Hygiène Mentale
Écrire, c’est juste devenu un autre besoin à satisfaire.
Parfois, la satisfaction de ce besoin remplace la faim et la soif. Le temps d’une session d’écriture, j’oublie à peu près tout, jusqu’à mon corps.
Et lorsque je n’écris plus, il me vient vite cette pensée intrusive :
Peut-être que tu n’as plus le niveau.
Et ça me prend les entrailles. Ça me saisit la gorge comme si le doute m’empoignait pour me pousser à aller me prouver que je n’ai pas totalement perdu la main.
Alors je retourne sur le clavier, et je tape quelque chose. Je continue une nouvelle commencée sur un coup de tête, une image obsédante, ou j’écris sur le besoin d’écrire, et l’angoisse fondamentale qui vient quand j’arrête.
Avant, c’était une fois par mois, comme un rappel qu’il faut maintenir la discipline en place, que l’imaginaire et la réalisation des images est un mécanisme à nettoyer, huiler, comme on entretient un outil de travail.
Puis, c’est devenu quotidien.
Ça tourne à l’obsession. Quand j’essaye de me dire « Non, tu tournes en rond, il faut vraiment que tu te poses, que tu changes d’air, remets-toi aux jeux vidéo, va marcher, prends des vacances, des vraies, ou pose-toi le défi de faire du sport au quotidien pendant un mois pour te déposséder du surplus d’énergie qui te pousse à écrire machinalement… » ça tient un jour, à peine.
Puis il y a les notifications de l’atelier des Auteurs. J’ai tellement été longtemps dans ma boucle à écrire des romans dans mon coin sans que personne ne lise, que lorsque j’ai pu avoir des retours, ça a amplifié l’addiction. Une notif’ ? Quelqu’un a publié un texte ? OK, je le lirai un week-end. Un j’aime ? Cool. Un commentaire ? Constructif associé à trente suggestions qui me rappellent que j’en fais toujours trop quand j’écris et qu’il faut choisir les images poétiques et écourter les phrases !?
Tout ça nourrit l’enfermement psychique. J’ai l’habitude de fermer les volets et les rideaux pour écrire. C’est comme si je le faisais maintenant pour mes yeux et mes oreilles, replié sur moi-même dans des degrés de fuite en avant qui confine à la névrose obsessionnelle.
Et la principale témoin de mon enfermement, est elle-même en ce moment en train de s’isoler parce qu’elle est rentrée dans le monde du travail et que ça l’épuise. Alors j’ai tout loisir d’être seul même lorsque je ne le suis pas.
C’était un rêve. Être tranquille pour écrire. Mais être tranquille avec 600 000 mots à contrôler, vérifier, corriger pour en faire des romans publiables, et l’obsession pour en produire encore plus parce que les idées s’accroissent dans mon esprit, si nombreuses qu’elles font pression contre ma boîte crânienne, me menaçant d’arriver un jour au point de rupture où tout ça va péter, et qu’on retrouvera, coulant sur les murs, les morceaux de ma cervelle qui contienne dans chaque centimètre carré l’idée de trois livres que j’aurais voulu écrire.
C’est sans doute pour ça que je me suis obsédé pour le corps et l’organique. Cette déconnexion permanente de soi, cette aliénation volontaire, provoque des remontées acides d’images toujours plus torturées, d’idées toujours plus malsaines.
Et toujours ce souffle d’espoir qui conclut des balades dans le musée macabre de mon imaginaire.
Si l’écriture est un besoin, alors je dois apprendre à contrôler ce que j’écris et ce que je veux offrir.
J’aimerais qu’il me vienne autre chose que des récits de fin de cycle, ou un autre reprend. J’aimerais quitter cette structure des deux crépuscules qui se croisent pour parler de croissance, de paix, de lutte pour un mieux et non pour sauver ce qui peut l’être, mettre un terme à cet imaginaire de cynisme et de désespoir. Biberonné par mes propres goûts et mes fascinations pour ce qui s’achève et ce qui sourd des restes, je sais que ma libération ne viendra que de ma propre rigueur, d’une hygiène mentale à s’imposer.
C’est comme ré-apprendre à être soi. Ou peut-être dois-je le formuler dans un langage que je peux comprendre.
Peut-être faut-il que je me tue symboliquement, et que je croisse à nouveau sur mes propres cendres.
C’est peut-être ça, le message de cette obsession.
Il faut juste la laisser mourir.
Et contempler ce qui vient.
Et le pire…
… c’est de savoir que ce que j’écris là, nourrit la machine sans la solutionner.
C’est parce que je ne savais pas faire autre chose ce soir-là, que ce texte est né.
Comme cent soirs avant lui.
Mais si j’en ai la force c’est peut-être aussi le dernier, avant l'équilibre.

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