La chute

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Il se penche en esquivant le marteau qui aurait dû lui arracher la tête, et pointe son épée pour tenir son adversaire à distance. Lorsqu’un autre coup vient, il le dévie du plat de sa lame et bondit sur la gauche.

Il se redresse, sentant ses cheveux lourds de sueur lui coller au front. Son cœur cogne contre ses côtes. Sous le linge qui enroule sa main droite, ses cicatrices le brûlent.

Si l’épéiste est habillé d’un manteau de voyage qui couvre à peine un gilet de cuir, son opposant est engoncé dans une épaisse armure.

Ils se jaugent un moment, tournant l’un autour de l’autre. Ils enjambent les débris des six statues qui viennent d’être détruites.

Le marteau est encore couvert de leur poussière.

L’épéiste jette un œil vers la porte à double battant. Il commence à se dire qu’il aurait dû dire à Amel de venir l’aider à arrêter le Praedicator.

Il ne pensait pas qu’il serait un guerrier si féroce.

Jamais il n’aurait pu imaginer que cet homme au teint maladif, couvert de veines gonflées et de rides, aurait eu cette endurance et cette force.

Et cette haine dans son visage.

Il était trop tard pour reculer.

L’ami dément du Roi déchu devait mourir, sinon, il emporterait avec lui le Royaume.

Les salles de trône sont des lieux où les conflits se résolvent, celle-ci ne ferait pas exception.

Le combattant dresse sa lame et charge son adversaire. Il vise le cou découvert du colosse, mais ce dernier dévie l’attaque en soulevant simplement l’épaule, repoussant la lame avec son épaulière. L’acier griffe à peine la plate, l’épée rebondit.

En contre-attaque il se sert du manche de son marteau pour frapper son opposant au visage.

Le choc enfonce son nez, le craquement s’entend jusque derrière les portes.

Battant en retraite pour esquiver la tête du marteau, le jeune homme tient son nez dans sa main, essuyant le sang de son visage pour pouvoir garder en mire l’assaillant.

Le Praedicator, essoufflé, ferme les yeux en grimaçant, pris d’une douleur dont son adversaire ignore la cause.

Lorsqu’il ouvre à nouveau ses paupières, il regarde sa future victime.

Quelques mots s’échappent de ses lèvres :

« Vous auriez dû partir, Marcheur… malgré tout, vous ne méritiez pas ça. »

Il se redresse. Ses yeux sont brillants.

Marcheur l’observe. C’est comme s’il le retrouvait. Il ressemblait à cet homme sage qui se réveillait parfois, entre deux regards vides et des épisodes de paranoïa.

Il pose même le bout du manche de son marteau au sol, s’appuyant dessus. Il passe une main tremblante sur son visage.

Marcheur durant son contrat de protection du Roi, a observé le Praedicator. Il avait des phases, et il fallait apprendre à composer avec elles. Parfois, il le voyait comme un jeune homme à accompagner, d’autres… comme un mercenaire coupable de la mort du Roi, et des malheurs du Royaume.

D’un ton hésitant, il l’appelle :

« Ylius ? »

Il espère qu’il l’entend. Plus, il espère qu’il comprend. S’il pouvait le raisonner, si ça pouvait s’arrêter sans que plus de sang ne soit versé.

Mais il entend le bruissement de sa voix entre ses doigts. Ylius recommence à psalmodier les mots qu’il est seul à entendre.

Et lorsqu’il enlève la main de son visage.

Son regard a la même haine qu’auparavant.

Marcheur pousse un soupir et serre la garde de son épée.

La tête du marteau se dresse. C’est une seconde d’ouverture que le mercenaire saisit pour frapper d’estoc.

Sa lame ripe contre le plastron mais le crève au niveau de la hanche là où la plate est moins épaisse. L’acier s’enfonce et se glisse dans l’abdomen d’Ylius.

Il pousse un râle douloureux, et son marteau tombe au sol.

Marcheur garde ses mains sur son pommeau et pousse pour enfoncer la lame plus avant.

Le poing du Praedicator percute de plein fouet la tempe du mercenaire.

Il s’effondre au sol, se cognant contre un des blocs de granit, s’entaillant le crâne.

Sa vue se brouille. Il n’entend que les râles d’Ylius avant qu’un bruit de succion et d’acier frotté ne lui parvienne aux oreilles. Marcheur essaye de se relever, mais ses mains peinent à le soulever.

Soudain, il se sent léger.

Si léger que ses pieds ne touchent plus terre. Son écharpe le serre, tandis que le froid s’empare de son cou.

Lorsqu’il arrive enfin à y voir clair, il aperçoit un visage tordu par la rage. Et sent cinq doigts d’acier autour de sa gorge.

Soudain, il pousse un râle de surprise, ses entrailles se refroidissent. La douleur ne l’empêche pas de sentir l’acier qui se tourne dans son ventre.

Lorsque la lame quitte son abdomen, Ylius le jette en arrière si fort qu’il glisse sur le sol.

Marcheur inspire, mais ce simple acte le tord de douleur. Il pose sa main gauche sur la plaie, et sent la chaleur de son propre sang qui glisse entre ses doigts.

C’est fini.

Marion va devoir faire sans lui.

Il lève la tête pour voir Ylius, qui s’approche déjà.

Le dos de la main droite de Marcheur lui brûle.

Si fort que le linge fond sous la chaleur. De ses cicatrices désormais ouvertes se dégage une épaisse fumée blanche.

Ses doigts se crispent.

Une tension réchauffe l’atmosphère entre les deux combattants.

Ylius qui avançait d’un pas sûr…

… ne sent plus ses jambes.

Il regarde son corps qui ne lui répond plus. Sa mâchoire se tend alors qu’il essaye de lutter contre le phénomène de constriction invisible.

Plus il se débat, plus la fumée qui se dégage des plaies s’épaissit.

Un grincement soudain et brutal survient.

La main de Marcheur tremble, progressivement, Ylius parvient à avancer vers lui à nouveau, l’épée ensanglantée du mercenaire au poing.

Il brandit la lame quand il est à portée.

Marcheur ferme les yeux.

Le son de deux lames qui s’entrechoquent les lui fait rouvrir.

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