ai été élue présidente en juillet 1965. Forme de branche des femmes de l’OLP.

Ada Maimon : Je souligne un point. La responsabilité, qui incombait autant aux femmes des Israéliens que des Palestiniens, étaient avant tout qu’elles étaient les femmes de… Des épouses avant d’être des femmes conscientes en lutte. C’est toute la charge d’être une femme, comment être épouse et militante féministe ? Je l’affirme que c’est incompatible. Toutes les composantes de ma sacrale féminité, celle inventée par les hommes, afin de mieux nous empêcher d’accéder à l’émancipation, je les ai rejetés. La maternité comme le mariage.

Certains ont avancé que c'était aussi le signe d'une attirance à l'égard des femmes ? N'était-ce pas précisément un rejet du couple hétérosexuel plutôt que du couple en général ? Veuillez m'excuser si c'est indiscret.

Ada Maimon : C'est un tout autre sujet. Je disais donc. Prenons Intisar al-Wazir, elle était l’épouse de Khalil al-Wazir, proche d’Arafat. Je me pose une question, dont je connais en réalité la réponse, qu’ont fait ces hommes de pouvoir à la tête de l’OLP, lorsque les femmes avaient à peine de place dans les cercles dirigeants ? Guère davantage que les hommes en Israël. Si je devais me présenter, j’ai incarné une de ses grandes bouches du Mapaî et du mouvement féministe israélien, écartée pour cela du Mo'e zet ha-Po'alot (Conseil général des travailleuses d’Israël, rattaché à Histadrout). Que j’ai pourtant contribué à bâtir. Je n’existe pratiquement plus dans la mémoire collective israélienne.

Issam Abd al-Hadi : Je vous reconnais l’honnêteté intellectuelle de blâmer les deux camps Mme. Maimon. Des combattantes éminentes de la cause palestinienne, à l’image de May Musa Sayegh, ont soulevé cette inégalité de traitement, cette discrimination. Elles ont visé cette ségrégation des hommes et des femmes, qui accordait le pouvoir à la composante masculine du mouvement au Fatah d’Arafat et plus largement à l’OPL. May Musa Sayegh est allée jusqu’à dire que cette ségrégation constituait un choix politique, le mouvement réservait ainsi aux femmes le travail social, le soin, et aux hommes le commandement, notamment militaire. Un partage des tâches foncièrement genré. Dans quelle mesure, est-il envisageable de réfléchir en profondeur à la question des femmes, d’exiger des avancées, alors qu’on n’était même pas en capacité d’avoir une base politique stable ? Fuir un coup en Jordanie, puis au Liban. Se battre pour survivre, répondre à des besoins primaires. Si les femmes palestiniennes commençaient à faire grève, toute la résistance aurait été anéantie. Dès lors, j’ai tant bien que mal tenté à mon échelle dirigeante de concilier l’urgence et la cause des femmes.

Ada Maimon : L’urgence est une variable relative. Une pâle excuse aux carences de personnalités comme Beba Idelson, ma remplaçante toute désignée des années 30, ou Golda Meir, davantage une mère du pays qu’une femme à sa tête. La cause des femmes est une urgence qui attend depuis des siècles et des siècles.

Issam Abd al-Hadi : Peut-être. On a tenu le coup comme on a pu. On a enfin cru à un espoir lors du processus de paix via les accords d’Oslo de 1993. Vous étiez déjà morte depuis 1975. En effet, à ses prémices, les considérations féministes, au même titre que les organisations des femmes, figuraient au rang des regrettables absents des négociations d’Oslo. À la fois vice-présidente de la Fédération démocratique internationale des femmes (jusqu'en 1992), et vice-présidente de l'Union des femmes arabes, je n’ai pas toléré cela, encore une fois, nous serions les oubliées, les effacées. Ma participation à la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, tenue à Vienne sous les auspices des Nations Unies en 1993, a été le moment de le rappeler à tous ces hommes. Par ailleurs, cette Conférence a permis la création d’un nouveau poste de Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes. Dès 1994, les problèmes des femmes ont émergé dans les préoccupations du processus en cours. Nous avons saisi cette occasion pour rédiger une Déclaration des droits des femmes palestiniennes le 2 août 1994, qui proclamait l’égalité dans toutes les sphères de la société palestinienne. Cela me semble davantage un témoignage de la lutte féministe palestinienne qu’une réalité juridique, que cela soit de mon vivant ou bien de nos jours.

Ada Maimon : Je n’ai pas assisté aux bouleversements des années 90. Je peux me féliciter d’avoir fait cesser le mariage des enfants, cet esclavage, ce meurtre, à l’aide d’une législation en 1950, portant le mariage à 17 ans. C’était des conflits interminables avec les ultra-orthodoxes et séfarades, qui ont empêché une révolution spirituelle favorable aux femmes juives. Une autre victoire, l’interdiction de la bigamie. Toutefois, par exemple, pas de femmes juges religieuses dans les tribunaux de divorce, cela avance un brin, mais ce n’est plus de mon ressort, du ressort d’une défunte.

Que pensez-vous du mouvement israélien pacifiste et féministe qui promeut la lutte contre la loi obligatoire sur l'enrôlement militaire, tel le Nouveau profil ?

Ada Maimon : J'ai tout fait pour que les femmes puissent servir leur pays, leur armée, au même titre que les hommes. C'est une situation bien étrange pour moi. Pourtant, la jeunesse féministe doit-elle écouter l'avis d'une vielle féministe morte, née au XIXe siècle ? Ai-je pris en compte l'avis de mes ainées ?

Issam Abd al-Hadi: : Il en faut de la trempe pour un jeune afin de s'opposer à l'armée israélienne. Par un jet de pierres ou par ce refus. Le symbole est le même.

Vous êtes précurseuse de l'analyse des genres. En d’autres termes, vous paraissiez percevoir les femmes comme une classe à part entière, soumise à un système oppressif. D’autre part, pourquoi pas la défense du mariage civil ?

Ada Mamon : En dépit de ma fougue révolutionnaire, de mon aspiration à l’indépendance, je suis sioniste et juive, fille d’un rabbin. Je souhaitais qu’Israël soit le terreau de l’unité juive, l’unité de mon peuple. Cela passait nécessairement par la réflexion, par repenser le Shulchan Aruch (Code de la loi juive). Cela devait se nourrir de la sagesse de femmes et d’hommes. De sorte que le socialisme sioniste semblait en capacité de porter cela, j’ai donc tenté d’ajouter un regard sur la classe des femmes à son analyse des classes socio-économiques. Succès relatif. Il fallait encore qu’il y ait des femmes au Parlement.

C'est-à-dire qu'il y ait des femmes ?

Ada Mamon : La première Knesset comptait à peine 11 membres féminins sur 120. Peu importe mes confrontations avec Beba Idelson, et d’autres femmes, au vu de notre nombre, on a dû s’épauler. Parmi ces femmes de gauche, de partis travaillistes, il y avait Dvora Netzer (Mapaî), Hannah Lamdan (Mapam puis rapidement Mapaî), Golda Meir (Mapaî), Beba Idelson (Mapaî), Fayge Ilanit (Mapam), Yehudit Simhonit (Mapaî) et enfin cette sacrée combattante féministe Hasya Drori (Mapaî), à la carrière courte, sans surprise. Il est évident que mon tempérament ne m’a pas accordé une longue carrière politique, dès 1955, je ne siégeais plus. Je me rappelle un peu du discours de David Ben Gourion le 2 juillet 1951 dans le cadre de l’examen par la Knesset de la « Loi sur l’égalité des droits des femmes ». Il a dû répondre aux rudes attaques me visant. J'ai ainsi été accusée d’antisémitisme par les membres les plus religieux du Parlement, par exemple par le très conservateur rabbin Zerach Warhaftig du Hapoel Hamizrahi. Critiquer l'interprétation rigoriste et sexiste des hommes serait de l'antisémitisme, ce n'était guère sérieux. Oser dire cela quelques années après la Shoah ! Des proches de Ben Gourion, comme le rabbin Shag, se sont aussi adonnés à ce procès. Oh que la longévité de Idelson, Golda, exigeaient un sens du « compromis politicien », que je n’avais pas. Il ne fallait pas rêver pour les religieux et la droite. Ainsi, les religieux conservateurs de Hazit Ha'Moledet n’avaient pas une seule femme élue, tandis que la droite libéralo-conservatrice de Hérout incluait son indétrônable fondatrice, tolérée, Esther Raziel-Naor. Il y avait également Shoshana Parsitz de Tzionim Klaliym (sionistes généraux), libéraux aussi. Au terme de cette liste, qu’on devrait enseigner à tous les enfants d’Israël, c’est la libérale Rachel Cohen-Kagan de l’Organisation internationale des femmes sionistes qu’il faut citer, membre en devenir du Parti libéral, ancêtre du Likoud, le parti de Netanyahou. Oui, Netanyahou, cet allié des conservateurs, des ultra-orthodoxes, voici pourquoi je n’ai jamais fait confiance aux libéraux pour l’émancipation des femmes. Leur priorité est toujours économique, jamais humaine. Prêts aux pires alliances.

Issam Abd al-Hadi : Les faux procès en antisémitisme par votre pays, on connaît en Palestine... C’est en cela que nous ne pourrons pas nous comprendre. Il m’est impensable que le sionisme puisse exister, c’est-à-dire un mouvement politico-religieux, visant à faire de tous les non-juifs, des citoyens de seconde zone. Cela rejoint mon avis sur l’islam. En soi, il ne doit pas y avoir un État pour les musulmans ni pour les juifs. Lorsque je dirigeais la délégation de l'OLP à la première Conférence internationale des femmes des Nations Unies à Mexico en 1975, j’ai soutenu une résolution, qui a condamné le sionisme comme une forme de racisme et de discrimination. Résolution tombée, abrogée en 1991.

Ada Maimon : Arabie-Saoudite ? Jordanie ? Ces pays ont été solidaires de votre cause palestinienne, et l’islam y est religion d’État, dans sa forme la plus réactionnaire. Ne confondez pas des énergumènes comme Netanyahou avec Ben Gourion, Yitzhak Rabin. Il n’y a pas un sionisme. Celui que le Mapaî a défendu, forgé dans les luttes des travailleuses et travailleurs, ne ressemblait en cas à celui du Hérout, des ultra-orthodoxes. Ce serait poser le blâme sur tant de sionistes, de femmes sionistes, de féministes, de combattantes de la justice et l’égalité sociale.

Issam Abd al-Hadi : J’ai tout à fait conscience de ces nuances, sinon je n’aurais pas participé au processus des accords d’Oslo, à la suite de mon retour en Cisjordanie en 1993. Voir impuissante son peuple souffrir, souffrir, encore souffrir, fait perdre en nuances. Sans doute que dans une autre vie, nous aurions pu lutter ensemble.

Ada Maimon : Sans doute, que nous aurions pu.

Vos parcours sont des témoignages inspirants pour les générations futures, qu’elles soient israéliennes ou palestiniennes, je vous en remercie encore.

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