Chapitre 2 : Ma hutte

5 minutes de lecture

En ce soir froid et sec, je repense à ce qu’a été ma vie.

Je suis née fière, membre importante du clan de par mon sexe. Grace à moi, le clan s’est agrandi pour devenir plus fort. Nous, les femmes, y étions fortes et puissantes. Nos avis se partageaient à celui des hommes. Nous ne formions qu'un.

J’ai parcouru de nombreuses terres, vu le ciel prendre des couleurs aussi éclatantes que certaines fleurs qui naissent au soleil. J’ai vu mon père utiliser des poussières mélangées à de l’eau pour peindre sur les parois des grottes et ma mère polir les armes de nos chasseurs. J’ai appris à compter aussi. Et cela était une fierté de plus. Tous les membres du clan n’y parvenaient pas.

Puis notre route a croisé celle d’un autre clan, dans lequel je suis restée. J’y ai trouvé un homme, fier et fort. Ses bras étaient capables de dompter les plus fougueux des chevaux et il savait découper la viande de zébu finement. Quoique je n’y fusse pas aussi importante que dans mon clan précédent, je m'y sentais bien. Mon regard sur mon homme a toujours été empli d’amour. Il était vraiment très beau et très fort. Son dos nu, la plupart du temps, semblait s’exprimer dans chacun de ses mouvements. Je ne m’imaginais pas vivre sans lui. Et il me rendait mon regard.

Il me promit beaucoup de choses, il me promit qu’il deviendrait « puissant » et riche et qu’ainsi, à notre mort, nous serions enterrés comme les chefs. Sous de grandes mottes de terre. Nous riions souvent le soir en parlant de cela car nous savions que ce n’était que des histoires. Mais c’était agréable de rêver ensemble. Et puis il m’offrait des bijoux, certains en or. Il m’expliquait qu’à notre mort, ces bijoux seraient avec moi et me suivraient dans l’autre monde. Tout cela me semblait tellement curieux et incroyable. Ce n’était pas comme ça que vivait mon clan. J’apprenais avec lui une vie un peu folle et j’en riais souvent.

J’ai appris à construire mon chez moi. Une « hutte » ! Nous l’avons recouverte des peaux de bêtes que nous élevions ou chassions. Le mot « hutte » je ne le connaissais pas avant lui, comme le mot « guerre ». Si mon homme me plaisait beaucoup, j’ai compris que sa force était plus importante pour le clan que mes talents. Car sans force, nous mourrions tous.

Je me chargeais en partie de l’élevage et des enfants, la femme de la hutte voisine s’occupait des terres et de la cueillette. La taille des armes n'avait pas sa place ici, mes compétences étaient inutiles, ou tout au moins, à adapter. Car ce que moi je faisais sur des pierres, euh le faisait avec du métal. Je m'y intéressais fortement mais seuls les hommes contribuaient à ce travail.

Le soir, une fois le feu allumé devant la hutte et l’intérieur tranquillement réchauffé, je m’asseyais et je polissais mes pierres. Je savais faire de très beaux couteaux, résistants, solides. Par trois fois j’ai essayé de leur montrer ce que je savais faire, espérant que eux me montrerait leur talent en retour. Mais on m’a rappelé dédaigneusement à ma tâche auprès des petits.

Si je voulais être parfaitement intégrée, il fallait que j’accepte de me soumettre à la volonté du chef. « Soumettre », encore un mot que j’eus du mal à comprendre… Mais j’ai fini par saisir tous les sous-entendus qu’il contenait. Alors j’ai obéi. J’ai compris que ma vie était entre les mains des hommes.

Les clans se battaient parfois. Une fois par an, il y avait un groupement des chefs de clans pour résoudre les conflits mais le reste du temps, il fallait faire en sorte de grandir, devenir « puissant ». Il était question également d’échanger des armes, des tonneaux ou des vases de terre contre des petits cercles d’or. Mais moi ça me mettait en colère, je trouvais ça absurde. Pourtant, certains y voyaient la réussite d’une vie. Mais ce n’était que des idioties, les seules choses importantes sont les divinités de la forêt qui nous apportent nourriture et peaux de bêtes, la déesse de la rivière qui nous apporte de quoi boire. Tout cela était vital à notre survie. Bien plus important que ces « pièces ». Mais il disait que nous serions enterrés avec notre or, c’était important. C’est ce que firent beaucoup d’entre nous par la suite. Ces rondelles d’or ornent pour l’éternité leur repos.

J’ai eu douze enfants. Les deux dernières couches ont été très douloureuses et affaiblissantes. J’ai dit que mon corps n’était plus capable de ça. Moi, la femme si forte, je me trouvais vieillissante et je craignais de devenir un poids pour mon clan. Pourtant, je tombais enceinte, une fois encore. Le clan était fort satisfait. Moi pas.

Puis une grosse dispute éclata entre le clan voisin et le notre. Une bataille était prévue, une bataille légendaire selon notre chef. Mon homme et mes fils les plus grands s’y préparèrent.

Dans ma hutte, je restais avec ma fille de neuf ans. Les autres étaient dans les champs. Quoique je ne le fasse pas savoir, elle était ma préférée. Je lui avais appris à compter, comme aux autres mais elle s’intéressait davantage. Elle s’interrogeait sans arrêt.

Et aujourd’hui, alors que le bébé me fait mal, que le soir est avancé et que je suis incapable de tenir debout pour ma plus grande honte, elle me parle et détourne mon attention pour que je souffre moins. J’ai perdu les eaux et pendant qu’elle s’affaire autour de moi, elle babille. Mais pas inutilement. Elle a une nouvelle idée. Si son grand-père dessinait pour raconter des histoires, pourquoi ne pas faire en sorte que ces histoires se transportent et se gardent à l’abri d’une hutte ou dans une sacoche lorsqu’on voyage. Il suffirait de créer des signes que l’on graverait sur des feuilles ou sur des peaux de bêtes.

Pendant qu’elle m’accompagne, que je pousse autant que possible ; alors que ses mains saisissent l’enfant, elle m’explique. Elle a déjà beaucoup réfléchi. Bien entendu les peaux ont trop de valeur mais les feuilles sont trop fragiles. Alors sur quoi faire ça ?

Je souris. Elle tranche le cordon sans la moindre hésitation. Je vois bien son regard se froncer en regardant entre mes cuisses mais je n’y prête pas attention. Je suis tellement fière d’elle. J’espère qu’elle arrivera à faire ce qu’elle veut de sa vie. Je crois qu’au fond de moi, elle quittera ce clan. Ce n’est pas une belle pensée. J’ai juste le temps de tourner la tête sur le côté puis je vomis copieusement avant de m’évanouir. Il me faudra encore quelques heures, sans reprendre conscience, pour mourir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Charlie Jdan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0